« Nous sommes dotés d’une technologie de la dernière génération qui prend en compte l’aspect environnemental ». Ces propos sont de M. Ouédraogo Parfait, responsable des ressources humaines, moyens généraux et affaires juridiques de la société de fabrication de ciment Cim Ivoire. Il les a tenus en réaction à la publication, le jeudi 25 avril 2024, de « L’enquête du jeudi » intitulér : « Côte d’Ivoire. Pollution au ciment à Abidjan : de nombreux cas de maladie et de décès signalés ». Il veut défendre son entreprise contre les accusations de pollution qui lui sont portées. Mais au quartier France Amérique de Treichville, rien n’a changé.
Au quartier France-Amérique, les riverains de la société de cimenterie Cim-Ivoire sont quotidiennement exposés à l’inhalation de la poussière de ciment. Dès notre arrivée dans le quartier, au cours du mois d’avril 2024, des habitants qui enduraient cette situation se lâchèrent sans hésiter : « On souffre. On mange ciment. On boit ciment. On se lave avec ciment », nous avait confié Marie Claude une habitante. Elle nous avait conduit dans sa cour où elle tient un restaurant. La terrasse, les tables et chaises étaient couvertes de poussière de ciment. Tout comme les autres bâtiments du quartier, les murs de sa maison affichaient une couleur grisâtre du fait de la poussière de ciment comme s’ils n’avaient pas été peints depuis des décennies. Les toits étaient également couverts de ciment. Les riverains nous avaient aussi signalé de nombreux cas de maladie du fait de la pollution au ciment notamment, des cas d’asthme, d’anémie. L’on nous avait même mentionné la mort d’un bébé par infection pulmonaire.
Face à cette situation, des habitants ont manifesté pour réclamer la délocalisation de la cimenterie. L’Etat de son côté, à travers le ministère de l’environnement avait fait des recommandations à Cim Ivoire afin de réduire la pollution.
Le volet environnemental pris en compte
Quelques mois après la publication de l’enquête, les responsables de la cimenterie Cim Ivoire ont réagi, expliquant que : « depuis la phase projet, le volet environnemental a été pris en compte par l’installation essentiellement de capot pour couvrir les bandes. Il y en a à tous les niveaux de l’usine avec une grande capacité de filtration. Un entretien est fait annuellement », a indiqué Boris Yaogo Gervais, responsable performance technique de Cim Ivoire. Selon lui, 15 % du budget d’installation de l’entreprise a été attribué à l’environnement. Et les autorités du Port autonome d’Abidjan font régulièrement des audits environnementaux. « Nous leur montrons nos documents qui attestent que nous sommes en règle. Chaque année, nous avons un plan de gestion environnemental. La perfection n’existe pas mais nous sommes toujours en amélioration continue », a-t-il expliqué.
Suivi des recommandations
Des visites ont été régulièrement effectuées sur le site par les agents du ministère en charge de l’environnement. Des recommandations ont été faites aux responsables de Cim Ivoire pour limiter la pollution de l’entourage au ciment. « Il s’agit du bâchage des camions. Car qui parle de poussière parle aussi de l’état des routes. A chaque passage de camions, c’est la poussière qui se lève. Il faut donc bâcher les camions », a rappelé Ouédraogo Parfait.
Le ministère leur a également recommandé l’arrosage des voies. Ce qu’ils font selon eux, deux fois par jour. La réalisation d’un audit environnemental et le remplacement des filtres défectueux qui leur ont été recommandés. « On doit montrer des preuves de l’entretien que nous faisons. Ce sont des actions qui sont menées et qui sont contrôlés par le ministère de tutelle à travers le Centre ivoirien Anti-Pollution (Ciapol). Des audits sont faits par ces organismes de façon régulière », a soutenu le responsable des ressources humaines.
Sur les cas de maladie et de décès
A propos des cas de maladie et de décès liés à la poussière de ciment qui avaient été signalés par les riverains, M. Ouédraogo Parfait déclare : « C’est par votre canal que nous avons appris qu’il y a eu des décès. Et puis si c’était le cas, y a-t-il eu une autopsie qui prouve qu’ils sont dus au ciment ? Nous autres travaillons dans le ciment depuis plusieurs années. Il y a d’autres structures produisant du ciment qui existent dans la zone portuaire, avant notre installation. Pourquoi il n’y a pas eu de mort depuis ? Cela doit susciter des interrogations. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de caché derrière », s’interroge Ouédraogo Parfait.
Pour lui, des personnes pourraient être à la base de ces accusations pour salir la réputation de Cim Ivoire. « Car il faut reconnaître que nous évoluons dans un marché très concurrentiel », a-t-il fait savoir.
Face aux nombreux cas de maladies qu’ils dénoncent, des riverains ont réclamé la délocalisation de la cimenterie. Sur cette question, les responsables de l’usine se sont également défendus, réfutant la responsabilité de cette situation. « Ce n’est pas en Côte d’Ivoire seulement que nous sommes installés dans une zone portuaire. Nous sommes également dans des zones portuaires du Togo et du Ghana. Il faut avoir des autorisations. En Côte d’Ivoire, on a été très innovant avec l’installation des bandes de déchargement navires. On n’a pas besoin de camion pour le transport des matières premières jusqu’à l’usine », fait savoir le responsable des ressources humaines et des affaires juridiques. Toutes les cimenteries, a-t-il poursuivi, viennent prendre leur matière première au port. Cela fait un flux énorme de camions qui entraîne assez de poussière, du fait de la dégradation des voies. « Et C’est Cim Ivoire qu’on voit », a-t-il dénoncé, alors que 90 à 95 % de ses matières passent par les silos. Il signale toutefois que Cim Ivoire n’est pas fermé aux échanges. « Nous sommes ouverts à toute proposition en vue d’améliorer et à faciliter les choses. Nous sommes dans un processus d’amélioration continue. Tout ce qui peut être fait, nous essayons de le faire dans les règles de l’art », a confié le responsable performance technique de l’usine.
Rien n’a changé
Nous sommes retourné dans le quartier France-Amérique de Treichville pour nous enquérir de la situation. « Rien n’a encore changé. Nous continuons toujours de souffrir de la poussière de ciment », nous a fait savoir un jeune gérant de cabine téléphonique, à notre arrivée dans le quartier, le 16 octobre 2024, sous une forte pluie. Pourtant, les responsables de Cim Ivoire ont déclaré avoir mis en place des équipements, notamment des bandes de déchargement navire et d’autres dispositions pour limiter l’échappement de la poussière de ciment. Mais nombreux sont les habitants qui ont soutenu qu’ils continuent d’être envahis par la poussière de ciment, tout comme ces vendeuses que nous avons trouvées devant leur cour. « C’est parce qu’il pleut aujourd’hui que vous ne voyez pas le ciment », ont-elles fait remarquer. Elles ont confié que toute leur cour est régulièrement couverte par le ciment. Il leur faut souvent de grandes quantités d’eau pour l’évacuer. Elles ont du mal à sécher leurs linges au soleil à cause du ciment qui envahi chaque fois le quartier et sali tout ce qui s’y trouve. « De loin déjà, on voit le quartier envahi de poussière de ciment. Quand on lave une voiture, en l’espace de quelques minutes, elle se couvre de ciment », confirme M Bony. Il ne vit plus dans le quartier. Mais il y vient régulièrement. Pour lui, le fait d’inhaler quotidiennement la poussière de ciment est un danger pour les riverains. « L’enfant d’une voisine tombait très souvent malade. A l’hôpital, les médecins ont expliqué à sa maman que cela est dû au ciment. Quand l’enfant est allé vivre chez son père à Koumassi, il n’est plus tombé malade », a témoigné une autre habitante. L’idéal pour les riverains est que la cimenterie soit délocalisée sur un autre site loin des habitations.
Diomandé Karamoko
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