L’interdiction des wottro ou pousse-pousse à Abidjan n’est pas respectée

Le ministre-gouverneur du District autonome d’Abidjan, Cissé Ibrahim Bacongo, dans un communiqué daté du 2 avril 2024, a informé la population que, dans le cadre de la lutte contre le désordre urbain, l’usage des charrettes à bras, communément appelées Wottro ou pousse-pousse, est désormais « formellement interdit sur toute l’étendue du territoire du District d’Abidjan ». Ce communiqué précise que cette décision vise à assainir le cadre de vie des populations, à assurer davantage la sécurité des personnes et des biens ainsi qu’une meilleure fluidité routière. Mais dans les faits, l’application de cette décision du District n’est pas respectée partout.

A Abobo, depuis la diffusion du communiqué interdisant la circulation de ces charrettes à bras, on ne trouve plus ces engins sur les grands axes routiers de la commune. Ils sont plutôt sur les voies secondaires. Dans la commune de Treichvilleégalement, ces charrettes continuent de circuler, régulièrement chargées de marchandises ou de bagages divers.

Dans la commune d’Adjamé, des jeunes gens continuent d’utiliser ces engins pour transporter des bagages, moyennant de l’argent. Nous avons approché le service en charge de ces charrettes, au niveau de la direction technique de la Mairie d’Adjamé, dont les locaux sont contigus à ceux de l’entreprise de presse « Fraternité Matin » aux 220 logements. Là, l’on nous a informé que la décision du District n’est pas encore mise en œuvre dans la commune d’Adjamé. De plus, nul ne peut affirmer qu’elle le sera dans l’avenir.

Sur l’axe Nangui Abrogoua d’Adjamé, ce vendredi 10 mai 2024, des jeunes gens avec des wottros se promènent et tentent tant bien que mal de se frayer un chemin dans le trafic routier dense. Derrière sa charrette aux pneus usés, Ali Sangaré, jeune Malien de 27 ans, attend patiemment des clients. Il exerce ce métier depuis son arrivée en Côte d’Ivoire en 2008. Pour lui, cette activité est un héritage familial et une source de subsistance. « Je suis déterminé à continuer malgré l’interdiction du District, car c’est le seul moyen que je connais pour gagner ma vie », a-t-il déclaré.

« Cette activité est mon gagne-pain »

Non loin du forum d’Adjamé, Souleymane, originaire du Niger et âgé de 30 ans, est installé en Côte d’Ivoire depuis 2009. Charretier de son état, il attend patiemment qu’un client fasse appel à ses services. Le jeune homme qui vit dans un quartier défavorisé avec sa famille, rencontre des difficultés à subvenir à leurs besoins. Il ne voit pas d’un bon œil cette interdiction. « Je préfère qu’on me demande de quitter le pays, parce que cette activité est mon gagne-pain et je ne sais faire que ça de mes dix doigts. L’État peut essayer de fixer des règles qu’on va suivre, mais nous interdire de circuler avec nos pousse-pousse va vraiment nous pénaliser », a-t-il déclaré d’une mine triste.

Près du Forum d’Adjamé, Ahmed Niang vend des bouilloires et d’autres objets en plastique. Il a fait venir ses frères du Sénégal pour aider ses clients à transporter leurs achats en charrette, quand ils en ont besoin. Hamed espère que la décision du District ne sera jamais appliquée au risque de voir ses frères au chômage. « C’est ce qu’ils font pour avoir un peu d’argent et subvenir à leurs besoins. S’ils arrêtent l’activité, ils n’auront plus rien à faire et ils ne peuvent pas se retourner au pays sans argent », confit- il dans un français approximatif.

« Ils sont d’une grande utilité »

À Adjamé, nombre de commerçants ont recours aux transporteurs de bagages. Pour eux également, l’interdiction de ces engins dans la circulation n’est pas bien accueillie. Affectueusement appelée Mama Fany, Aïcha Savané, commerçante de pagnes au marché Roxy, a recours quotidiennement aux pousse-pousse pour transporter ses pagnes de son magasin vers ceux de ses clients qui se trouvent à des endroits différents d’Adjamé. « Ils sont d’une grande utilité. Avec eux, les frais de transport sont à moindre coût, contrairement aux taxis. Ce sera un handicap pour nous si on les retire de la circulation. C’est une décision qui doit être revue. Nous implorons les autorités », a-t-elle affirmé.

Judith Oulaï est du même avis. Commerçante de robes et boubous, elle vient régulièrement faire des achats à Petit Noé, une place commerciale située juste derrière la grande mosquée d’Adjamé. Judith fait régulièrement appel aux charretiers, pour transporter ses marchandises. « Les bagages sont lourds. Je ne peux pas les soulever moi-même. Donc je demande à ces jeunes de transporter mes bagages jusqu’à la gare de gbaka (mini car), où je prends un véhicule pour rentrer chez moi », explique Judith.

« Le District devait tenir compte de nous les utilisateurs »

Au moins trois fois par mois, Aïcha Sanogo quitte Tanda pour se rendre à Abidjan. Commerçante d’accessoires pour bébé, c’est à Adjamé qu’elle vient s’approvisionner. Pour elle qui fait des achats qui dépassent parfois le million, ces charrettes sont très utiles. « Je fais mes achats dans plusieurs magasins. Je ne peux pas porter toute ma marchandise moi-même, surtout que je dois faire le tour du marché », explique-t-elle, précisant que les charretiers l’aident à transporter ses marchandises, jusqu’à la gare de Tanda située vers l’immeuble Mirador. « Le District devait tenir compte de nous les utilisateurs avant de prendre la mesure. Il faut qu’il trouve des solutions pour nous, qui en avons vraiment besoin. Parce que sans ces charrettes, ça sera vraiment difficile », suggère Aïcha.

Accrochages avec les taxis

Tout le monde n’a pas la même opinion sur ces portefaix. Coulibaly Fougnigué, qui fait fréquemment ses courses à Adjamé, a déjà eu des disputes avec certains d’entre eux. Il estime que l’interdiction vient à point nommé, pour lutter contre le désordre que ces charretiers créent. Aussi, invite-t-il le District à prendre des mesures idoines, pour faire respecter la décision. M. Coulibaly confie qu’il y a quelque temps, l’un d’entre eux avait déchiré son t-shirt, sous prétexte qu’il était pressé. « Il m’a également fait savoir que j’étais sur son passage et que je l’empêchais de circuler correctement ». Fougnigué ajoute qu’il a assisté, il y a peu de temps, à une bagarre entre un chauffeur de taxi et un pousseur de charrette, qui avait chargé des bagages lourds et qui a fini par percuter le véhicule.

Embouteillages et accidents

Tout en partageant l’avis de Coulibaly, Franck Sékongo, chauffeur de taxi, il trouve également que les charrettes occasionnent des embouteillages sur l’axe Nangui Abrogoua. « Ils disputent la route avec nous, ce qui crée parfois des embouteillages et même des accidents. Il y a des moments où tu es au volant et ils surgissent tout d’un coup devant toi », se plaint-il.

En revanche, Abdoul Kaboré, l’un de ses collègues préconise que cette activité soit plutôt encadrée, au lieu d’être supprimée. « C’est vrai qu’ils créent beaucoup de désagréments aux automobilistes dans la circulation avec leurs charrettes. Mais ils sont tout de même utiles. Il faut juste trouver une solution pour qu’ils ne puissent plus causer du désordre », défend-il.

De Lima Soro

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