Des Amérindiens de Guyane et du Suriname sont venus à Paris cette semaine pour réclamer le retour des dépouilles de six personnes mortes en France au XIXe siècle. Exposées dans des zoos humains, celles-ci reposent depuis dans les collections du musée de l’Homme. Leurs lointains descendants réclament leurs restes afin de les inhumer selon les rites des populations du Maroni.
Six boîtes en carton grises portant les noms de Pékapé, Couani, Emo-Marita, Mibipi, Makéré et Miacapo. Cent trente-deux ans après leur décès, ces Amérindiens kali’nas ont enfin eu, mardi 17 septembre, un digne hommage. Face à leurs restes, une vingtaine de membres de leur communauté venus de Guyane et du Suriname ont dansé et chanté en tenue traditionnelle lors d’un rassemblement organisé au musée de l’Homme où sont entreposées les dépouilles.
« C’était le grand jour, l’apaisement des âmes », raconte Corinne Toka-Devilliers, la présidente de l’association Moliko Alet+Po. « Il fallait vraiment passer par cette étape de la cérémonie chamanique pour pouvoir ensuite continuer notre travail qui a pour objectif le retour de nos aïeux en Guyane. » Depuis trois ans, cette Guyanaise installée en Bretagne se bat au quotidien pour obtenir le retour de ces restes humains dans leur terre d’origine.
Cérémonie chamanique organisée le 17 septembre 2024 au musée de l’Homme à Paris en présence des restes des six Amérindiens.
Ces hommes et ces femmes faisaient partie d’un groupe de 33 Amérindiens kali’nas et arawaks qui ont embarqué au début de l’année 1892 pour l’Europe depuis Paramaribo, capitale de la Guyane hollandaise, aujourd’hui Suriname. « À cette époque, des directeurs de jardin d’acclimatation ont eu un engouement pour des terres inconnues où des explorateurs ont été envoyés chercher des ‘sauvages’ pour les ramener à Paris de façon à ce qu’on puisse les observer, les palper et les montrer au public », décrit Corinne Toka-Devilliers.
« Exhibés comme des animaux, à moitié nus en plein hiver »
Originaires de l’embouchure du Maroni, ces Amérindiens ont été recrutés, contre la promesse d’une rémunération et d’un retour, pour être exhibés devant les visiteurs du jardin d’acclimatation de Neuilly-sur-Seine dans le cadre de « spectacles ethnologiques », prémices des zoos humains. Mais sur les 33 personnes ayant fait le voyage en 1892, huit Kali’nas sont morts avant de pouvoir revenir, après être tombés malades. « Nos ancêtres ont été exhibés comme des animaux, à moitié nus en plein hiver », souligne Corinne Toka-Devilliers, qui est une descendante d’une membre de ce groupe.
Son arrière-arrière-grand-mère Moliko avait 12 ans lorsqu’elle a été arrachée à sa terre. La jeune Kali’na a eu la chance de survivre et de revenir, mais son histoire s’est transmise de génération en génération. Corinne Toka-Devilliers a ainsi appris son existence par son grand-père, mais ce n’est qu’en 2018, lorsqu’elle a découvert le documentaire « Sauvages, au cœur des zoos humains » réalisé par Pascal Blanchard et Bruno Victor-Pujebet, qu’elle a vraiment décidé de s’y intéresser : « Il y avait cette phrase d’Abd al Malik qui disait que c’était à la génération future de prendre en main le destin de Moliko et de toute sa troupe pour qu’ils retrouvent leur dignité. »
Trois ans plus tard, elle crée l’association Moliko Alet+Po, les descendants de Moliko en langue kali’na, pour obtenir reconnaissance et réparation des traitements subis par les Amérindiens. Au XIXe siècle déjà, dans la presse de l’époque, certains journaux s’étaient insurgés contre « ces ménageries humaines ». « Lorsque les Caraïbes (nom donné au groupe d’Amérindiens, NDLR) attiraient le public au jardin d’acclimatation, nous avons eu l’occasion à plusieurs reprises de nous élever contre ces exhibitions inutiles autant qu’inhumaines qui constituent purement et simplement pour ceux qui les organisent une lucrative et peu morale spéculation », pouvait-on lire en mai 1892 dans les pages du Petit Nord.
« Est-ce notre rôle de peuple civilisé de montrer des êtres humains en cage, comme on fait pour des bêtes féroces ? Que doivent-ils penser de notre civilisation ? Que penserions-nous nous-mêmes si nos compatriotes étaient traités de cette façon sur un autre continent ? », s’insurgeait également un sénateur de la Guadeloupe et de la Martinique dans les colonnes du Matin la même année. Malgré les appels à plus d’humanité, les exhibitions se poursuivent en Europe jusque dans les années 1950. Les historiens estiment que 35 000 personnes venues d’Afrique, d’Asie, d’Amérique ou d’Océanie ont ainsi été montrées entre les XIXe et XXe siècles en Europe ou aux États-Unis.
Le portrait de Pékapé, qui fait partie des six Amérindiens morts à Paris en 1892.
Le portrait de Pékapé, qui fait partie des six Amérindiens morts à Paris en 1892. J.-C. Domenech, Muséum national d’histoire naturelle
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