Quelles sont les nouvelles perspectives pétrolières après la découverte du champ « calao » en mars 2024 ?

Le 28 Août 2023, la Côte d’Ivoire lançait la production du gisement « baleine », un important champ pétrolier dont la découverte fut annoncée le 01 Septembre 2021. Juste deux années ont séparé la découverte du gisement de sa mise en production. Un délai plutôt court, comparé à la production du champ  »jubilee » au Ghana voisin, démarrée en 2011 alors que le gisement fut découvert en 2007. Prévue entre mis en exploitation en trois phases, de 2023 à 2027, le champ « baleine » doit produire à terme 150 000 barils/jour, qui viendront s’ajouter aux quelques 40 000 barils/jour actuellement produits, ce qui va amener la production ivoirienne à flirter avec la barre des 200 000 barils/jour au plus tard en 2027. Le pays ne sera plus alors considéré comme un  »petit producteur ».

Cette rapide entrée en production du gisement « baleine » a été possible par l’utilisation d’une unité flottante de production ( FPSO en anglais ), en lieu et place d’une plateforme conventionnelle construite sur site comme on le fait habituellement. Avec des réserves estimées dans un premier temps à 2 milliards de barils de pétrole brut, puis revues revues à la hausse à 2,5 milliards de barils, le gisement  »baleine » est la plus grosse découverte effectuée à ce jour en Côte d’Ivoire, et l’une des plus importantes du golfe de guinée ces vingt dernières années. A juste titre on parle d’un « gisement de classe mondiale » ( formule employée par le ministre ivoirien du pétrole ).

C’est avec ces perspectives pétrolières particulièrement prometteuses, que le groupe italien ENI (qui a découvert et qui exploite le gisement « baleine »), annonce le 07 Mars 2024 la découverte d’un nouveau champ pétrolier. Baptisé « calao », les réserves sont estimées entre 1 et 1.5 milliards de barils de pétrole, soit environ la moitié de celles du champ « baleine ». On estime qu’en phase de croisière, la production de ce nouveau champ va se stabiliser autour de 50 000 barils / jour, une production que les autorités ivoiriennes espèrent voir démarrer en 2026.

Déjà aux « portes de l’OPEP » avec le champ  »baleine », l’ambition de la CI d’intégrer ce cartel sera encore plus confortée avec le nouveau champ « calao », qui portera la production globale à un peu moins de 250 000 barils/jour. D’autre part, sur les cinquante blocs pétroliers au large de la CI, 29 n’ont pas encore été attribués, ce qui laisse augurer de futures découvertes. La CI deviendra-t-elle un pays pétrolier et non plus agricole ? Tout porte à le croire. Sur la base de 80 dollars le baril (le prix défendu par l’OPEP), c’est environ 3,65 milliards de dollars que la CI va capter annuellement de sa manne pétrolière, soit plus de 2 000 milliards de FCFA, lorsqu’elle va exercer ses pleins droits sur les gisements, c’est à dire détenir plus de 51% des parts.

Le scénario ghanéen : des prévisions de production trop optimistes

Ainsi que nous l’avons souligné dans un précédent article, les autorités ivoiriennes doivent se montrer toutefois prudentes devant ces perspectives pétrolières. Avec les importants gisements découverts au large du Ghana voisin, en 2000 et en 2008 ( notamment le gisement « jubilee »), on prévoyait pour ce pays une production pétrolière pleine de promesses (entre 300 000 et 500 000 barils/jour). Mais celle-ci a toujours été erratique et n’a jamais dépassé les 180 000 barils / jour. Elle est constamment en baisse depuis 2020, s’établissant à environ 51 000 barils/jour en 2022. En cause un phénomène d’enrochement et d’ensablement des puits. Sitôt forés, ils se remplissent de sable et de roche, ce qui rend difficile l’extraction du pétrole. Certaines compagnies se sont retirées du pays.

La CI et le Ghana partagent le même bassin sédimentaire. Les puits ivoiriens ne sont ainsi pas à l’abri de ce phénomène, d’autant plus que les puits au large de Jacqueville sont fréquemment ensablés. Le Ghana s’est massivement endetté sur la base des recettes qu’il avait anticipées de l’exploitation pétrolière. De 2010 à 2016, des eurobonds d’un à deux milliards de dollars étaient émis chaque année. Mais les recettes attendues ne se sont pas concrétisées, entraînant un surendettement dès 2017, un défaut sur la dette en 2022, et de graves difficultés financières à domicile dont il peine à en sortir à ce jour. Il est heureux que la Côte d’Ivoire n’ait pas levé un super emprunt de 8 milliards de dollars garanti par le champ « baleine » comme la presse l’avait révélé en tout début d’année 2024. Cela aurait vraiment été hasardeux.

Le scénario nigérian : un regain d’intérêt plutôt tardif vers l’agriculture ?

Le Nigéria était un grand pays agricole au début des indépendances avec le cacao, le café, et surtout le palmier à huile. Mais il s’est désintéressé de l’agriculture lorsque les premiers gisements d’hydrocarbures ont été découverts dans les années 60. En Asie du Sud Est, des pays tels que l’Indonésie et la Malaisie ont amorcé leur décollage grâce au palmier à huile. Aujourd’hui ce sont des économies émergentes loin devant le Nigéria. Elles se sont bien sûr diversifiées par la suite. Le Nigéria est demeuré dépendant du pétrole jusqu’ aujourd’hui, plus de cinquante années après la découverte des premiers gisements.

S’il avait maintenu sa trajectoire agricole, il serait aujourd’hui un super pays agricole, peut être le grenier d’une bonne partie de l’Afrique vu sa taille et sa population. Son développement aurait été plus endogène à l’image des pays émergents d’Asie, ou même du Maroc plus près de nous, qui est lui aussi un grand industriel mais aussi agricole. C’est instructif de savoir que le Nigéria et le Gabon, ont mis récemment en place d’ambitieux plans de développement de la filière palmier à huile. Ils ont enfin compris que cette culture était une carte à jouer. Il faut d’ailleurs noter que le palmier à huile est le produit agricole le plus transformé en CI. Il entrera en 2025 dans la production d’électricité avec une première usine à biomasse dans la région d’Aboisso.

Deux importants gisements d’or et de coltan viennent d’être découverts dans le pays. Devant toutes ces découvertes, les autorités ivoiriennes doivent garder la tête froide. Le pétrole et les mines en général doivent consolider l’agriculture et non se substituer à elle comme cela s’est vu au Nigéria et dans plusieurs autres pays africains, qui ont pris l’habitude de « croiser les bras » et attendre tranquillement que leurs parts de recettes leur soit versée. La CI a misé sur son agriculture pour parvenir à un développement envié par tous. Désigne à juste titre comme  » le pays le plus agricole du continent » , la CI doit continuer à privilégier son secteur agricole, continuer à se focaliser sur son cacao, son anacarde, son palmier à huile, son hévéa, son coton, et son café, car l’agriculture crée plus de filières industrielles que le pétrole, l’agriculture irrigue plus l’économie que le pétrole.

Douglas Mountain

oceanpremier4@gmail.com

Le Cercle des Réflexions Libérales

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