Porté par une croissance record, le pays d’Alassane Ouattara est redevenu un poids lourd en Afrique de l’ouest. Mais les investissements ont un coût et posent la question de l’endettement.
Avec ses haubans et ses illuminations nocturnes aux couleurs du drapeau ivoirien, le pont Alassane Ouattara, dernière infrastructure d’ampleur inaugurée en 2023, trône au cœur d’Abidjan. Ce pont qui a pris le nom du président vient s’ajouter aux multiples chantiers qui ont fait évoluer le visage du pays depuis son arrivée au pouvoir en 2011.
À l’époque, la Côte d’Ivoire sort d’une sanglante crise post-électorale qui a fait plus de 3 000 morts et doit convaincre les investisseurs de miser sur un retour de la « locomotive d’Afrique de l’Ouest ». Sous la présidence d’Alassane Ouattara, économiste passé par le Fonds monétaire international (FMI), la confiance revient et la croissance est au rendez-vous : plus de 7 % en moyenne depuis 2011. L’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations début 2024 a également permis de mettre un coup d’accélérateur aux investissements dans les infrastructures, dont la construction de routes et d’autoroutes pour relier les principales villes du pays.
Mais cette « success story » ne peut occulter les fortes inégalités qui demeurent en Côte d’Ivoire. Le taux de pauvreté, passé de 55 % en 2011 à 39,5% en 2018, diminue désormais plus lentement (35 % en 2020). « Le PIB a été multiplié par deux sous Ouattara, c’est à son actif. Mais ce n’est pas un indicateur qui montre comment les richesses sont partagées », explique l’économiste ivoirien Séraphin Prao.
Les quartiers pauvres et insalubres, dont certains sont détruits pour construire des infrastructures, restent nombreux à Abidjan, jouxtant parfois des zones huppées aux villas flambant neuves. Et au-delà des inégalités, l’endettement est également un sujet de discorde, régulièrement dénoncé par l’opposition. Car si l’économie ivoirienne s’appuie en partie sur son secteur agricole, essentiellement l’exportation du cacao dont elle est le premier producteur mondial, elle reste encore largement tributaire de l’aide extérieure.
« Dette improductive »
« La dette en soit n’est pas une mauvaise chose, mais on fait face dans le cas de la Côte d’Ivoire à une dette improductive », dénonce Ahoua Don Mello, vice-président de l’alliance des pays émergents des Brics. « Sur le budget 2023, près de 42 % sont des ressources propres, tout le reste est financé par perfusion de la dette », poursuit celui qui est aussi vice-président du Parti des peuples-africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), la formation d’opposition de l’ex-président Laurent Gbagbo.
L’endettement actuel de la Côte d’Ivoire, détenu principalement par les bailleurs occidentaux classiques et la Chine, s’élève à 58 % du PIB, contre 38 % en 2019, un niveau dont la soutenabilité fait débat chez les économistes. « Le ratio d’endettement par rapport au PIB recommandé se situe entre 60 et 70 %. On n’a pas dépassé les 60 %, il n’ y a pas le feu en la demeure », estime Blaise Makaye, docteur en économie et chercheur à l’université de Bouaké (centre) qui précise que ce ratio est « bien inférieur à ceux des pays développés », comme la France où elle frôle les 100 %.
« Les ressources propres ne suffisent pas à couvrir les dépenses courantes de l’État »
« Le FMI dit que pour les petites économies comme la Côte d’Ivoire, dépasser 49 % d’endettement peut être dangereux », répond Séraphin Prao, qui met en garde contre des « taux d’intérêt élevés » et les « bases fragiles » de l’économie ivoirienne.
Le FMI, qui a validé en mai 2023 un programme de prêts de 3,5 milliards de dollars, et la Banque mondiale, « ont toujours dit que notre dette était soutenable, ce qui veut dire que la Côte d’Ivoire ne présente pas de risque de non-paiement de sa dette », se défend le ministre de l’Économie Adama Coulibaly. Il rappelle que certains pays voisins tels le Sénégal ou le Ghana ont un taux d’endettement supérieur.
Au sortir de la crise, en 2011, la Côte d’Ivoire avait bénéficié d’un allègement de sa dette extérieure, d’environ 25 %. « Cela aurait dû permettre d’affecter les ressources propres de l’État dans l’éducation et la santé. Or, les ressources propres ne suffisent même pas aujourd’hui à couvrir les dépenses courantes de l’État », pointe Ahoua Don Mello. « La croissance est à crédit, les fonctionnaires sont payés à crédit », abonde Séraphin Prao. « Tant qu’on vit sous perfusion, on ne voit pas le problème, mais si la perfusion est enlevée on verra qu’il n’y a plus de moyens d’alimenter le budget de l’Etat », conclut Ahoua Don Mello.
(Avec AFP) via Jeune Afrique
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