La crise de nomination des chefs des 63 villages Atchan en Côte d’Ivoire est entre les tensions coutumières et les décisions administratives, l’avenir des villages Ébrié inquiète. Enquête.
Par Kone Sériba
Abidjan, Côte d’Ivoire, le 3 août 2024 (crocinfos.net)—La majorité des arrêtes de nomination de certains chefs des soixante-trois villages Atchan, signés par le préfet du département d’Abidjan, ces quatre dernières années, sont remis en cause par le Conseil d’État. Ce qui provoque une crise à n’en point finir et soulève de vives tensions dans certains villages Ebrié. Une tension secoue la majorité des soixante-trois villages Atchan. Cette crise a pris une autre dimension à tel point que des chefs nommés par arrêté préfectoral du département d’Abidjan, sont déboutés par le conseil d’État quand l’affaire est portée devant cette haute juridiction.
En effet, selon plusieurs rapports en notre possession et des vidéos virales sur Facebook, le sous-préfet ou le secrétaire général de préfecture se soumet au processus coutumier qui commence dans le village Atchan et aboutit au choix du chef dudit village par la génération qui vient au pouvoir. Pour ces quatre dernières années, pour un mandat de quinze ans, c’est la ‘’génération Tchagba’’ qui monte en lieu et place de la ‘’génération Dougbo’’ dont le mandat est terminé depuis fin décembre 2020. Après l’étape coutumière, l’administration moderne à travers le sous-préfet ou le secrétaire général de préfecture vient confirmer par la consultation populaire. Ceux-ci transmettent leur rapport au préfet du département d’Abidjan qui apprécie et leur retourne l’arrêté de nomination ou non. Le sous-préfet ou le secrétaire général le remet à son tour au chef du village désigné par les quatre différentes générations après proposition de sa génération c’est-à-dire la génération Tchagba lors de la consultation populaire.
C’est dans ce contexte que Calixte Banan Djoman a été nommé dans les fonctions de chef du village d’Abadjin-Kouté dans la sous-préfecture de Songon au regard du procès-verbal de réunion n° 038/DA/SP-SONG du 27 janvier 2021 relatif à la consultation populaire en vue de la désignation du chef Tchagba d’Abadjin-Kouté, couronnée par Arrêté N°094/PA/CAB du 06 Août 2021. À ce jour, Calixte Banan Djoman, dont le cas de nomination est pendant devant le Conseil d’État explique : « « Le choix des quatre catégories (Djehou, Dongba, Agban et Assoukrou) de la génération Tchagba (génération montante) est soumis aux ainés (Dougbô) génération sortante puis aux doyens du village, et ensuite validé par le doyen d’âge appelé communément Nanan. » Et d’ajouter : « Je suis confus par tout ce qui se passe parce qu’après cette nomination, je travaille au nom de toute la communauté pour le développement du village dans la transparence et la bonne gestion des biens communs, et non au nom d’une seule génération pour intérêt égocentrique. »
À Songon-Kassemblé, Bodje Otti Josué a déposé une plainte contre le préfet du département d’Abidjan pour l’annulation de l’Arrêté N° 096/PA/CAB du 11 août 2022. Cet arrêté, pris par le préfet, nommait Agbassi Djaragbou Isidore en qualité de chef du village de Songon-Kassemblé, sous-préfecture de Songon. Le 2e adjoint au chef, chargé du foncier, Agnon Jonas Yadan Siméon, de la génération Tchagba Dogba, dudit village s’inquiète de l’allure que prend la nomination du chef Agbassi Djaragbou Isidore. « En son audience ordinaire du 26 juin 2024, promulguée le 11 juillet 2024, Me Affi Kadio, greffier en chef du Conseil d’État, a confirmé que la chambre présidentielle du Conseil d’État a annulé l’arrêté du chef », révèle-t-il.
Une crise de trop
Des actes d’une crise…
Cette décision a provoqué une agitation dans le village de Songon-Kassemblé. En effet, selon M. Agnon Jonas, Bodje Otti Josué, le plaignant, ‘’ne figure même pas’’ sur la liste des quatre personnes retenues par les différentes catégories du village. Approché, le sous-préfet de Songon a expliqué qu’‘’il s’agit d’un acte administratif comme tout autre, susceptible d’être contesté en justice.’’ Cependant, il multiplie les rencontres pour apaiser les tensions et ramener la paix dans cette atmosphère tendue où la moindre étincelle pourrait déclencher un conflit majeur. Dans la majorité des cas, ce qui suscite la colère des populations, selon les proches des chefs de village nommés par Arrêté, c’est que ‘’les fauteurs de troubles’’ sont poussés par la génération sortante, les Dougbo. « Cette génération souhaite placer à la tête de la chefferie un individu qu’elle peut manipuler pour administrer les biens de la communauté à leur avantage, tout en dissimulant la mauvaise gestion dont elle est accusée après quinze ans de pouvoir », accuse le secrétaire de la chefferie, Roger Mantho. Et d’ajouter : « À cette allure, chaque villageois peut déposer une plainte au Tribunal pour la même affaire et sa déposition sera recevable et jugée. J’invite au respect de nos institutions par des décisions de justice responsable. »
souventes fois complexe et profonde
À Songon-Kassemblé, les proches du chef du village sont unanimes notamment, le notable Laurent Aboua Danho. À l’en croire, il s’est passé quelque chose d’injuste au sein de la 2e chambre du Conseil d’État, dans l’affaire opposant Botti Otti Josué au préfet du département d’Abidjan, relative au village de Songon-Kassemblé, le mercredi 10 juillet 2024. « L’audience prévue n’a pas eu lieu car la 2e chambre du Conseil d’État, en charge du dossier, a indiqué que, contre toute attente, la Chambre présidentielle avait déjà jugé l’affaire », regrette le secrétaire de la chefferie. En cause, le document qui circulait sur les réseaux sociaux (Facebook) depuis le 1er juillet, mis en doute par les partisans de la chefferie du village de Songon-Kassemblé était en réalité un document officiel. « Alors que la 2e chambre avait fixé une audience pour le 10 juillet 2024, la chambre présidentielle a siégé le mercredi 26 juin, à l’insu des parties prenantes, et a rendu sa décision », réplique M. Mantho.
Témoignages, rumeurs et contestations
Cette nouvelle tournure de l’affaire judiciaire alimente les rumeurs et les spéculations vont bon train, critiquant une justice qui reste muette face aux demandes d’informations des journalistes, se retranchant derrière l’expression : ‘’outrage à un magistrat.’’ Des sages, appelés communément nanan dont nous taisons les identités crèvent l’abcès : « Certains chefs sortants (ndlr : Dougbo) ne trouvent pas dans la génération montante (Tchagba) des personnes capables de les protéger. Les villages en crise estiment que des mains obscures, tapies dans l’ombre, ont commencé à instrumentaliser certains Tchagba. Ainsi, les dissidences ont commencé à naître et à gagner du terrain », martèlent-ils. La crise du village d’Abatta, celle du village d’Adjamé Bingerville, et bien d’autres parmi les 63 villages, s’inscrivent dans ce même contexte peu reluisant et rassembleur. Dans ces accusations difficiles à prouver, plusieurs noms de personnalités placées dans la sphère du pouvoir appartenant à la génération Dougbo, circulent aux lèvres des populations dans les différents villages Atchan.
Le choix fait par les différentes catégories, contenu dans le rapport de la consultation populaire, est souventes fois contesté devant la Haute juridiction.
Nous avons approché Josué Bodjé Otti, qui a déposé une plainte contre le préfet du département d’Abidjan pour l’annulation de l’Arrêté N° 096/PA/CAB du 11 août 2022 qui consacrait Isidore Agbassi Djaragbou, en qualité de chef du village de Songon-Kassemblé. L’affaire est encore pendante devant le Conseil d’État et la procédure judiciaire n’est pas encore achevée. Le 26 juin 2024, il a obtenu l’attestation du plumitif annulant l’Arrêté, mais pas l’expédition (La Grosse). Par respect des procédures judiciaires, il n’a pas souhaité en dire plus. « Je suis prêt à répondre à vos préoccupations, mais je ne saurais en dire davantage en l’absence de mes avocats qui ont rédigé le recours gracieux en annulation auprès du Conseil d’État, après avoir consulté la Chambre des rois et chefs traditionnels de Côte d’Ivoire et la Commission nationale des droits de l’Homme », a-t-il précisé. En revanche, sur les conseils de ses avocats, M. Bodjé promet prononcer une conférence de presse une fois la procédure judiciaire totalement achevée, afin de « justifier tous les points nécessaires concernant la plainte. » Par ailleurs, la Constitution ivoirienne mentionne l’existence d’une Chambre nationale des rois et chefs traditionnels et une Assemblée des rois et chefs traditionnels, mais ne fournit pas de détails sur les conditions de déchéance d’un chef.
Pis, le décret n° 2015-358 du 20 mai 2015 portant sur l’organisation et le fonctionnement de la Chambre nationale des rois et chefs traditionnels ne contient aucune disposition régissant le mode de désignation et de déchéance applicable aux différentes chefferies du pays. Cependant, la Loi de 2014 portant sur le statut des rois et chefs traditionnels dispose en son Article 3 : « Les Rois, les Chefs de province, les Chefs de canton, les Chefs de tribu et les Chefs de village sont désignés suivant les us et coutumes dont ils relèvent. Ils exercent leur autorité sur au moins un village. »
La procédure de la destitution d’un chef de village
Zoguehi Gnahoua Auguste, préfet hors grade et inspecteur général des services de l’administration du territoire (en costume) fait des précisions
Dans une vidéo virale sur Facebook, Zoguehi Gnahoua Auguste, préfet hors grade et inspecteur général des services de l’administration du territoire, simplifie le processus de destitution d’un chef de village. M. Zoguehi Gnahoua rappelle que le chef de village administre la première circonscription de base de l’organisation administrative, qui est un service déconcentré. La hiérarchie se compose du village, de la sous-préfecture, du département et de la région. ‘’La stabilité est essentielle pour un chef’’, précise-t-il. Il ajoute que ‘’selon l’arrêté de 1934, article 8, le chef de village représente un véritable gouvernement local. Les mouvements d’humeur sont à éviter.’’ Il rappelle qu’une fois nommé par arrêté préfectoral, ‘’le chef devient un agent de l’administration, et sa destitution suit une procédure stricte.’’ À savoir entre autre, consigner par écrit les plaintes, analyse des plaintes par le préfet, demande d’explication au chef pour sa défense, décision du préfet basée sur son intime conviction, en cas de litige, intervention des juges administratifs. « Autrefois, c’était la chambre administrative de la Cour suprême ; aujourd’hui, c’est le Conseil d’État qui statue. Les décisions administratives sont soumises au contrôle judiciaire, et le non-respect de la procédure peut entraîner leur annulation pour manque de transparence administrative », révèle l’inspecteur général des services de l’administration du territoire.
La crise de nomination et de destitution des chefs Atchan persiste, met en mal la cohésion sociale dans les villages en crise. Les procédures administratives et coutumières qui semblent insuffisamment respectées, exacerbent les tensions et les conflits locaux. Entre doute et espoir, le peuple Atchan s’interroge sur l’avenir de leur village.
Sériba Koné
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