Par PRAO Yao Séraphin, Maître de Conférences Agrégé en économie
Ce reportage a pour but de mettre en lumière la dimension coloniale du franc CFA, les différences entre le CFA de la CDEAO et celui de la CEMAC et les avancements autour du projet de L’éco, la monnaie commune pour les 15 pays de la CEDEAO.
- Pouvez-vous parler de la création du franc CFA ?
Réponse :
Le Franc CFA est né formellement le 9 septembre 1939 avec le décret qui instaura une législation commune des changes pour l’ensemble des territoires appartenant à l’Empire colonial français. Le 25 décembre 1945, l’article 3 du décret n°45-0136, signé par le président du gouvernement provisoire, le Général De GAULLE, le Ministre des Finances René PLEVEN et le Ministre des Colonies Jacques SOUSTELLE, consacre le Franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA).
Aujourd’hui, la Zone franc regroupe 14 pays d’Afrique occidentale et centrale ainsi que les Comores, liés par une politique de coopération monétaire. Elle a pour but d’assurer une stabilité financière à ses membres. Elle est constituée de trois ensembles économiques régionaux indépendants qui disposent chacun d’une banque centrale et entretiennent des liens privilégiés :
- l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. La monnaie commune est le Franc CFA (Communauté financière africaine, XOF). Le siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) est situé à Dakar au Sénégal ;
- la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) comprend le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. La monnaie est le Franc CFA (Coopération financière en Afrique Centrale, XAF). Le siège de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) est situé à Yaoundé au Cameroun ;
- l’Union des Comores a pour monnaie le franc comorien (KMF). La Banque centrale des Comores est installée à Moroni (1 euro = 491,968 KMF (francs comoriens).
- Comment fonctionne la Zone franc?
Réponse :
Le cadre institutionnel de la Zone Franc s’appuie sur quatre principes de coopération monétaire :
- Une parité de change fixe des trois monnaies des pays africains de la Zone franc avec l’euro. Le franc CFA a une parité fixe avec l’euro (le taux de change n’a pas évolué depuis 1994: 1 € = 655,957 FCFA).
- Une garantie de convertibilité illimitée de ces trois monnaies en euros, par le Trésor français. Le franc CFA peut être converti de manière illimitée en euros par la France. Comme toute autre monnaie, le franc CFA est librement échangeable à tout moment contre de l’or ou une autre devise étrangère. La France s’est engagée à faire face à toute demande de conversion. Par exemple, si un État de la zone Franc ne peut pas assurer le paiement en devises de ses importations, la France garantit le versement des sommes correspondantes en euros.
- En contrepartie, les réserves de change sont mutualisées entre les différents ensembles économiques régionaux et placées (à hauteur de 50% à 65% selon les régions) auprès du Trésor français.
- Les transactions courantes et mouvements de capitaux sont libres au sein de chaque région.
- Pourquoi dites-vous que franc CFA a une dimension coloniale ?
Réponse :
Il est possible d’expliquer cette dimension coloniale à plusieurs niveaux.
Le nom « franc », est un vestige de la colonisation
Il est évident que le franc CFA, ne serait-ce que par son nom « franc », reste un héritage fort de la colonisation de la France dans ces pays. Son nom rappelle d’ailleurs à lui seul et sans équivoque l’héritage colonial que constitue le franc CFA. Un héritage colonial symboliquement très fort, mais déjà en sursis, puisque la CEDEAO et la France ont officiellement acté sa mort en décembre 2019, et son remplacement par une monnaie commune à toute la CEDEAO : l’ÉCO.
Le Franc CFA, un instrument de contrôle des anciennes colonies françaises
La parité fixe, selon les partisans de cette école, permet aux pays de la zone euro, mais surtout à la France, de conserver son statut de premier partenaire économique de la zone CFA, malgré la montée en puissance de la Chine. À Bercy, il existe un puissant lobby proche des investisseurs français en Afrique (Bouygues, Total, Bolloré, CFAO…), pour qui la suppression de ce système entraînerait d’énormes baisses de leur chiffre d’affaires.
L’UEMOA abrite deux des trois premiers clients (exportations) de la France en ASS, à savoir la Côte d’Ivoire (2ème) et le Sénégal (3ème), l’Afrique du Sud demeurant le 1er client (1,8 Md EUR), pour 2023.
Les importations françaises en provenance de l’UEMOA représentent 10% des flux en valeur en provenance d’ASS et 21% de la CEDEAO (70% des achats français à cette zone proviennent du Nigéria, principalement des hydrocarbures). A noter que la Côte d’Ivoire occupe le 4ème rang parmi nos fournisseurs en ASS, devancé par le Nigéria (4,4 Mds EUR), l’Angola (1,7 Md EUR) et l’Afrique du Sud (1,5 Md EUR), pour l’année 2023.
Le rôle de la France dans les instances de gouvernance de la Zone.
Les représentants de la France dans les organes décisionnels de l’UEMOA, notamment au Conseil d’Administration de la BCEAO et à la Commission Bancaire de l’UMOA, siégeant dans ces instances, sont simplement des surveillants des intérêts français, dans des structures africaines. Il est vrai qu’avec la réforme de 2020, on doit enregistrer la sortie des représentants français des instances de gestion de la monnaie. Pour gérer la relation entre le Garant et l’UMOA, la France propose, selon l’article 4 du nouvel accord, la nomination d’un expert international, comme présenté ici : « le Comité de Politique Monétaire de la BCEAO comprend une personnalité indépendante et qualifiée, nommée intuitu personae par le Conseil des Ministres de l’UMOA en concertation avec le Garant. Cette personnalité est choisie en fonction de son expérience professionnelle dans les domaines monétaire, financier ou économique ».
Il est clair que le choix de ces experts sera fortement influencé par la France. En clair, la France est toujours présente au cœur du processus décisionnel dans la banque centrale à travers ce fameux expert international.
Le dispositif des Comptes d’Opérations a pour but de financer l’économie française.
En effet, la France utilise les réserves des pays de la Zone Franc pour soutenir sa monnaie et aujourd’hui pour renflouer ses réserves. Les pertes de change consécutives à la dévaluation du Franc français en 1969 ont obligé la France à utiliser les réserves des pays de la Zone Franc pour défendre sa monnaie. La part des réserves des pays de la Zone Franc, dans le total des réserves officielles françaises, était entre 10 et 20% de 1964 à 1967. Elle était de plus de 50% entre 1968 et 1969.
La libre transférabilité porteuse de sorties de capitaux
Comme le rappelle SAMUELSON, « La libre transférabilité représente une condition permissive du rapatriement des bénéfices et de la fuite fiscale, d’où un risque de détournement de l’épargne » (SAMUELSON, 1990, p.4). Une entreprise française opérant en Zone CFA est libre de transférer, sans la moindre tracasserie administrative, la totalité de ses revenus et bénéfices en France. Ce qui n’est pas le cas dans les autres pays.
- On parle souvent de différence entre leCFA de la CEDEAO et celui de la CEMAC. Qu’en est-il exactement?
Réponse :
Les différences se situent au moins à trois niveaux
►Au niveau du code ISO 4257
Le franc de la Communauté financière africaine (CFA) ou XOF est la monnaie des 8 pays de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.
Le franc de la Coopération financière en Afrique centrale (CFA) ou XAF est la monnaie commune de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) : Cameroun, Gabon, Guinée équatoriale, République centrafricaine, République du Congo et Tchad.
►Au niveau des critères de convergence
Pour les pays de l’UEMOA :
– inflation limitée à 3% par an;
– dette publique limitée à 70% du produit intérieur brut (PIB);
– déficit budgétaire limité à 3% du PIB.
Pour les pays de la CEMAC :
– inflation limitée à 3% par an;
– dette publique limitée à 70% du PIB;
– solde budgétaire de référence, intégrant une règle d’épargne financière sur ressources pétrolières, supérieur à – 1,5% du PIB;
– non-accumulation d’arriérés de paiements.
►Au niveau de la centralisation des réserves de change
L’obligation de centralisation des réserves de change de la Banque des états d’Afrique Centrale (BEAC) auprès du Trésor français a connu une évolution en 2007 passant de 65% à 50% aujourd’hui.
Il convient de noter que cette obligation de centralisation des réserves de change ne concerne plus la zone UEMOA depuis le nouvel accord de décembre 2019. Ainsi, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) n’est plus tenue de déposer 50% de ses réserves de change auprès du Trésor français.
►Au niveau de l’interchangeabilité
Il y’a une aberration au niveau des deux monnaies car rien ne semble justifier le fait que le franc CFA d’Afrique centrale ne soit pas interchangeable avec le franc CFA d’Afrique de l’Ouest, tous deux à parité égale avec l’euro. Ils ont certes la même valeur par rapport à l’euro, mais le franc CFA de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et celui de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ne sont pas interchangeables. Autrement dit : il est impossible de payer un déjeuner à Douala, au Cameroun, avec la pièce de 100 F CFA ou un billet de 1000 F CFA émise par la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) – et vice-versa.
Il est évident que cette situation, en décourageant les échanges commerciaux – déjà quasi-nuls – entre la CEMAC et l’UEMOA, constitue un sérieux obstacle à des « transactions substantielles » entre les deux zones, Il s’agit là d’une « aberration » qui bloque l’intégration régionale.
- A vous entendre, le franc CFA n’a pas bénéfices. Et pourtant certains économistes en vantent les mérites. Quels sont les bénéfices de la zone Franc pour ses pays membres?
Réponse :
On peut citer au moins 3 avantages du système CFA :
La stabilité monétaire et financière
La stabilité du taux de change contribue à une inflation plus faible en Zone franc que dans le reste de l’Afrique subsaharienne, préservant ainsi le pouvoir d’achat des populations. L’inflation y a été inférieure à 3 % au cours des dernières années quand la moyenne en Afrique subsaharienne est de l’ordre de 9 %. Contrairement à d’autres pays africains, l’ancrage du franc CFA à l’euro a épargné les pays membres de la zone franc des effets inflationnistes de la guerre en Ukraine.
L’attractivité économique de la zone
Grâce à la parité fixe avec l’euro, les investisseurs de la zone euro ou d’autres pays sont davantage incités à investir dans cette zone puisqu’elle les protège contre les risques de change.
Un facteur de solidarité et d’intégration régionale
Via la mutualisation des réserves de change, la Zone franc favorise la définition de politiques économiques communes au sein de chaque région économique. Elle permet ainsi de créer des marchés plus importants et de favoriser une plus grande rigueur budgétaire, notamment grâce aux critères communs que les pays membres s’engagent à respecter.
- Selon vous, pourquoi le franc CFA dérange nos économies?
Réponse :
Le premier défaut du système CFA : la parité fixe qui freine la compétitivité des produits africains.
D’un point de vue économique, la parité fixe empêche toute dévaluation compétitive. Par conséquent, le franc CFA, en tant que monnaie forte, pousse les pays membres de la zone monétaire à importer plutôt que de produire, donnant naissance à des balances commerciales souvent déficitaires. La remontée de l’euro par rapport au dollar, tirant de facto le franc CFA vers le haut pénalise les exportations de la zone. Le franc CFA agit comme une taxe sur les exportations et une subvention pour les importations. En outre, les pays qui ont l’impression d’avoir une monnaie forte comme ceux de la Zone Franc ont tendance à importer plutôt que de produire. La tendance s’observe particulièrement dans le secteur du riz, majoritairement importé d’Asie. Ce qui donne naissance à des balances commerciales souvent déficitaires. Du point de vue de l’équilibre extérieur, la balance des paiements de la Zone CFA est globalement caractérisée par un déficit structurel.
En outre, cet arrimage n’incite pas les entreprises exportatrices africaines à fournir des efforts de compétitivité et décourage la volonté de substitution aux importations par la production locale. Elle entretient les pays dans une forte dépendance pour ses intrants (principalement des biens intermédiaires en provenance de Chine et d’autres continents) et maintient une économie de rente des matières premières.
Le second défaut du système CFA : la faible intégration commerciale
Il ressort théoriquement que l’appartenance à une union monétaire exerce une influence déterminante sur les échanges bilatéraux. Or, le franc CFA ne semble pas avoir dynamisé le commerce intra-régional dans la mesure où les pays de la zone franc continuent d’échanger très peu entre eux.
Le commerce intracommunautaire, représentant 10,6% de la totalité du commerce de l’UEMOA, en 2016. Parts de commerce intracommunautaire (UEMOA), en termes d’exportations, entre 1994-2019, est de 16,93%, puis de 10,11% pour les importations. En zone CEDEAO, ses parts sont respectivement de 9,22 % et de 7,39% (données miroirs de l’UN Comtrade). L’analyse du commerce intra-africain par bloc régional au cours des cinq dernières années, classe la CEDEAO en 4e position (9,4%), derrière la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) (21,3%), la Communauté de Développement d’Afrique Australe (SADC) (20,8%), et le Marché Commun de l’Afrique orientale et Australe (COMESA) (10,4%). Près de 75 ans après sa création, les pays de la zone franc continuent d’échanger très peu entre eux, à hauteur de 15% en Afrique de l’Ouest et de l’ordre de 10% en Afrique Centrale, alors que dans la zone euro, le commerce intra-régional est supérieur à 60%.
Le troisième défaut du système CFA : le sous-financement des économies de la zone
Dans la zone franc CFA, les économies sont très peu financées par le secteur bancaire et financier. Dans les pays d’ASS où le développement du crédit demeure limité (en moyenne 30% du PIB), l’accès au crédit est un enjeu important de développement du secteur privé et de réduction de la pauvreté. En 2022, la part des crédits à l’économie dans le PIB s’élève en moyenne à 25,4 % en UEMOA. En 2020, en zone CEMAC, les crédits à l’économie représentent seulement 17 % du PIB, contre 46 % en ASS, et sont essentiellement accordés à court ou moyen terme. Le crédit au secteur privé représente plus de 80% du PIB au Maroc. En zone CFA, les taux d’intérêt réels pour les crédits restent particulièrement élevés et atteignent même les 15% dans certains cas, réduisant les volumes de crédits accordés aux entreprises et aux ménages, souvent dans l’incapacité d’emprunter à ce taux. Etant donné le caractère extraverti de ces économies, l’ouverture des vannes du crédit alimente les importations, payables en devises. Or, toute pénurie de devises pourrait engendrer une dévaluation du franc CFA. C’est pour éviter ce scénario que les banques centrales de la zone (BCEAO et BEAC) incitent les banques commerciales à restreindre les volumes de crédits accordés aux clientèles. Les banques de la zone, justifient évidemment leur refus par la non viabilité des projets, l’absence de garanties entre autres, mais le vrai argument reste la volonté de rationner le crédit, de peur qu’il n’alimente les sorties de devises. Dans ce cas, les autorités de la zone franc ont fait le choix de défendre le taux de change franc CFA-Euro plutôt que de financer l’économie intérieure.
Le quatrième défaut du système CFA : une politique monétaire uniquement orientée sur la stabilité des prix
En effet, dans l’UEMOA, ou dans l’UMAC, l’objectif de la politique monétaire conduite par la BCEAO, ou de la BEAC, est d’assurer la stabilité des prix, dans le souci de préserver la valeur interne et externe de la monnaie. Pour ces pays, brider à tout prix l’inflation à un niveau très bas, et qui serait sans doute trop bas y compris pour les pays capitalistes avancés, revient tout simplement à brider l’activité économique et donc le développement lui-même. Les taux d’inflation très faibles affichés par certains PMA, particulièrement en zone CFA, sont le signe de la préservation du sous-développement. Les banques centrales de la zone devraient plutôt avoir comme principal objectif de favoriser la croissance et la création d’emplois, à l’instar de la Banque d’Angleterre. Il faut inscrire la croissance économique dans les objectifs des banques centrales de la zone franc CFA. Aujourd’hui, elles ont pour seul objectif de contenir l’inflation et non de favoriser la croissance et la création de l’emploi. Nos opérateurs économiques doivent être en mesure d’accéder à des crédits à des taux d’intérêt faibles, pour investir, créer de la croissance et l’emploi ; c’est-à-dire une monnaie au service de la croissance.
Le cinquième défaut du système CFA : la zone n’attire pas plus d’IDE
La majeure partie des intérêts économiques de la France en Afrique sont avant tout situés au Maghreb, puis en Afrique subsaharienne, mais hors de la Zone Franc : celle-ci ne représente qu’un peu moins de la moitié de ses échanges au sud du Sahara et 12,5 % de l’ensemble des échanges pratiqués par la France en Afrique. En 2018, parmi les cinq premiers partenaires commerciaux de la France en Afrique aucun n’était issu de la Zone Franc. On y comptait le Maroc en première position (qui concentrait à cette date 18,9 % des échanges commerciaux franco-africains), puis l’Algérie (18,4 %), la Tunisie (15,2 %), le Nigéria (8,5 %) et l’Afrique du Sud (5,8 %). Si l’on avait poursuivi ce classement, le premier pays de la zone franc qui y aurait figuré aurait été la Côte d’Ivoire en tant que neuvième partenaire commercial de la France en Afrique (3,8 %), loin derrière le Nigéria, cette ancienne colonie britannique aujourd’hui dollarisée, qui est à la fois le quatrième partenaire de la France sur le continent et son premier partenaire en Afrique subsaharienne. En revanche, si l’on ne tient compte que des exportations, le Nigéria représente le troisième client de la France en Afrique subsaharienne, derrière l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire.
En Afrique, les IDE français ciblent en priorité des pays africains qui sont situés hors de la zone franc : l’Angola (en 2017 ce pays avait reçu 8,7 Md € d’investissements français), le Nigéria (8,6 Md €) et l’Afrique du Sud (2,5 Md €). La Côte d’Ivoire et le Sénégal, qui ferment la marche des principaux récipiendaires des IDE français, concentrent quatre fois moins d’investissements que les deux premiers bénéficiaires subsahariens des IDE de la France en Afrique. Ainsi la France demeure une source majeure d’IDE en Afrique (sur la période 2014-2018, la France était le deuxième pourvoyeur d’IDE sur le continent en volume et en valeur, derrière les États-Unis pour le nombre de projets soutenus et derrière la Chine pour les montants investis, loin devant les autres pays européens), mais, hormis pour de rares exceptions, les pays de la zone franc ne se retrouvent ni parmi les premières destinations des investissements en capitaux de ses entreprises ni parmi celles des autres grands pourvoyeurs d’IDE issus des pays de l’OCDE, et ce, depuis les années 2000.
- La communauté monétaire ouest-africaine va perdre 3 pays (AES) qui pourraient lancer leur propre monnaie. Le franc CFA, plus fragile que jamais ?
Réponse :
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont annoncé à la fin du mois de janvier 2024, leur retrait de la Communauté économique ouest-africaine. On se rappelle que ces trois pays, dans la charte de leur Alliance des États du Sahel (AES) adoptée en septembre 2023, disaient leur volonté de promouvoir “l’indépendance, la dignité et l’émancipation économique”. Cette décision pourrait ne pas être sans conséquences pour la stabilité de la Zone Franc et, plus particulièrement, pour l’UEMOA dont on rappelle que le Mali, le Niger et le Burkina Faso représentent près de 30% du PIB.
Le préalable juridique à la création d’une nouvelle monnaie en zone AES : la sortie de l’UEMOA. Ce n’est pas la première fois qu’un pays quitte la zone du franc CFA (Guinée en 1960, Mauritanie et Madagascar en 1973 ou encore le Mali entre 1962 et 1984). Toutefois, la spécificité de cette annonce réside dans la volonté de créer une monnaie commune à trois États, relativement homogènes en termes de PIB par habitant ou de structures économiques. Ils ont en commun une croissance démographique très rapide, un certain enclavement, l’importance de l’agriculture céréalière, et de l’élevage, mais aussi de la production minière, notamment aurifère. À celles-ci s’ajoutent pour le Burkina et le Mali le coton, et pour le Niger l’uranium et le pétrole. Enfin, pour ces trois pays, les revenus issus des migrations vers les pays côtiers jouent un rôle très important. L’AES est donc plus proche de constituer une zone monétaire optimale que la CEDEAO, beaucoup plus hétérogène.
Mais il faudra aller graduellement.
Premièrement, en pareille situation, la création d’une monnaie implique de posséder d’importantes réserves de change, afin d’assurer à la nouvelle devise une certaine stabilité. Le Mali, le Niger et le Burkina n’en disposent pas, mais possèdent des matières premières, notamment de l’or pour le Mali et le Burkina ou du pétrole et de l’uranium pour le Niger. À ce stade, ces trois pays ne disposent pas de stocks qui permettraient de jouer un tel rôle de garantie.
Deuxièmement, les pays de l’AES devront aussi se doter d’infrastructures pour battre monnaie et investir pour adapter leurs systèmes de paiement ou, comme ils l’avaient déjà recommandé en novembre dernier, créer un fonds de stabilisation et une banque d’investissement.
Troisièmement, l’insécurité dans ces trois pays tempère les ardeurs de leurs dirigeants quant à leur sortie de la Zone Franc.
- Le Sénégal, dans son programme de rupture, n’exclue pas non plus de sortir de la zone CFA pour créer sa propre monnaie. Quel avenir pour le franc CFA ?
Réponse :
« Toutes les élites sont convaincues qu’il y a un problème avec cette monnaie et qu’il faut qu’on assume nos responsabilités pour aller vers autre chose », déclarait mi-mars le nouveau Premier ministre sénégalais, Ousmane sonko. On sait aussi qu’abandonner le franc cfa, c’est l’une des promesses de campagne du président Bassirou Diomaye Faye. Les juntes militaires au pouvoir au Niger, au Mali et au Burkina Faso veulent elles aussi tourner la page.
« Il n’est plus question que nos Etats soient la vache à lait de la France », a de son côté asséné le chef du régime militaire au Niger, Abdourahamane Tiani.
Deux options s’offrent à tous ces pays (Sénégal, Mali, Niger et le Burkina):
- Une sortie par la monnaie communautaire. Dans son schéma initial, c’est la monnaie de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest, qu’on appelle la CEDEAO. Cet espace, créé en 1975, s’est fixé pour objectif d’avoir une monnaie commune. Il comporte l’avantage d’être celui pour lequel les efforts sont actuellement consacrés afin de donner suite à la réforme de 2020 et engage le Nigéria qui détient, grâce à son pétrole, un niveau de réserves en devises largement plus élevé que ses voisins, ce qui permettrait de défendre la valeur de la nouvelle monnaie. Ce scénario comporte cependant de sérieuses difficultés de mise en œuvre et de probables lenteurs tant sur la période de stabilisation de l’éco au sein de la zone UEMOA que sur l’adhésion des sept autres pays selon des considérations de convergence, notamment budgétaires. Il semble également plus risqué pour les pays de l’UEMOA dont les économies sont régulièrement contracycliques à celle du Nigéria (pays producteurs de pétrole/pays importateurs de pétrole) et qui paieront donc cher certaines orientations de politique monétaire forcément dictées par la puissance nigériane. Aujourd’hui ce projet semble au point mort, en grande partie à cause de la conjoncture économique et géopolitique mondiale. La guerre en Ukraine, la hausse des taux d’intérêt au niveau mondial et l’inflation mettent en souffrance les régimes de change flexibles des pays en développement (on a vu dernièrement le Ghana faire défaut et subir une inflation galopante).
- Une sortie individuelle où chaque pays prendses responsabilités pour aller vers sa propre monnaie. Bien entendu, les pays de l’AES auront leur monnaie commune. Ce dernier scénario serait, en l’état actuel risqué car, mis à part la Côte d’Ivoire, aucun pays de la zone ne dispose d’une capacité à engranger suffisamment de devises pour défendre une nouvelle monnaie sur les marchés. S’ensuivraient donc très rapidement une inflation galopante et un risque très élevé de défaut de paiement, mettant à genoux l’économie nationale.
- Une autre voie est celle d’une monnaie commune dans la zone UEMOA avec pour uniques changements le nom de la monnaie (éco ou autre) et la parité. L’objectif serait ainsi, dans un premier temps, de basculer vers l’éco dans les huit pays de l’UEMOA puis d’accueillir, sous condition de critères de convergence macroéconomique, les sept pays anglophones dans un régime de change flexible. Cette option a l’avantage de maintenir certains acquis, notamment l’expérience de gestion d’une monnaie commune par la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), mais il faudra des réserves de change en quantité suffisante pour défendre la nouvelle monnaie et une coordination solide entre les États membres, ce qui semble compliqué actuellement compte tenu des tensions entre les régimes élus et les régimes arrivés au pouvoir par des coups d’État au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Se pose également ici la question du maintien de la garantie du Trésor français.
À court terme, le statu quo risque donc de durer. Mais la volonté de souveraineté monétaire des pays de l’UEMOA commande de mener profondément la réflexion sur l’avenir du franc CFA.
- Quels sont les avancements autour du projet de L’éco la monnaie commune pour les 15 pays de la CEDEAO.
Réponse :
Présentons dans un premier temps, les avantages de la monnaie unique avant les conditions de réussite du projet.
►Les avantages de la monnaie unique ECO
Le premier avantage est le développement du commerce intra-régional.
la monnaie commune peut faciliter la mise en œuvre de politiques économiques et monétaires communes dans une pluralité de domaines (commerce, mobilisation des ressources, libre circulation des personnes, développement du système financier) et renforcer la solidarité régionale et la poursuite d’objectifs d’intérêt commun. La CEDEAO, c’est une immense intégration régionale dont le Produit intérieur brut (PIB) représente plus de 750 milliards de dollars, selon la Banque mondiale. Une richesse régionale qui doit surtout à un Etat, le Nigeria, qui pèse à lui seul 470 milliards de dollars.
Le second avantage est la réduction des coûts de transaction.
En effet, dans le même espace, cohabitent des monnaies gérées différemment et la convertibilité n’est pas souvent aisée. L’adoption de cette monnaie unique permettra à la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de régler les problèmes de fluctuation des monnaies nationales.
Le troisième avantage est que la monnaie unique va préserver le tissu productif de la région contre le recours aux dévaluations compétitives.
En effet, les pays ne pourront plus dévaluer leurs monnaies pour booster la compétitivité de leurs économies.
Le quatrième avantage est que la monnaie unique permettra aux pays membres de faire des économies de devises.
Notons que jusqu’à présent, 85% des importations de fuel de la Guinée proviennent du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. La Guinée par exemple, pourra faire d’énormes économies de devises une fois l’ECO adoptée. Avec la monnaie unique, il y a une élimination des coûts de transactions liés aux opérations de change et une suppression des risques de change.
Le cinquième avantage est que la CEDEAO sera une zone économiquement très forte.
En effet, un adage africain dit que : « les brindilles de balais regroupées sont difficiles à rompre d’un coup ». Les économies des pays africains, souvent tributaires de celles des pays dits développés, pris isolément, ne représentent rien dans la mare qu’est l’économie mondiale. Cette idée de monnaie unique vient à juste titre et serait l’occasion pour la CEDEAO de s’affirmer dans le monde. La CEDEAO représente aujourd’hui un marché d’environ 450 millions d’habitants. Avec un PIB de plus de 100 milliards de dollars, elle constituerait une énorme opportunité comparativement aux marchés fragmentés des pays pris individuellement.
►Les conditions de réussite du projet de la monnaie unique ECO
On peut énumérer au moins quatre conditions : la volonté politique des chefs d’Etats, accepter le leadership du Nigéria, la fin de la coopération monétaire et le retrait de la France, puis le respect des critères de convergence.
La première condition : la volonté politique des chefs d’Etats.
La concurrence entre les pays francophones, anglophones et lusophones peut poser un problème. D’ailleurs, si le choix du régime de change et la devise de rattachement fait l’objet de débat, c’est simplement parce que la volonté politique manque. Les pays membres de l’UEMOA doivent s’émanciper de la domination française pour penser une monnaie panafricaine qui n’est pas sous influence française. La France essaie une subtile récupération d’une dynamique endogène. Visiblement, elle se donne un rôle à jouer dans l’ECO alors qu’en principe elle n’en a aucun. La réforme annoncée par MACRON et OUATTARA ne vise nullement à répondre aux revendications de mettre fin au système de domination qu’est le Franc CFA, mais au contraire, à bloquer le projet originel de l’ECO de la CEDEAO.
La deuxième condition : accepter le leadership du Nigéria
Cette réforme du Franc CFA est aussi destinée à convaincre d’autres pays africains de rejoindre l’ECO et l’Union monétaire. Les pays anglophones ne voyaient pas d’un bon œil les liens très forts entre les pays de l’UEMOA et la France. Cela constituait une sorte de repoussoir. Or, le Ghana et le Nigéria sont des pays très importants dans le projet. Le Nigéria représente environ 75% du PIB de la CEDEAO et le premier partenaire commercial de la Côte d’Ivoire. Il sera difficile d’aller à l’intégration de la zone sans ce grand pays. Le 29 décembre 2019, le Ghana faisait une déclaration en ces termes : « Nous, au GHANA, sommes déterminés à faire tout ce que nous pouvons afin de rejoindre les Etats membres de l’UEMOA, bientôt, dans l’utilisation de l’ECO, car nous pensons que cela aidera à lever les barrières commerciales et monétaires, réduire les coûts de transaction, stimuler l’activité économique et élever le niveau de vie de nos populations ».
La troisième condition : la fin de la coopération monétaire et le retrait de la France dans les discussions sur l’ECO
Le risque d’achoppement résidera dans le décrochage du Franc CFA avec le Franc Français (Euro) car la Banque de France garde une influence notable sur la Zone CFA. Accepter de facto ce décrochage signifie pour la France de lâcher son emprise sur cette partie de l’Afrique. Dans les accords politiques actuels, le constat notoire est que la France reste après tout le partenaire privilégié des pays africains francophones.
Pour aller à l’ECO, il faut absolument passer par l’abolition de l’accord de coopération monétaire qui lie la France aux pays de l’UEMOA. En d’autres termes, tous les pays de l’UEMOA doivent mettre fin à leur coopération monétaire avec la France. Mais, en décidant de renouveler les accords et en maintenant son rôle de « Garant », la France reste toujours de facto souveraine sur la gestion du Franc CFA, renommé ECO.
La quatrième condition : le respect des critères de convergence
Des étapes étaient nécessaires : la suppression des droits de douane et des taxes équivalentes, l’établissement d’un tarif extérieur commun, l’harmonisation des politiques économiques et financières, la suppression des barrières à la libre circulation des personnes et des biens, des services et des capitaux. Ces exigences ne sont pas toujours respectées par tous les pays. En particulier l’incapacité à remplir de manière soutenue tous les critères quantitatifs et qualitatifs requis pose des défis qui exigent la plus grande attention de la part des Etats membres. Le rapport sur la convergence macroéconomique indique encore des domaines dans lesquels des efforts plus concertés sont nécessaires de la part des Etats membres. Ces domaines ont trait aux réserves extérieures brutes exprimées en ratio des mois d’importation, des recettes fiscales par rapport au PIB et en ratio de la masse salariale publique par rapport aux recettes fiscales. D’autres conditions sont nécessaires pour la mise en place d’une zone monétaire et économique viable : l’harmonisation des politiques économiques nationales, l’harmonisation des statistiques nationales. En 2019, une déclaration de ZAINAB Ahmed, ancienne Ministre nigériane des Finances, rappelait qu’aucun pays de la CEDEAO n’était qualifiable pour l’ECO en 2020[1], à l’exception du Togo, un pays qui, à l’évidence, n’a pas la taille suffisante pour porter seul ce projet. Rappelons que les critères clés de convergence sont les suivants : avoir un déficit public annuel inférieur ou égal à 3% du PIB, ne pas dépasser le seuil de 10% d’inflation, avec une dette inférieure à 70% du PIB. En outre, les réserves de change doivent couvrir au moins trois mois d’importations. Les pays doivent faire des efforts pour respecter les critères de convergence même s’ils ne constituent pas l’élément central pour être membre d’une union monétaire. Plusieurs études montrent d’ailleurs que la plupart des pays qui sont dans des unions monétaires ne respectent pas tous les critères de convergence surtout, ceux relatifs aux finances publiques, principalement, le critère du déficit budgétaire (JAMET et KRUMBMULLER 2004 ; AVON, 2007). Pour la Zone UEMOA, DIARRA (2016) affirme que le nombre de pays ayant respecté en même temps l’ensemble des critères de premier rang n’a presque jamais dépassé deux par an sur la période 2000-2013.
- Pour finir, quel régime de change proposez-vous pour la future monnaie unique ECO
Depuis 1945, la Zone franc n’a connu que deux changements de parité, en 1948 et 1994. S’y ajoutent les conversions effectuées lors de la création du nouveau franc français en 1960 et de l’entrée en circulation de l’euro en 1999, mais ces opérations de conversion ne correspondent pas à des changements de parité. Le franc CFA ne peut plus demeurer fixe dans le contexte actuel de l’économie mondiale, et surtout des relations commerciales entre les PAZF et les autres économies du monde. On voit bien qu’aujourd’hui les grandes zones économiques, que ce soit en Asie ou ailleurs en Afrique, recherchent une stabilité de leur monnaie par rapport à celles de leurs principaux partenaires commerciaux. La future monnaie doit être arrimée à un panier de monnaies et non à l’euro ou au dollar. Il s’agit de prendre en compte les échanges croissants que noue le continent avec la Chine, l’Inde ou le Brésil. En effet, les pays de la zone franc ont d’autres partenaires comme la Chine, le Japon, les Etats-Unis. On peut imaginer un système dans lequel nous aurions un taux de change fixe non seulement avec l’euro mais aussi avec d’autres devises internationales. Il s’agit de le relier à un panier de devises, avec des monnaies variées qui reflètent la diversité du commerce que nos pays ont avec le reste du monde. Le poids de chaque devise dans le panier doit dépendre de l’intensité de notre commerce avec le pays émetteur de la devise concernée. Une telle flexibilité, quoique relative, pourrait offrir des marges additionnelles de financement à nos économies. Il est donc indiqué de rendre la future monnaie plus flexible en changeant l’arrimage à parité fixe à l’euro qui est une monnaie forte (actuel franc cfa).
Aujourd’hui, le franc CFA reste une monnaie au service des élites africaines, qui achètent des biens importés et envoient de l’argent en France et dans zone euro. C’est aussi le cas des multinationales qui font des bénéfices en Afrique, qu’ils rapatrient dans la zone euro.
[1] https://blogs.mediapart.fr/fanny-pigeaud/blog/231219/du-franc-cfa-l-eco-cfa-changer-les-symboles-maintenir-le-systeme
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