DEGUERPISSEURS ET DEMOLISSEURS

Dans ce récit imaginaire et minimaliste que nous proposons, et qui participe d’une autre approche analytique des problèmes, aux lecteurs et lectrices, notre objectif est simple. Nous voulons inviter les déguerpisseurs et autres démolisseurs à Abidjan à plus de tenue et surtout à plus de retenue dans leur dynamique. Nous les invitons à réfléchir sérieusement avant de lever tractopelles et pelleteuses. Les thématiques sur lesquelles nous les invitons à réfléchir sont les suivantes :

• L’urbanisation rapide de l’Afrique, de la Côte d’Ivoire dans le cas d’espèce, et ses impacts.
• Le défi de préserver le patrimoine tout en modernisant les villes.
• Le respect des racines culturelles dans la construction des métropoles de demain.
• La fusion entre tradition et innovation dans l’architecture et l’urbanisme.
Ce faisant, nous visons une conversion du regard actuel des responsables politiques mais aussi du citoyen lamda pour capturer l’essence de la dualité entre le passé et le futur, en proposant une vision harmonieuse de l’évolution de l’urbanisation de nos vies. On peut embellir le présent sans avoir forcément besoin de démolir le passé.

OZOUA, LA COTE D’IVOIRE ET SES DIRIGEANTS

Dans l’air lourd d’une après-midi à Abidjan, les vieux quartiers de Treichville, Marcory, Port-Bouët, Koumassi, etc. aux ruelles sinueuses gardaient jalousement leurs secrets. Les murs, battus par le vent salin de l’océan atlantique du Golf de Guinée, arboraient des couleurs fanées, témoignages des décennies passées, mais encore pleines de vie. Dans ces quartiers, chaque pierre, chaque fissure raconte une histoire, murmure des récits de vie, de labeur, de mémoire et de résistance. Et, tout autour, les signes d’une nouvelle ère apparaissent. Des immeubles de verre et d’acier se dressent à l’horizon, comme des géants réveillés, prêts à conquérir les cieux.

L’Afrique, en pleine urbanisation, traverse une période de transformation inédite depuis des décennies. Les campagnes s’effacent peu à peu, englouties par la soif insatiable des villes en pleine croissance démographique. Les grandes métropoles, telles que Lagos, Nairobi ou Kinshasa, s’étirent en course effrénée dans toutes les directions en forêts de béton. Mais derrière cette course effrénée à la modernité se cache une question cruciale : que faire du passé ?
Ozoua, une architecte passionnée et militante, arpente les rues d’Abidjan avec un regard perçant. Pour elle, l’urbanisation ne doit pas se résumer à la démolition aveugle de ce qui est ancien pour ériger des gratte-ciel impersonnels. « Pourquoi raser l’âme de nos villes pour construire des bâtiments sans cœur ? » se demande-t-elle souvent. Elle sait qu’une autre voie est possible, une voie où l’avenir peut se construire tout en préservant les fondations du passé.

Sous ses pas, les pavés anciens résonnent de l’écho des générations qui y ont vécu. Elle voit dans ces vieux bâtiments sommaires non seulement des traces du temps, mais aussi des opportunités. Pourquoi ne pas intégrer ces espaces à la ville nouvelle, comme des cœurs battants au milieu des veines modernes ?

Elle repense aux mots de son grand-père Robert Bayôrô-Lapolignon, vieux sage du quartier d’Adjamé-Village, qui lui avait appris que la modernité n’était pas synonyme de rupture, mais d’adaptation. « Si tu veux bâtir haut, assure-toi que les racines sont profondes », disait-il souvent. Ces paroles résonnent maintenant en elle plus fort que jamais. L’avenir doit se construire sur ces racines, non à leurs dépens.

Elle se souvient aussi de ses voyages à travers le continent, de Johannesburg à Alger, où elle a vu tant de villes succomber à la tentation de l’effacement. Partout, des quartiers historiques avaient été rasés, remplacés par des immeubles aux façades lisses, sans âme. Mais elle a aussi rencontré des résistants, des artisans de l’ombre, comme elle, qui se battent pour réconcilier le passé et l’avenir. Des initiatives émergent. À Ouagadougou par exemple, un projet innovant avait transformé un ancien quartier colonial en espace de cohabitation moderne, tout en préservant les structures anciennes.

Ozoua croit profondément que l’embellissement de l’environnement urbain peut se faire sans démolir l’habitat ancien, y compris sommaire et précaire. Le secret réside dans la créativité, dans la capacité à fusionner l’ancien et le nouveau, le sommaire et le solide. Les maisons de son quartier, bien que modestes, portent en elles une chaleur et une authenticité que les constructions modernes ne pouvaient égaler. Elle imagine des toits de chaume côtoyant des panneaux solaires, des façades de terre cuite préservées, entrelacées de cours intérieures où résonneraient encore les rires des enfants, tandis que de nouveaux bâtiments s’élèveraient en arrière-plan, respectant l’harmonie des lieux.
Un jour, elle se tenait sur le toit d’un immeuble moderne fraîchement achevé, contemplant la vieille ville à ses pieds. Le contraste était frappant, mais plutôt que de le voir comme une fracture, elle le percevait comme une opportunité. Il fallait que les deux mondes coexistent, se nourrissent mutuellement. L’avenir de l’urbanisation africaine ne doit pas être une rupture avec le passé, mais un dialogue continu entre mémoire et modernité.

Elle sourit en imaginant pour Abidjan, une ville où les enfants de demain grandiraient dans des espaces qui portent en eux la mémoire de leurs ancêtres tout en leur offrant le confort et les technologies de leur temps. Une ville où l’urbanisation n’est pas synonyme de destruction, mais de création, d’innovation, de beauté. Un lieu où l’on construisait l’avenir sans jamais renoncer aux leçons du passé.

Alors que le soleil se couchait sur Abidjan, Ozoua prit une dernière inspiration, remplie d’espoir. Elle espère très vivement qu’Abidjan saura trouver en elle la sagesse nécessaire pour tracer un chemin unique, où la modernité et la tradition marcheraient main dans la main.

©DR KOCK OBHUSU
Economiste – Ingénieur

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