« Tout passe par l’éducation, tout part de l’éducation et revient à l’éducation, tous les corps de métier ont été coulés dans le moule de l’éducation, tous les secteurs d’activité ont été façonnés dans une forge transcendantale qui a pour nom commun Éducation ».
Ces mots forts ont ouvert, le 17 octobre 2024, la conférence du Professeur Lazare POAMÉ, invité en qualité de Grand Orateur au Colloque international AfricaDigitalEdu 2024, organisé par l’Université Virtuelle de Côte d’Ivoire (UVCI) à son siège d’Abidjan-Cocody II Plateaux, sur le thème central de l’intelligence artificielle (IA) dans l’Enseignement supérieur.
Titulaire de la Chaire UNESCO de Bioéthique et Membre Associé de l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, le Professeur Lazare POAMÉ a captivé son auditoire avec une réflexion profonde sur l’éthique de l’intelligence artificielle dans l’éducation.
Ce dont il est ici question, a martelé le Professeur Lazare Poamé, « c’est l’éducation, (re)présentée comme une forge transcendantale, entendez la forge des forges, la condition de possibilité de toute forge humainement conçue et concevable. C’est, en effet, la forge propre à transformer de façon entéléchique les virtualités socialisantes et épanouissantes inscrites en chaque être humain ». Il a souligné l’urgence d’un cadre éthique pour l’usage de cette technologie dans l’éducation, car « dans la quasi-totalité des mésosphères sociopolitiques de la planète, l’IA est entrée, presque par effraction, dans les familles, les écoles et les universités ».
S’appuyant sur une approche philosophique rigoureuse, il a rappelé que l’éducation, à travers ses racines latines educare (nourrir) et educere (élever), est la forge transcendantale où l’humanité se construit. Ainsi, l’introduction de l’IA dans ce domaine nécessite une réflexion éthique solide pour éviter la transformation de l’école en « fabrique de crétins digitaux », selon les termes empruntés à Michel Desmurget.
L’enjeu, selon le Professeur Lazare POAMÉ, est de faire entrer l’IA de manière « légale, intelligente et raisonnable » dans l’éducation. L’éthique de l’IA doit s’appuyer sur des valeurs universelles telles que la dignité humaine, l’équité et la durabilité. Il a précisé que l’éthique n’est pas un ensemble de règles morales rigides, mais une réflexion critique sur les valeurs morales, ajustée au contexte de l’éducation numérique. Le conférencier a aussi partagé les principes directeurs énoncés par l’UNESCO : Les Principes de proportionnalité et d’innocuité, Sûreté et sécurité, Équité et non-discrimination, Durabilité, Droit au respect de la vie privée et protection des données, Surveillance et décision humaines, Transparence et explicabilité, Responsabilité et redevabilité, Sensibilisation et éducation, Gouvernance et collaboration multipartites et adaptatives.
Ces principes, a-t-il rappelé, doivent être adaptés aux spécificités culturelles africaines. C’est dans cet esprit que la Chaire UNESCO de Bioéthique de l’Université Alassane Ouattara a récemment lancé un concours de traduction des principes de l’éthique de l’IA en langues africaines, pour en favoriser une appropriation locale. Les langues retenues pour l’édition 2024 en Côte d’Ivoire sont le baoulé, le bété, le malinké et le sénoufo.
La conférence du Professeur Lazare POAMÉ a également abordé les défis éthiques posés par l’IA dans le milieu éducatif. Parmi ceux-ci, figurent : l’accès équitable aux ressources pédagogiques, la préservation de l’intégrité scientifique, la réaffirmation de l’autorité pédagogique des enseignants face à des apprenants technologiquement augmentés. Ces préoccupations, parfaitement légitimes, ont conduit la Chaire UNESCO de Bioéthique de l’Université Alassane Ouattara (UAO) à programmer l’organisation d’un Colloque quadricontinental sur cette thématique : « L’éthique de l’intelligence artificielle et la docimologie au 21ème siècle : enseigner et évaluer autrement avec l’IA générative ». Ce colloque est prévu pour les 22 et 23 mai 2025 à l’UAO.
Le Professeur Lazare POAMÉ a également discuté des impacts de l’IA générative sur la docimologie, soulignant les changements qu’elle pourrait apporter dans les méthodes d’évaluation.
Le Professeur Poamé a plaidé pour une intégration de l’enseignement de l’éthique de l’IA dans les programmes universitaires. Selon lui, cette démarche est essentielle pour préserver l’humanité à une époque où le numérique redéfinit les frontières du possible. Il a déclaré : « L’institutionnalisation de l’enseignement de l’éthique de l’IA est une nécessité vitale », appelant à une révision des modes de transmission et d’évaluation des savoirs. La conférence s’est achevée sur un appel à la vigilance collective pour garantir que l’IA contribue à l’épanouissement des apprenants tout en respectant les valeurs fondamentales qui sous-tendent notre humanité.
Commentaires Facebook