La Maison du Burkina : un édifice à la dimension des liens qui unissent la CI et le Burkina.
Plusieurs estiment que l’immeuble avait sa place à Ouagadougou où il serait certainement
l’un des édifices les plus hauts et les plus beaux de la ville. Le Burkina l’a-t-il réellement
financé ?
En plein cœur de la commune du plateau, dans le dos de la BCEAO, sur une vaste superficie, s’élève un très bel immeuble de 16 niveaux (14 étages et deux sous-sols) sur une superficie relativement vaste. Entièrement recouvert de vitre, l’édifice est en finition en ce mois de Juin 2024. C’est la Tour du Burkina ou la Maison du Burkina. C’était un vieux rêve de la communauté burkinabè en Côte d’Ivoire, de disposer d’un édifice qui à l’instar de la maison du Mali à quelques encablures de là, devait concentrer tous les services officiels de l’Etat burkinabè (ambassade et résidence de l’ambassadeur, consulat général, chambre de commerce, et autres services diplomatiques, économiques, culturelles).
Pays frontalier, le Burkina est un important partenaire de la Côte d’Ivoire. Le port d’Abidjan est son « débouché naturel » sur l’océan, quoique ces derniers temps pour des raisons que l’on sait, le pays se reporte de plus en plus sur le port de Lomé. Entre 1932 et 1947, les deux territoires étaient inclus dans la même colonie. De par sa taille, la communauté burkinabè est la plus importante diaspora en Côte d’Ivoire (environ 06 millions d’individus selon les données consulaires de 2020). Les populations sont imbriquées, ainsi que les flux économiques, les burkinabés ont un rôle de premier plan dans l’agriculture ivoirienne. Il était logique qu’un édifice soit bâti à la dimension de tous ces liens.
Mais des questions se posent. Tout d’abord la superficie du site interpelle. 5 886 m2, relativement immense dans une commune du Plateau où les lots sont au restreint. Ce site est le second de par sa taille qui abrite une représentation diplomatique en Côte d’Ivoire, derrière celui de l’ambassade des Etats-Unis à la Riviera Golf. Le Burkina ne l’a pas acquis dans une transaction en bonne et due forme. Le site a été « mis à sa disposition » ( c’est la formule consacrée ), par l’Etat ivoirien. Un don pour faire simple. Il se dit que la CI a également bénéficié d’un don similaire dans la capitale burkinabé. Cela reste à vérifier vu les changements de régime intervenus au « pays des hommes intègres ».
Avant que le président Compaoré ne soit renversé en 2014 par une révolte populaire (suite à sa tentative de modifier la constitution et remettre le compteur des mandats à zéro), les relations entre la CI et le Burkina étaient « fusionnelles ». Un conseil des ministres conjoint s’est tenu à Ouagadougou en Novembre 2011 où d’importantes décisions furent prises, dont la construction de la Maison du Burkina. Entre 2011 et 2014, les entreprises burkinabé exécutaient beaucoup de marchés publics en Côte d’Ivoire, principalement dans l’entretien et la construction routière. Le Burkina avait des vues sur les mines d’or. Visiblement il y avait une prédation du président Compaoré sur l’économie ivoirienne, estimant à tort ou à raison que le président Ouattara lui devait en partie son accession au pouvoir. La Maison du Burkina et tout le reste résultent de son emprise sur le président ivoirien.
La construction de l’édifice a été lancée le 27 Mars 2014. Le coût n’a jamais été officiellement communiqué. Plusieurs montants circulent dans la presse : 27,55 milliards FCFA, 20 milliards, ou 25 milliards. De sources concordantes, on sait que le coût est inférieur à 30 milliards. La question de l’origine du financement ( le montage financier ) reste également opaque. On parle vaguement d’un partenariat public privé sans en préciser les contours. Qui de la CI ou du Burkina finance réellement les travaux ? La question fait sens. Pourquoi le Burkina financerait à l’étranger un immeuble de 16 niveaux, une infrastructure qu’il n’a pas à domicile ?
Sur les réseaux sociaux, ils sont d’ailleurs nombreux à relever que cet immeuble avait sa place non pas à Abidjan, mais à Ouagadougou où il aurait mieux contribué au rayonnement de la ville. Ils estiment illogique que le pays « ait mis autant d’argent » dans une infrastructure bâtie à l’étranger. Depuis dix ans qu’ils durent, les travaux ont connu plusieurs interruptions, selon l’évolution de la situation politique au Burkina. Le pays a connu quatre présidents après le départ du président Compaoré : Michel Kafando ( le président de transition 2014-2015 ), Roch Kaboré ( 2015 – 2022 ), le lieutenant-colonel Paul Damiba ( Janvier – Septembre 2022 ), et le capitaine Ibrahima Traoré (depuis le 03 Septembre 2022 ). Seul Michel Kafando a visité le chantier, preuve que les autres se sont désintéressés de la question, notamment le président Roch Kaboré qui est resté au pouvoir de 2015 à 2022.
Aujourd’hui les relations sont au plus bas entre la CI et le Burkina. Les incidents armés se multiplient à la frontière. La rencontre au sommet entre les ministres de la défense des deux pays le 19 Avril 2024, qui devait faire baisser la tension, n’a accouché d’aucun résultat concret. Le capitaine Traoré dans une interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique après cette rencontre, avait parlé de « l’hypocrisie » de la Côte d’Ivoire qui selon lui « abrite tous ceux qui veulent déstabiliser le Faso ». La déclaration avait exaspéré les autorités ivoiriennes, qui ont rappelé leur don d’équipement militaire d’un montant de 2,3 milliards FCFA au Burkina en Mars 2023, pour l’aider à lutter contre le terrorisme.
D’autre part, en avril 2024 l’hebdomadaire Jeune Afrique révélait la découverte par les renseignements ivoiriens d’un « complot » en préparation depuis le Burkina, où une cinquantaine d’anciens militaires ivoiriens seraient en formation pour entreprendre des « actions déstabilisatrices » en CI. Pour les autorités ivoiriennes, c’est bien le Burkina qui abrite ceux qui veulent déstabiliser la CI et non l’inverse. Le Faso détient depuis Septembre 2023 deux gendarmes Ivoiriens qui se sont malencontreusement retrouvés sur son territoire lors d’une patrouille. La CI détient aussi depuis mars 2024, un militaire burkinabé et un supplétif civil, qui ont aussi malencontreusement franchi la frontière. Bref la tension est vive.
Sur le plan économique, le Burkina est en proie à de graves difficultés budgétaires du fait des besoins d’équipement de l’armée, et de la fermeture de plusieurs mines d’or pour cause d’insécurité, l’une de ses principales sources de revenus. La production cotonnière est aussi perturbée par l’insécurité. De nouveaux impôts ont été créés, la TVA sur certains produits a été augmentée, mais cela n’a pas eu un grand impact sur les recettes de l’Etat.
Et pourtant les travaux de la Maison du Burkina ont connu une accélération pendant ce temps. Si on part du principe que le financement est burkinabé, ce serait surprenant que le pays finance l’édifice en ce moment, dans un contexte de difficultés financières, de tensions entre les deux régimes, et de baisse du niveau d’échanges. Les deux pays en ce moment s’éloignent l’un de l’autre. Il n’ y a pas vraiment de signe de rapprochement. Curieux que dans un tel contexte, le financement de l’édifice soit une priorité du capitaine Traoré. L’accélération des travaux ne peut s’expliquer que si on admet que le financement vient de la Côte d’Ivoire.
Le Burkina intervient certainement dans le budget de l’infrastructure. On sait que 1,5 milliards FCFA provenant d’une taxe spéciale greffée sur les cartes consulaires, devait servir au financement de la tour. Cela reste toutefois marginal. Tout porte à croire que « l’essentiel » des fonds provient de la Côte d’Ivoire, raison pour laquelle le coût de l’ouvrage et le montage financier n’ont jamais été révélés. Cela aurait évidemment fait scandale dans les deux pays. La Maison du Burkina, de l’acquisition du site à la construction de la tour, a tout d’un don de la Côte d’Ivoire au « pays des hommes intègres « . C’est le résultat, comme on l’a souligné plus haut, de l’emprise du président Compaoré ( avant sa chute ) sur le Président Ouattara.
Cela n’a rien d’inédit en Afrique. Le bâtiment de l’ambassade de la Centrafrique à Malabo, est un don de la Guinée Equatoriale à la RCA. En Côte d’Ivoire la Mosquée Mohamed VI récemment inaugurée ( la plus grande du pays ), est un don du roi du Maroc. Toutefois on remarquera que le président Teodoro Obiang Nguema n’était pas son l’emprise du président centrafricain, pas plus que le souverain du Maroc n’était son l’emprise du président ivoirien lorsqu’il décidait de faire le don.
Comment aurait évolué la relation entre les présidents Ouattara et Compaoré si ce dernier s’était maintenu au pouvoir ? Aurait-il renforcé son emprise en exigeant toujours plus, ou alors le président Ouattara se serait-il émancipé de cette influence ? Ce dernier n’est pas homme à se laisser dicter sa conduite. Il semble qu’ à partir de 2013, des tensions étaient apparues entre les deux hommes du fait des intentions burkinabés sur le secteur de l’or en Côte d’Ivoire. Tout porte à croire que le président Ouattara aurait fini par « se libérer » de cette tutelle qui ne disait pas son nom. Une chose est cependant claire, si le président Blaise était demeuré aux affaires, la Maison du Burkina aurait déjà été inaugurée il y a longtemps. Or aujourd’hui, plus de dix ans après le lancement des travaux, l’inauguration reste une perspective plus ou moins lointaine.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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