Propos recueillis par Anzoumana Cissé
« Expert international en Industrues Pétrolières et Energies, Serge Dioman Parfait met en lumière le potentiel d’opportunité en matière pétrolière et énergétique à la portée du Golfe de Guinée, une zone qui cumule d’abondantes réserves prouvées d’or noir à faire valoir en fait. Avec la capacité de la Côte d’Ivoire à être la future plaque tournante pétrolière de la zone, il évoque, par ailleurs, l’opportunité pour le pays de se doter d’une troisième raffinerie. »
Serge DIOMAN Parfait : “La Côte d’Ivoire assume et assure sans complexe son rôle de hub énergétique sous-
régional et veille à donner au pétrole et gaz une place bien cadrée dans son mix-éner-gétique élaboré enconcordance de phase avec ses engagements onusiens en matière
d’éco-responsabilité carbone“.
• LE PATRIOTE : Quel est le bilan panoramique de la sous-région quant à ses objectifs énergétiques et pétroliers ?
SERGE DIOMAN PARFAIT : La mise en œuvre du programme ouest-africain d’intégration énergétique actuelle révèle un rôle majeur dévolu aux hydrocarbures. Ceux-ci pèsent de nos jours en effet près de 90% des transactions commerciales dans le monde et offrent ainsi aux producteurs de cette ressource, si prisée à l’échelle de la planète, des conditions favorables pour leur progrès socio-économique et humain.
Traduit à l’échelle de la sous-région alors, ce constat dévoile une réalité mettant en lumière un potentiel d’opportunité à la portée du Golfe de Guinée, une zone qui cumule justement d’abondantes réserves prouvées d’or noir à faire valoir en fait.
Le pétrole et gaz ne sauraient pour ce faire donc être mis en marge des divers plans de développement subsahariens car ils s’avèrent entre autres être une solution idoine à l’équation du rattrapage de la couverture énergétique dont est privée une frange non négligeable de la population africaine.
• LP : Comment en est-on arrivé à cette situation si tant est que le continent est riche en matière énergétique fossile ?
SDP : Tout part de ces décennies 1960 et 1970 où, dans la foulée des indépendances, il y eut des besoins stratégiques, voire même des raisons de prestige national pour certains États africains, à accéder rapidement à l’essor économique et énergétique en construisant des raffineries.
A cette époque faste où le baril de pétrole ne valait que 1 à 2 Dollar US en moyenne, il suffisait d’en importer. Le seuil de rentabilité économique des investissements réquis, qui varie en fonction de la composition du brut, de sa disponibilité et de la demande des produits du marché, était bien élevé donc.
Aujourd’hui, la techno-structure, qui définit l’aptitude effective d’une raffinerie à traiter un pétrole brut donné, ne permet plus à certains sites de prendre en compte et raffiner un brut local différent découvert ultérieurement. Devenus obsolètes, ils ont du donc fermer tandis que d’autres ont pu se moderniser et étendre leur techno-structure pour assurer leur longévité.
• LP : Au vu de ce constat, serait-il permis de dire que la Côte d‘Ivoire s’en sort bien du point de vue énergétique ?
SDP : C’est exact. Son bassin sédimentaire fertile héberge des coupes d’hydrocarbures de qualité. Ses raffineries pétrolières sont exploitées conformément aux règles de l’art. Son taux de couverture électrique gravit des bonds satisfaisants grâce à une puissance installée autosuffisante pour le pays et un robuste réseau de transport interconnecté à l’international.
Mais vu que nous évoluons dans un concert communautaire, nous transcenderons le cas inspirant de la Côte d’Ivoire pour aborder le cas pluriel de la sous-région et ainsi éviter que nos succès singuliers ne masquent des disparités impactant des pays qui ne sont pas logés à la même enseigne énergétique.
C’est pourquoi, la Côte d’Ivoire assume et assure sans complexe son rôle de hub énergétique sous-régional et veille à donner au pétrole et gaz de tenir une place bien cadrée dans son mix-énergétique élaboré en concordance de phase avec ses engagements onusiens en matière d’éco-responsabilité carbone.
• LP : Quel rôle entrevoyez-vous donc pour la Côte d‘Ivoire au cœur de cette dynamique pétrolière sous-régionale ?
SDP : Elle pourrait bien y endosser le leadership pour être la plaque tournante de l’économie pétrolière du Golfe de Guinée.
Elle a du potentiel et un bon profile pour abriter une place de marché sous-régionale du pétrole, un institut interafricain du pétrole pour la recherche et formation, un chantier navale de type radoub doté de cales sèches de diverses envergure, etc.
Certains pays de la sous-région ont déjà amorcé ces projets pour se projeter dans l’avenir pétro-gazier et assurer leur pérennité dans ce secteur. Mais il est manifeste que la Côte d’Ivoire a bien plus d’atouts. Je ne saurais les énoncer ici.
• LP : Nous respectons bien votre droit de réserve. Mais avons nous au plan national les compétences requises pour la construction et l’exploitation de ces chantiers ?
SDP : Hormis la question du financement, tout cela nécessite évidemment un savoir-faire et un vécu en terme d’expérience avérée sur ces sujets de pointe. A ce niveau, ce ne sont ni les compétences locales ni celles de la diaspora ivoirienne en activité à l’international qui manqueraient à l’appel du pays.
Il suffirait au préalable néanmoins de très bien maîtriser les différentes clés géologiques propres au bassin sédimentaire de la Côte d’Ivoire, et développer en complément celles qui manquent, à l’effet final de consolider davantage son rôle d’opérateur autonome en matière d’Exploration, Production et Exploitation de certains champs.
L’objectif visé reste la montée en puissance des capacités de production amont et le renforcement des opérations aval de raffinage, logistique, stockage et desserte des produits finis.
• LP : Pour justement consolider la Côte d‘Ivoire en sa position de hub, vous évoquiez, il y a quelques années, le besoin de construction d’une troisième raffinerie.
SDP : Il importe à ce sujet de savoir qu’être un producteur de pétrole n’est pas une condition préalable pour se construire une raffinerie. La preuve en est que des pays opèrent bien des raffineries à partir de bruts importés et ce, sans disposer de gisement en exploitation.
Mais lorsqu’on en a en revanche, cela peut s’avèrer favorable à l’érection de raffineries locales pour au moins satisfaire la demande croissante en carburants et combustibles au plan national. En cas de nécessité, un site pétrochimique ou une méga-raffinerie intégrée restent bonnes à prendre.
Concernant la Côte d‘Ivoire donc, le moment est propice pour effectivement disposer d’une troisième raffinerie en appui aux deux premières que sont la SIR (Société Ivoirienne de Raffinage) et la SMB (Société Multinationale de Bitumes).
• LP : Face à une méga-raffinerie Dangote au Nigéria et une autre en projet avancé au Ghana voisin et une autre au Sénégal, y aurait-il vraiment des débouchés pour la Côte d’Ivoire ?
SDP : Dans une perspective donc d’autosuffisance pétrolière, la Côte d‘Ivoire priorise et satisfait déjà son marché local qui est dynamique et en croissance continue et ce, tout en veillant à ses engagements envers ses partenaires et clients.
Ainsi, le défi communautaire énergétique auquel est exposé le continent africain en général n’est pas de se construire des méga-raffineries pour la concurrence ni s’arracher des parts dans un marché où l’on cherche plutôt à combler un déficit.
En clair, la production globale africaine ne suffit pas à couvrir toute la demande. Et quand des États n’ont pas de raffineries, il s’agit plutôt de solutionner ce paradoxe d’une Afrique où la quasi majorité des 55 pays est au statut d’importateur net de produits pétroliers alors que le continent noir est réputé être le grenier énergétique du monde.
Pour la sous-région, il faudrait plutôt avoir une vision de travailler en jumelage de nos sites de production et stockage des produits pétroliers blancs et bitumineux.
• LP : Est-ce une vison partagées par tous les raffineurs ?
SDP : C’est une vision qui ne saurait se poser en terme de compétition mais en terme de synergie, de complémentarité, et de solidarité. Elle est déjà agissante au travers d’organisations panafricaines telles que l’ARDA (Association des Raffineurs et Distributeurs Africains), l’APPO (Organisation des Producteurs de Pétrole d’Afrique), etc.
Plusieurs raffineries africaines sont en effet déjà menacées de fermeture à l’horizon proche des dix années à venir et ce, du fait qu’elles ne seront plus aux normes de productions dites « faible teneur en Soufre » ou « base empreinte carbone ».
Il s’agira de fermetures forcées notifiées par les assureurs.
Ce sera alors la porte ouverte aux raffineries clandestines qui prendraient le relais, tout comme celles déjà en activité dans certains pays. Mais en Côte d’Ivoire, où les produits pétro-gaziers sont aux normes, l’opportunité d’une troisième raffinerie viendrait en réponse à d’autres types de challenges.
• LP : Lesquels ?
SDP : A l’avenir, une raffinerie éco-moderne se devra d’être un « complexe énergétique vert » bâti selon le paradigme nouveau des technologies intégrées produisant du pétro-carburants de synthèse, du bio-carburants d’économie circulaire, des carburants électriques et divers bitumes de synthèse, etc.
Elle sera de type Net-Zéro Émission de Gaz à Effet de Serre (GES) soit par compensation écologique soit par capture ou élimination direct de Carbone (CO2), Oxydes d’Azote (NOx), etc. depuis la source.
C’est pour l’instant tout ce que je puis vous partager en me référant aux derniers projets similaires dans lesquels j’ai été impliqué à l’international ces récentes années.
• LP : Alors, où serait-il plus opportun donc d’installer une troisième raffinerie s’il était décidé de la construire ?
SDP : Une troisième raffinerie du Groupe SIR serait bienvenue dans une zone non inondable ayant au moins un front de mer accesible et altitude donc nettement surélevée par rapport audit niveau de mer. Il faudrait des cours d’eau avoisinants nécessaires à certaines utilités opérationnelles.
Il s’agirait d’un lieu offrant une capacité de décentralisation stratégique et donc pas nécessairement accolé aux deux raffineries existantes ni trop proche d’Abidjan par ailleurs.
Il abriterait des antennes représentant certaines institutions de tutelles comme celles des Hydrocarbures, des Énergies Nouvelles, le Siège du CIAPOL (Centre Ivoirien Antipollution), le Musée du Pétrole, l’Hôpital des Hommes de Mers, etc.
• LP : Quel lieu conseilleriez-vous si vous aviez un avis ?
SDP : En se projetant dans la perspective donc de construire une « Oily City », soit une « Cité Pétrolière » autrement dit, un site de plus ou moins 600 hectares éventuellement morcellables, à l’Est du pays, voire dans le Sud Comoé plus précisément où existent à toutes fins utiles déjà une centrale hydroélectrique et une future centrale à biomasse, serait favorable.
Les conditions aérauliques, le taux d’ensoleillement moyen, la houlomotricité nautique, le potentiel biomasse, etc. sont autant de sources renouvelables exploitables dans l’actuel contexte d’un complexe énergétique d’une « Oily City » verte.
• LP : Sous réserve du lancement d’un tel projet, d’autres régions pourraient-elles convenir à accueillir une troisième raffinerie logée au cœur d’une Oily City ?
SDP : En ce qui concerne le Sud Comoé, c’était à l’époque le lieu que j’entrevoyais en toute objectivité et en considération de certaines réalités et potentialités très factuelles. Et tout en sachant qu’elles seraient susceptiblement évolutives dans le temps, d’autres régions du pays pourraient émerger en premier choix au regard de l’avis simple que j’ai partagé.
Somme toute, le choix final du site d’un tel pojet d’envergure, s’il venait à être lancé, sera des prérogatives discrétionnaires de la tutelle qui a la maîtrise totale de tout l’environnement circonstanciel de cet ouvrage aux allures de produit d’appel.
• LP : Toujours dans l’éventualité de construire une troisième raffinerie, combien de temps cela prendrait-il ?
SDP : Hormis la pose des ouvrages logistiques pour recevoir le pétrole brut et expédier les produits finis par un terminal-camion ou par un appontement ou des bouées maritimes, et hormis le délai d’installation des utilités de base comme la centrale d’électricité autonome, la salle de contrôle, le laboratoire, l »eau déminée et les circuits de vapeur, air instrument, azote, etc. la durée prévisionnelle à construire une raffinerie modulaire est de 3 ans au grand maximum.
Tout dépend du plan de développement mis en place car l’on n’est pas en effet tenu de terminer toutes les unités avant de la démarrer. Il y a des unités de base pour commencer et qui serviraient à roder les opérateurs puis faire les tests de performances pour permettre de vendre déjà pendant que se poursuivront les autres phases d’extension du site.
Tout comme le projet de la méga-raffinerie SAMIR du Maroc où j’avais été sollicité, il y a de cela pratiquement 20 ans déjà, la stratégie de construction modulaire reste optimale.
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