Pour l’économiste, cette bonne note peut conduire le pays vers un recours dangereux aux financement étrangers massifs qui risque d’aggraver le risque de surendettement
Qu’est-ce qu’une agence de novation et leur rôle ?
Une agence de notation est une société dont le métier est d’évaluer le risque que représente une entreprise ou un pays qui veut emprunter sur les marchés financiers.
Pour prendre une comparaison, lorsqu’un particulier souhaite emprunter à une banque, son dossier est d’abord étudié par le banquier pour estimer s’il ne présente pas un risque excessif. Les conditions de ce prêt dépendront d’ailleurs du niveau de risque établi. Ainsi, plus l’emprunteur inspire confiance, plus le taux du prêt, sera bas, car le banquier ne prend alors pas un gros risque à lui prêter.
L’agence de notation joue donc le rôle de l’analyste crédit de la banque. Leur rôle est de mesurer le risque de non remboursement des dettes que présente l’emprunteur. Sur la base des multiples informations financières disponibles sur l’Etat, la collectivité ou l’entreprise qu’il doit évaluer, il donne son avis sur le risque qu’il y a à lui prêter. Il matérialise ce risque par une note qui conditionne notamment le taux du prêt, et permet aux prêteurs potentiels d’avoir instantanément une idée du risque qu’ils prennent.
Comment fabrique-t-on les notes des agences de notation ?
Les agences « fabriquent » les notes en fonction de certains ratios et indicateurs : le produit intérieur brut par habitants, le niveau des dettes publiques par rapport aux recettes fiscales, le niveau et la stabilité des recettes fiscales, la stabilité des prix, l’évolution du taux de change, la qualité des institutions étatiques, le niveau du libre-échange, le niveau de développement etc. On peut résumer ces indicateurs et ratios en quatre critères : la vigueur de l’économie, la stabilité institutionnelle, la solidité des finances publiques et la probabilité d’un risque.
Depuis quand la Côte d’Ivoire se fait noter ?
La première notation de la Côte d’Ivoire remonte à 2014, où le pays s’est noté par l’agence Moody’s. Il est important de signaler que la notation est une appréciation de Moody’s sur la volonté et la capacité d’un émetteur à assurer le paiement ponctuel des engagements d’un titre de créance, tel qu’une obligation tout au long de la durée de vie de celui-ci. L’échelle de notation qui va d’un maximum de Aaa à un minimum de C, se décompose de 21 crans. Cette agence de notation vient d’accorder à la Côte d’Ivoire la note de B1 avec une perspective positive. Selon Moody’s quatre éléments ont pesé en faveur de cette note : le potentiel de croissance élevé, une dette publique et un déficit public sous contrôle, mais également une précarité institutionnelle et une vulnérabilité politique réelle bien que modérée.
Ensuite, la Côte d’Ivoire a été notée le 19 juillet 2021, où Fitch ratings notait la Côte d’Ivoire BB- En dehors des performances économiques, les élections parlementaires de mars 2021 indiquaient une réduction du risque politique dans le pays. A cela, il fallait ajouter la prudence budgétaire et les réformes engagées par le gouvernement en matière de stabilité macroéconomique.
Par la suite, une notation du pays a été faite par Moody’s qui lui a réattribué la notation de long terme Ba3, le 27 juin 2022, tout en rehaussant sa perspective de stable à positive. Selon l’agence internationale de notation financière, cette note de long terme était soutenue par la résilience de l’économie, la diversification croissante et les perspectives de croissance saine, qui sont étayées par des réformes structurelles et des investissements publics dans les infrastructures. Il faut aussi ajouter l’amélioration de la compétitivité.
En mai 2024, la Côte d’Ivoire a été encore notée par Standard and Poor’s qui attribuait au pays, la note BB- avec perspective stable à la Côte d’Ivoire. A cette date, Standard and Poor’s estimait que la Côte d’Ivoire est un pays qui rassure de plus en plus aux yeux des investisseurs et plus singulièrement auprès des agences de notation. En effet, les critères qui ont été mis en avant par l’agence Standard and Poor’s dans le relèvement de la note de la Côte d’Ivoire sont notamment :
– Les bonnes performances économiques soutenues
– La consolidation budgétaire à moyen terme
– Bonnes politiques publiques
– L’amélioration continue du climat des affaires
– Le rôle moteur de la Côte d’Ivoire au sein de l’UEMOA et la bonne gestion des arrangements monétaires.
Au total, notons que le pays se fait noter régulièrement depuis 2014, par les trois grandes agences de notation internationales.
Mais le 19 octobre 2024, Standard & Poor’s a annoncé le rehaussement de la notation de crédit de la République de Côte d’Ivoire, passant de BB- (Perspective Positive) à BB (Perspective Stable). Pourquoi cette note encore ?
Selon l’agence internationale de notation, cette décision reflète l’appréciation de Standard & Poor’s pour les progrès économiques et budgétaires réalisés par la Côte d’Ivoire ces dernières années. Plusieurs éléments clés ont été salués.
Au niveau de la résilience économique, la Côte d’Ivoire a maintenu une croissance moyenne de 5.6% entre 2019 et 2024, malgré des chocs externes. Les secteurs agroalimentaire et pétrolier montrent une diversification croissante. L’exploitation du gisement Baleine depuis août 2023 et la récente découverte du gisement Calao devraient continuer à soutenir la croissance.
Au niveau budgétaire, des progrès notables ont été réalisés pour atteindre un déficit fiscal de 3% du PIB d’ici 2025, avec un déficit extérieur en baisse, alimenté par une récolte de cacao plus importante en 2024-2025.
Au niveau de la politique monétaire, les mesures de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) entre 2019 et 2024 ont soutenu les économies des États membres, assurant l’accès aux marchés de capitaux et maintenant la stabilité des prix.
Avec cette nouvelle notation, la Côte d’Ivoire se positionne comme le deuxième meilleur crédit d’Afrique subsaharienne, juste derrière le Botswana, noté BBB+ (perspective stable). Elle rejoint également des pays comme le Brésil dans la même catégorie de notation. Que gagne alors Côte d’Ivoire?
Le premier avantage reste le regain d’investissement étranger. En effet, le rehaussement de la notation de crédit par Standard & Poor’s est un signal positif pour les investisseurs et témoigne de la solidité économique de la Côte d’Ivoire, renforçant sa position sur la scène internationale et sa capacité à attirer des investissements.
Le second est l’accès au financement à faible coût. En effet, pour les Etats comme pour les entreprises, une note dégradée se traduit par une hausse des taux d’intérêt, c’est-à-dire qu’il coûte plus cher d’emprunter. A contrario, dans les Etats bien notés, les épargnants peuvent en théorie confier leur épargne les yeux fermés aux banquiers. A leur tour, les intermédiaires financiers peuvent facilement faire du crédit à moindre coût.
Le troisième avantage est que le pays peut facilement mobiliser les capitaux étrangers à faible coût. D’ailleurs, début du mois d’octobre, le FMI a accordé nouveau prêt accordé d’un montant de 825 millions de dollars, à la Côte d’Ivoire.
Cette nouvelle notation devrait permettre au pays de bénéficier de conditions de financement plus avantageuses sur les marchés internationaux, avec des taux d’intérêt plus bas, tout en renforçant l’attrait du pays pour les investisseurs étrangers
Cette nouvelle bonne note n’a-t-elle pas d’effet pervers?
En premier lieu, les notes des agences sont constamment contestées. L’on se souvient que Vivendi Universal a fait faillite deux semaines après avoir été noté AAA. En 2008, Lehman Brothers est noté A la veille de son effondrement. Ces agences avaient attribué des triple-A à la pelle à des produits dérivés de créances hypothécaires subprimes aux États-Unis, qui se sont effondrés en 2007. Les agences de notation font parfois de la politique. Sur ce point, un européen affirmait qu’«Il est intéressant de constater que chaque fois que la situation budgétaire se dégrade aux Etats-Unis, certaines agences de notation braquent les projecteurs sur l’Europe».
En second lieu, les agences ont eu un rôle crucial dans la titrisation, une technique financière qui transforme les actifs peu liquides. Elles sont également accusées d’avoir précipité la Grèce dans la crise faillite, et plonger la zone Euro dans une crise.
En troisième lieu, cette bonne note peut conduire le pays vers un recours dangereux aux financement étrangers massifs qui risque d’aggraver le risque de surendettement.
Rappelons que la Côte d’Ivoire fait partie des pays d’Afrique subsaharienne ayant accès aux marchés internationaux. Elle a été le premier pays du sous-continent à revenir sur les marchés internationaux après le resserrement des conditions financière de 2022, avec l’émission d’un double eurobond en janvier 2024 pour un total de 2,6 Mds USD à des conditions financières relativement attractives (taux d’intérêt moyen de 6,61% au terme de l’opération de couverture de change dollar-euro). La Côte d’Ivoire a profité de cette levée sur le marché international pour procéder à un reprofilage de sa dette en particulier sur les maturités courtes. L’opération a généré une économie cumulée sur le service de la dette de 2,3 points de PIB entre 2024 et 2032, avec un pic de 0,9 points du PIB en 2025.
Et pourtant, la Côte d’Ivoire est vulnérable aux chocs externes, sur les exportations notamment, et dispose d’un espace budgétaire limité pour y faire face.
En Côte d’Ivoire, des défis demeurent, notamment la résilience face aux futurs chocs externes, la faiblesse des institutions et de la gouvernance, bien qu’en voie d’amélioration, restent également une contrainte sur la note de crédit à long terme. La lutte contre la pauvreté reste également une priorité pour consolider les acquis économiques et assurer le développement inclusif et durable. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire est aussi sensible aux risques politiques, bien que la situation se soit nettement améliorée ces deux dernières années, note l’agence.
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