Contribution/ L’Université, un horizon et non un enfermement

S’il y a une chose qui soit la moins partagée par les pouvoirs politiques en Afrique, et qui se présente à eux comme un kyste, un nœud gordien, ou encore comme un totem et tabou (pour reprendre un peu ici le titre d’un ouvrage du psychanalyste Sigmund Freud), c’est le rôle de l’Université, ce temple des savoirs. Et ce n’est pas pour rien. C’est simplement parce que, comme un sanctuaire sacré qui inspire des sentiments craintifs, l’Université fait peur pour les idées et réflexions qui y prennent naissance, pour s’y échafauder et voir le grand jour. À ce moment-là, c’est-à-dire au moment crucial où ces idées et réflexions sortent des cerveaux accomplis de ceux qui les pensent, elles sont déjà trop vieilles, c’est-à-dire mûres et mâtures, et donc suffisamment sures d’elles-mêmes, pour être domptées par un pouvoir politique répressif.

Là, se trouve en effet aussi la lame de fond qu’elles représentent aux yeux de toit pouvoir politique : être la réalité de la contradiction intellectuelle portée sur la réalité du pouvoir politique.

L’Université est donc comme un génie (fircément regardé comme malfaisant) inspirant craintes et peurs aux simples mortels parés des lambris du pouvoir politique, et qui gouvernent nos cités dans le secret espoir de n’être contestés en rien ni par personne.

Or, c’est une erreur, et pour l’Afrique, une erreur congénitale, de voir des pouvoirs politiques prendre pour « ennemie » l’Université et ses cerveaux de premier plan.

Ceux-là, ces cerveaux, perçus ou vus comme d’éternels insoumis qui mettraient la société et son fonctionnement en danger, pour leurs idées et réflexions imparables, sont pourtant ce qu’il y a de mieux pour nos sociétés aveuglées par l’obscurantisme politique.

Pendant, qu’au nom de cet obscurantisme, les dirigeants politiques abusent de l’esprit des citoyens peu ou prou préparés à la compréhension de la chose publique, les intellectuels universitaires, en tout cas ceux qui parmi eux sont l’incarnation de l’intellectuel que rien ne corromp – et il en existe heureusement – ont pour rôle clé de faire tomber les écailles des yeux des abusés.

Là, se trouve le drame réel du conflit entre l’intellectuel (celui qu’on vient de décrire, impossible à se laisser corrompre), et le prince régnant.

L’insubmersible penseur philosophe de la Chine antique, Confucius, en a été, de son vivant, l’illustration : voué au métier de conseiller de souverains de son époque, il n’a pu en récolter que blâmes et intrigues contre sa personne, ourdis par ces souverains eux-mêmes, qui tenaient à n’être caressés que dans le sens des poils, et à être encensés par ce conseiller réputé philosophe, plutôt que d’entendre ses prévenances et critiques.

C’est donc un problème vieux comme le monde, qui se pose de nos jours encore à nos sociétés humaines, et singulièrement en Afrique où l’intellectuel, fait comme il faut, ne fait pas (longtemps) bon ménage avec le prince du moment, sauf à se laisser lui-même corrompre par les ors et lambris princiers.

Cela suffit-il à voir l’Université renoncer à son rôle de temple des savoirs lumineux, et de formateur des esprits éclairés, et pis encore, voir l’intellectuel tournet le dos au sien? C’est à ce point si crucial des choses, où le fonctionnement et le futur de nos sociétés se jouent, que l’on découvre le vrai visage des intellectuels : sont-ils faux, en ceci qu’ils s’abandonnent tout entier à la docilité voulue et même exigée d’eux par le prince régnant, ou au contraire, sont-ils en mesure de rester dignes de leur statut de vrais intellectuels que rien ni personne ne corromp ?

C’est cette question épineuse qu’avait justement tenté de résoudre Platon, à son époque : encourager, pour le grand bonheur de la société, à faire du philosophe un roi, et du roi un philosophe. C’est-à-dire, que le philosophe soit accepté d’instruire le roi aux connaissances et savoirs idoines pour mieux être outillé à bien gouverner, et que le roi soit imprégné de la raison pure et des réflexions altruistes lui permettant d’être un bon prince. Là, se trouve à la fois la pomme de discorde et la juste mesure des choses.

L’université est un horizon, et non un enfermement.

Sylvain Takoué,
Écrivain ivoirien,
Bamako, le 21 juin 2024.

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