Transition guinéenne: Mamadi Doumbouya compte jouer les prolongations au delà de 2024

Le 05 Septembre 2021, on apprenait que le président Alpha Condé de la Guinée Conakry était renversé. Comme toujours en pareil cas, les premières informations étaient confuses, le ministère guinéen de la défense affirmait sur les ondes de la télé d’Etat avoir repoussé une tentative de putsch. Puis le soir du même jour, la photo du président Alpha Condé aux mains des militaires inondait les réseaux sociaux, elle fit le tour du monde, et mit fin à la confusion. L’homme avait bel et bien été mis aux arrêts. Peu à peu le voile se leva sur le putsch.

On apprenait qu’il était l’œuvre du « Groupement des Forces Spéciales », une unité d’élite de l’armée, commandée par le Colonel Mamadi Doumbouya. L’homme apparut à la télé le lendemain pour son premier discours, entouré d’hommes en armes et des lunettes fumées au visage. Ainsi la Guinée Conakry renouait avec les régimes militaires. Le 05 Septembre 2024 le Colonel Mamadi Doumbouya totalisera déjà trois années à la tête de la Guinée !!! Que le temps passe vite !! Suite au « dialogue national inclusif  » une transition de trois ans était décidée en Mai 2022. Sous la pression de la CEDEAO, elle est ramenée à deux ans à compter du 01 Janvier 2023, ainsi elle s’achève le 31 Décembre 2024.

Le Colonel Doumbouya ( il devenu général de corps d’armée depuis le 24 Janvier 2024 ) va-t-il tenir sa promesse et remettre le pouvoir au civil ? Son nouveau premier ministre nommé le 27 Février dernier ( il en a nommé trois depuis qu’il a pris le pouvoir ), un certain Bah Oury, un vieil opposant, vient de répondre à cette préoccupation en admettant officiellement dans une interview au média RFI le 12 Mars dernier, que « la transition va certainement s’étendre jusqu’en 2025 ». L’homme n’a pas évoqué une nouvelle date. Les partis politiques sont vent debout, et des manifestations sont prévues.

Un putschiste reste un putschiste

Doit-on vraiment être surpris de cette posture du désormais Général Doumbouya ? Pouvait-il en être autrement ? Pouvait-on raisonnablement croire que ce monsieur respecterait sa parole et remettrait sagement le pouvoir aux civils ? Depuis qu’il est dans la place quel changement concret peut-on mettre à son actif sur le plan des libertés ? En fait, le constat est simple : une dictature en a remplacé une autre. D’alpha Condé à Mamadi Doumbouya, le climat social et politique reste le même. Les manifestations sont réprimées, les hommes politiques sont internés ou s’exilent, et le pouvoir est comme « verrouillé », exercé par un seul homme.

Après l’idylle des trois premiers mois, le divorce est depuis consommé entre le CNRD, l’organe dirigeant de la transition, et les opposants guinéens qui reprochent au chef de la junte « d’ avoir confisqué le pouvoir et de vouloir s’éterniser dans la place ». Tout comme au Mali, on voit mal Monsieur Doumbouya remettre le pouvoir à un civil et se retirer. Et c’est bien là le drame de ces « régimes de transition ». Au Mali la transition a officiellement pris fin le 26 mars dernier. Depuis lors, le gouvernement a interdit l’activité des partis politiques « jusqu’à nouvel ordre ». Le retour des pouvoirs civils est loin d’être garanti dans ces pays. Et si un civil viendrait au pouvoir, rien ne dit qu’ils le laisseront diriger le pays.

S’il se démarque de ses homologues du Sahel en ce sens qu’il maintient une coopération avec la France, l’homme fort de la Guinée Conakry reste quelqu’un qui s’est emparé du pouvoir par les armes, il ne faut pas perdre cela de vue. Ironie de l’histoire, l’unité qu’il commandait avait été mise sur pied officiellement pour lutter contre le terrorisme, mais officieusement pour parer à toute tentative de putsch. Seconde ironie, sa mise aux arrêts était prévue pour le lendemain 06 Septembre 2021, l’homme était étroitement surveillé depuis que les services de renseignement du ministère de la défense avaient mis au jour ses correspondances « suspectes » avec le colonel Assimi Goita du Mali.

« Beaucoup pensent que le président Alpha Condé a pêché par un excès de confiance. Très sûr de lui, il affirmait régulièrement que  » celui qui peut le renverser n’est pas encore né « .

Alpha Condé et Mamadi Doumbouya se connaissaient depuis la France, l’un était opposant en exil, et l’autre soldat dans la légion étrangère. En 2012 Mamadi Doumouya rentre en Guinée, il est conseiller auprès du Président Condé. Méfiant à l’égard de l’armée, et se préparant à modifier la constitution pour « remettre à zéro le compteur des mandats », Alpha Condé décide de mettre sur pied le  » Groupement des Forces Spéciales » en 2018, qu’il confie à Mamadi Doumbouya avec qui il entretenait on s’en doute des relations étroites. Véritable garde prétorienne, cette unité ne dépendait pas de l’état-major des armées, mais directement de la présidence de la République. C’est un schéma typique des pouvoirs africains.

Le ministre guinéen de la défense a mis longtemps à convaincre le Président Alpha Condé du « double jeu » de Mamadi Doumbouya. Lorsque sa mise aux arrêts fut enfin décidée, ce fut un peu tard, car se sachant surveillé, l’homme savait son arrestation inéluctable, aussi avait-il déjà conçu un plan pour sa prise du pouvoir. « Informé » du jour de son arrestation, il décide de passer à l’action la veille. Ce putsch fut vraiment une surprise, car à la suite de celui du Mali, le premier de la série, tous les régimes avaient pris des mesures pour parer à toute « éventualité ». Le régime du président Alpha Condé était réputé l’un des plus durs de la sous-région.

De même qu’il est impossible de faire échec au braquage d’une banque, s’il est organisé de l’intérieur, de même ce putsch était difficile à déjouer car l’unité en action était celle chargée de faire face à tout putsch !! On peut le dire, Mamadi Doumbouya a planté un poignard dans le dos de son maître. Sa démarche fut reprise par le général Tiani au Niger en Juillet 2023. Lui aussi dirigeait la garde présidentielle, l’unité chargée de faire face à toute tentative de putsch. Son limogeage et la restructuration de cette unité était prévue le 27 Juillet, et comme Mamadi Doumbouya avant lui, la veille de son arrestation soit le 26 Juillet, le général Tiani décide de « passer à l’action » en prenant en otage l’homme dont il était censé assurer la protection.

Des régimes qui naviguent à vue , sans aucune boussole, dans une fuite en avant

Économiquement, ces régimes ont plombé tous ces pays, peut être excepté le Tchad où nous sommes dans une certaine continuité. Dans les pays du Sahel, et en Guinée, les investissements se sont totalement taris en dehors des mines. C’est bel et bien un retour en arrière à la fois politique et économique que vivent ces pays. Ces messieurs n’ont aucun projet, ils naviguent à vue. La jeunesse n’a aucune perspective. Il est aujourd’hui certain qu’au Mali, au Burkina, au Niger, en Guinée et au Tchad, les militaires ne vont jamais relâcher le pouvoir et retourner dans les casernes. Et il se trouve des intellectuels pour applaudir cette situation, la qualifiant de « libération de l’Afrique ».

Il ne faut pas attendre de Mamadi Doumbouya qu’il respecte une quelconque promesse, qu’il rende le tablier et se retire. Ce serait trop beau. Cela ne cadre pas avec l’état d’esprit qui anime les putschistes. L’homme va se maintenir dans la place d’une manière ou d’une autre, car à l’instar de ses homologues, il est dans une sorte de fuite en avant.

Douglas Mountain

Le Cercle des Réflexions Libérales

oceanpremier4@gmail.com

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