La contraction de grossesses par les jeunes filles en cours de scolarité, prend de l’ampleur. Le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) a signalé qu’au moins 4 600 écolières, collégiennes et lycéennes étaient enceintes durant l’année scolaire 2023-2024, marquant une augmentation de 15 % par rapport à l’année précédente. Le phénomène est surtout courant dans les établissements scolaires de l’arrière-pays. A l’origine, l’on pointe du doigt la précarité dans laquelle se retrouvent plusieurs de ces filles, le manque d’éducation sexuelle au sein des cellules familiales, ainsi que les préjugés qu’entretiennent les jeunes sur les effets des contraceptifs.
En 2022, Grâce avait 17 ans et était en classe de terminale. Pendant les préparations de l’examen de fin d’année, un test confirme ses doutes : elle porte une grossesse, dont l’auteur est un jeune homme de trois ans son aîné. Il n’empêche, elle continue les préparations du baccalauréat, mais finit par échouer. L’année scolaire suivante, encouragée par ses parents, elle retente l’examen. « Ma fille restait à la maison avec ma mère et je partais à l’école suivre les cours. Mes parents tenaient vraiment à ce que j’aie le Bac », explique –t-elle. Mais Grâce échoue pour la seconde fois. Aujourd’hui, elle vend de la viande de porc aux abords d’un maquis, pour subvenir aux besoins de son enfant. « L’argent que je gagne me permet au moins de subvenir à quelques besoins de mon enfant. Mes parents m’aident aussi financièrement », confie la jeune mère. Le père de son enfant, avec qui elle a souvent des conversations conflictuelles, ne contribue pas vraiment aux charges de sa progéniture.
Des histoires comme celles de Grâce sont légion à travers la Côte d’Ivoire. Après une grossesse, nombre de filles abandonnent leurs études. La Commission Nationale des Droits de l’Homme révèle que les grossesses en cours de scolarité constituent un obstacle majeur à la poursuite des études de ces jeunes filles. Ces grossesses impactent négativement leur intégrité physique et psychologique, ainsi que leur vie sociale, culturelle et économique, indique l’institution dans un communiqué.
Au village après une grossesse
En 2021, Mariam élève en classe de première, contracte également une grossesse. Pour sa tante Awa, qui s’occupe d’elle depuis le primaire, la nouvelle était difficile à admettre. L’un de ses frères lui avait dit que Mariam était enceinte, mais elle refusait de l’admettre. « C’était une jeune fille calme et tranquille qui ne posait pas de problème. J’étais loin d’imaginer qu’elle avait une relation avec quelqu’un et qu’elle était enceinte. Sur l’insistance de mon frère, j’ai décidé de l’emmener à l’hôpital pour des tests. Quand le médecin m’a annoncé qu’elle était enceinte, ce fut un choc ». Awa a même failli s’évanouir en apprenant la nouvelle : « c’était comme si j’avais échoué dans son éducation et que je ne lui avais rien appris. C’était également une grande honte pour moi », dit-elle. Mariam et son enfant se trouvent aujourd’hui au village, ses études abandonnées, avec un avenir incertain. Ses parents ont préféré couper les ponts avec le père de son enfant, qui était un de ses camarades de classe.
Ange Série a connu un meilleur dénouement. En terminale, elle entretenait une relation avec un arnaqueur du web, communément appelé « brouteur ». Malgré la violence dont ce dernier faisait preuve, elle l’aimait et poursuivait sa relation avec lui. Surtout qu’il l’aidait à arrondir ses fins du mois. À un mois du bac, elle apprend qu’elle est enceinte. Le jeune homme assume pleinement ses responsabilités. Ange décide quant à elle de poursuivre ses études. Elle réussit au baccalauréat et donne naissance à une fille quelques mois plus tard. Mais elle ne s’arrête pas là, la jeune fille décide de passer un BTS qu’elle obtient également deux ans après. Aujourd’hui, Ange Série fait un stage dans une entreprise de la place. « Si je me concentre sur mes études et que j’essaie d’aller loin dans la vie, c’est surtout pour ma fille. Je veux lui offrir un avenir meilleur et une bonne éducation. J’ai la chance aussi d’avoir des parents qui m’encouragent à le faire », explique-t-elle. Contracter une grossesse en milieu scolaire, c’est aussi faire face à des critiques et des railleries. Ange en a fait les frais. « Je voyais certaines personnes me regarder du coin de l’œil, je les entendais m’insulter et me traiter de fille inconsciente. À vrai dire, je n’y prêtais pas trop attention. »
La précarité des parents
Des histoires de grossesse en milieu scolaire comme celles- là, foisonnent aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Les médias se font souvent le plaisir de les relayer. C’est le cas d’une collégienne de 16 ans qui a accouché en pleine composition du BEPC à Duékoué. Il y aussi le cas de Djénéba Kossouba, élève en classe de CM2 qui a été violée par son directeur d’école au cours de cette année 2024. L’homme l’a ensuite contrainte à faire un avortement clandestin auquel la jeune fille n’a pas survécu.
Qu’est ce qui peut bien expliquer la multiplication des grossesses en milieu scolaire, en dépit des dénonciations et surtout de la sensibilisation faites en direction des élèves ? Nour Bakayoko, psycho thérapeute, accuse la précarité des parents d’être le premier facteur expliquant la survenue des grossesses en cours de scolarité. Les plus grands taux de ces grossesses sont enregistrés à l’intérieur du pays. La région de la Nawa est la plus touchée avec 409 cas, suivie de près par le Tonpki (408 cas), le Poro (254 cas), le Gontougo (253 cas). « Les moyens financiers mis à la disposition de ces élèves pour subvenir à leurs besoins cruciaux, ne sont pas toujours suffisants. Aussi, entretiennent-elles souvent des relations avec des hommes qui peuvent subvenir à quelques -uns de leur besoin », explique Nour Bakayoko.
Selon les statistiques de 2020 fournies par le ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation (MENA), les auteurs de ces grossesses sont majoritairement des élèves et des étudiants avec 31, 51% des cas, suivis du corps des artisans (petits métiers) à hauteur de 30,37% des cas. A côté de ces deux catégories majoritaires, il y a une flopée d’autres corps de métiers tels que les agriculteurs, les orpailleurs, les chauffeurs de taxi, etc. Les personnels du MENA ne représentent que 1,56% des auteurs.
Centres médicaux scolaires
A travers le pays, il existe des centres médicaux scolaires disponibles dans certaines écoles et dans les districts sanitaires. Pour contribuer à la réduction notable de ces grossesses, ces centres offrent gratuitement des contraceptifs (pilules, injections, préservatifs, stérilets, etc.) aux jeunes filles. Cependant, certaines personnes estiment qu’il n’y a pas suffisamment de communication portant sur l’existence même de ces centres et partant, sur les offres gratuites de contraceptifs, qu’ils font « J’ai connu l’existence des centres médicaux scolaires juste après mon bac, grâce aux réseaux sociaux. Je trouve anormal qu’il n’y ait pas plus de communication sur leur existence et les services qu’ils offrent ».
De Lima Soro
Lebancon.net
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