Le silence de l’Afrique de l’Ouest sur l’extrême droite en Europe

Les partis d’extrême droite continuent de progresser dans l’Union européenne. Unebsituation qui ne semble pas encore alerter au sein de l’Afrique de l’Ouest.

Par notre correspondant à Abidjan, Hadrien Degiorgi

DÉCRYPTAGE. Près de 45% des suCrages exprimés en Hongrie, 31% en France et plus
d’un quart des votes en Italie ou en Autriche ; l’extrême droite a réalisé une percée
historique lors des dernières élections européennes. Malgré ce contexte de nature à
susciter quelques discussions sur la scène internationale, c’est une absence presque
totale de réaction qui a été observée en Afrique de l’Ouest. Le réalisme politique,
l’expectative face à la situation française et une altération du lien qui unit les deux
continents constituent autant de raisons valables pour tenter d’expliquer ce faible écho.

Le réalisme politique plutôt que l’angoisse

Ce réalisme consiste d’abord à attendre les jeux d’alliances qui seront déployés par les
diCérents groupes au cours des prochains mois. Car au niveau du Parlement européen,
la situation est plus contrastée que dans les pays cités en préambule. Bien qu’en
progression, le groupe aCilié aux partis d’extrême droite CRE (Conservateurs et
réformistes européens) ne gagnerait pour l’heure qu’une petite quinzaine de sièges. Avec
environ 85 sièges sur un total de 720, cette mouvance constituera désormais la troisième
force politique au sein du parlement. Mais au terme de l’échéance du 9 juin dernier, ce
sont avant tout les deux groupes historiques du PPE (Parti populaire européen) et du S&D
(Alliance progressiste des socialistes et démocrates) qui ont réaffirmé leur position en
obtenant respectivement 189 et 136 sièges. Il convient toutefois de noter que l’attente
des résultats définitifs de pays tels que l’Espagne ou l’Italie pourraient modifier ces
chiffres de quelques sièges.

Dans ce paysage certes changeant mais toujours pluriel, c’est une politique de
compromis que devront mener les élus d’extrême droite pour faire valoir leurs idées.
Concernant l’Afrique, les principaux partis du groupe CRE n’ont pas formulé de mesures
concrètes quant à la politique extérieure pour le continent. Ces derniers ont préféré
capitaliser sur une thématique intra-européenne qu’est le renforcement des frontières de
l’Union des vingt-sept. Une revendication de premier plan qui – selon l’institut de
recherche public allemand Megatrends Afrika – consacre la sécurité comme paradigme
majeur de la politique européenne. Or, tendre vers un « durcissement » des frontières
nécessite a priori de collaborer en amont avec les pays d’origine de l’immigration
clandestine, dont plusieurs se situent en Afrique.

Dans la poursuite de cet objectif, le meilleur allié de l’extrême droite pourraient bien être
la droite dite plus traditionnelle, soit le groupe PPE. Durant la campagne, ses membres
réclamaient déjà un « nouveau pacte sur l’asyle et la migration ». Une formulation qui
plaide en fait pour une coopération plus étroite avec ces pays pour limiter les départs
depuis leur sol. La tendance de ces dernières décennies est d’ailleurs résolument
tournée vers ce type de gestion puisque plusieurs actions européennes pour visant à se
rapprocher du terrain ont vu le jour. C’est ainsi que de 2012 au coup d’état de juillet 2023,
une mission initiée par l’Union européenne nommée Eucap-Sahel avait la charge de
former certaines forces de sécurité du Niger, parmi lesquelles des unités spécialisées
dans la lutte contre le trafic migratoire. Quant à l’idée d’externaliser la prise en charge des
immigrés en dehors de l’UE afin d’étudier leur demande d’asile – à l’image de l’accord
controversé entre le Royaume-Uni et le Rwanda – les voix favorables à un tel scénario au
sein du PPE se font toujours plus nombreuses.

Le cas français, symbole d’un lien altéré

L’absence de réaction de la part des décideurs africains résulte donc peut-être de ce
constat simple : les élections européennes n’ont pas fait de la relation Afrique-UE un
sujet phare de la campagne et les rares projets formulés à l’égard du continent
s’inscrivent dans la continuité d’une politique déjà à l’œuvre sur le terrain. Sylvain
Debailly, journaliste politique ivoirien avoue ne pas être « franchement surpris par ces
résultats, car il y a eu d’importants signaux avant les élections ». À cette explication
s’ajoute un contexte récent marqué par plusieurs points de divergence entre l’Europe et
l’Afrique. Le positionnement de Bruxelles vis-à-vis du conflit russo-ukrainien ou de la
guerre au Proche-Orient a en eCet accéléré la redéfinition des influences étrangères. En
Afrique de l’Ouest, malgré la discrétion, c’est la France qui sera scrutée au cours des
semaines à venir, étant donné que les européennes ont débouché sur une crise nationale
sur fond de dissolution et de nouvelles élections législatives.

Sur place, l’inquiétude semble néanmoins limitée, l’argument des « réalités du pouvoir »
revient régulièrement dans les conversations. « La politique extérieure de la France en
Afrique ne change pas selon la majorité, la direction restera la même » confie un
entrepreneur burkinabé. Force est de constater que l’inertie est importante sur le
continent : pour la seule année 2023, le groupe AFD (Agence Française de
Développement) avait participé financièrement à plus de mille nouveaux projets pour 13
milliards d’euros d’activité cumulée. Environ 40% des actions du groupe sont dirigées
vers le continent africain. Concernant le désinvestissement forcé des pays du Sahel,
Sylvain Debailly préfère relativiser la situation : « La russophilie de l’Alliance des États du
Sahel est un dépit amoureux », avant d’ajouter que « leur population n’est pas
foncièrement anti-française, la donne peut changer rapidement ». Une manière de dire
que si Paris désinvestit le champ politique pour se concentrer sur des partenariats
économiques équilibrés, la crise pourrait s’estomper.

En Côte d’Ivoire, pays comptant parmi les plus proches soutiens de la France, le pouvoir
d’Alassane Ouattara ne s’est permis aucun commentaire. Une position confirmée à notre
rédaction par ses équipes ministérielles. À Abidjan, la principale crainte suscitée par une
possible majorité du Rassemblement National en France concerne l’obtention de visas.
Bien que la politique en la matière soit déjà très restrictive, beaucoup craignent de ne plus
pouvoir rendre visite à des proches établis dans l’hexagone. Mais de nouveau, les freins
sont nombreux, à commencer par une possible absence de majorité absolue en cas de
victoire du RN aux législatives. De plus, les liens entre la Côte d’Ivoire et la France sont si
profonds qu’il serait diCicile de les entraver. Pour rappel, le pays compte près de 20 000
ressortissants français qui disposent pour moitié de la bin-ationalité ivoirienne.

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