Par Mamadou Seck, Expert Électoral
Le président de la République lors de son allocution à l’occasion de la célébration de la fête de l’indépendance du Sénégal, a annoncé son intention de procéder à une série de réformes dont celle de notre système électoral. Tel que ce dernier se décline, nous pouvons affirmer qu’il est presque calqué sur le modèle français à la seule différence que la Commission électorale nationale autonome (CENA) ne figure pas dans l’agencement institutionnel français. Nous sommes même tentés de dire que nous avons un modèle comportant une plus-value par rapport à celui français en ce que la CENA vient contribuer à la supervision et au contrôle de la régularité des actes posés par l’administration électorale lors du processus. Le but ainsi visé est de prévenir les potentiels errements de l’administration électorale et d’apporter des correctifs le cas échéant à travers des injonctions, des rappels à l’ordre, etc. Ainsi, nous avons en définitive une administration qui gère et organise le processus et une instance (CENA) qui contrôle et supervise la régularité des actes posés par cette dite administration, avec des opportunités données aux compétiteurs politiques de prendre part à des étapes clefs du processus.
Il convient de rappeler que ce modèle électoral est le fruit d’un long processus entamé depuis le magistère du Président Diouf avec les contours qui se sont précisés au fur et à mesure fort des combats menés par l’opposition d’alors notamment les partis de gauche. Pour rappel, l’Observatoire national des élections a eu à jouer, jusqu’en 2000, le rôle de la CENA actuelle.
L’implication des directions du ministère de l’Intérieur (Direction de l’automatisation des fichiers – DAF, Direction générale de l’administration du territoire – DGAT), en collaboration avec la Direction générale des élections reste une approche pertinente. Le modèle sénégalais, nous a valu trois alternances en 2000, 2012 et 2024, la conquête de grandes villes lors des élections locales de 2009 par l’opposition d’alors (Benno Siggil Senegaal) et plus récemment en 2022, une forte entrée des acteurs politiques de l’opposition à l’Assemblée nationale lors des dernières élections législatives. Ce modèle nous vaut des acquis démocratiques réels et quelques instants de fierté. L’érection d’une Commission électorale nationale indépendante comporte quelques défis mais surtout une ingénierie institutionnelle qui devra tenir compte de l’existant. Les contributions de la DAF, de la DGAT ne sauraient être jetés aux orties.
Il convient de noter qu’historiquement, l’érection de commissions électorales (avec des appellations différentes selon les pays), organe de gestion des élections notamment en Afrique, venait répondre à un mal profond qui était celui de la politisation de l’administration électorale en Afrique à partir de la dernière vague de démocratisation consécutivement au discours historique de la Baule. Pour y pallier et instaurer un climat de confiance entre acteurs politiques, il fut décidé de mettre sur pied des instances à vocation ad hoc, temporaires, pour accompagner les phases de transition démocratique que les États africains étaient entrain d’amorcer avec des défis multiples. L’institutionnalisation actuelle de ces commissions électorales est d’ailleurs un baromètre éloquent renseignant sur les transitions sans fin de la plupart des processus politiques et sur les expériences cahoteuses des processus de démocratisation en Afrique notamment. Les commissions électorales, ont connu des fortunes diverses en Afrique et n’ont nullement réglé la question des processus électoraux en Afrique. Leur mission essentielle étant la gestion des processus électoraux retirée des administrations classiques.
Au Togo, la CENI est restée entre 2012 et 2013, empêtrée dans des conflits du fait que les forces politiques représentées ont transposé leurs contradictions politiques très fortes au sein de la CENI, rendant difficile son fonctionnement. La CENI n’avait aucun pouvoir de décision face aux atermoiements de l’exécutif et sa mauvaise volonté à organiser les élections législatives à date échue. Aucun acquis démocratique n’a été noté au Togo depuis plusieurs décennies de soi-disant ouverture au pluralisme démocratique.
En Côte d’Ivoire, la Commission électorale indépendante, n’a pas contribué à prévenir le conflit électoral en 2010. Elle en fut, au contraire, une partie prenante essentielle. Pour rappel, elle a été obligée de se réfugier à l’Hôtel du Golfe en 2010 pour proclamer les résultats de l’élection présidentielle souffrant ainsi d’un grave déficit de légitimité. Le troisième mandat du Président Ouattara est un indicateur éloquent relativement aux défis qui interpellent toujours le processus politique ivoirien, que l’on ne saurait exclusivement imputer à la CEI, mais elle en garde une part de responsabilité.
En République de Guinée, la CENI n’a point permis de régler les conflits électoraux et post électoraux depuis 2010, année de l’élection très controversée de Alpha Condé. Pour rappel, face aux grosses difficultés d’organisation d’une élection présidentielle crédible et libre à date échue, il a été fait appel au malien Siaka Toumani Sangaré (désigné par l’OIF) pour assurer la Présidence de la CENI d’octobre 2010 à aout 2011.
Tant pour la République de Guinée, le Togo que pour la Côte d’Ivoire, le choix des membres des CENI répond à la logique des forces politiques présentes au niveau de l’organe parlementaire ; ceci ne faisait que reproduire les travers des majorités mécaniques dans les décisions à prendre au sein de la commission, causant ainsi frustration, désaccord et déficit de confiance. Les exemples font foison, démontrant que dans beaucoup de pays où sont érigées des Commissions électorales nationales indépendantes pour la gestion des processus électoraux, la tenue d’élections répondant aux normes et standards internationaux restent une « bastille quasi imprenable ».
Le Sénégal, dans ce contexte, a su tirer son épingle du jeu. Il est vrai que le modèle a connu quelques péripéties lors des derniers processus électoraux (législatives et présidentielle), mais l’on ne saurait l’imputer à des contre-performances institutionnelles exclusivement. Par ailleurs, toutes ces difficultés se sont souvent produites en amont des scrutins, l’administration électorale restant dans les limites de ses prérogatives lors de la tenue des scrutins, lors de la publication des résultats et durant les phases post électorales. Ce n’est pas tant le modèle électoral que la qualité des hommes qui l’animent qui est problématique. Non au fétichisme institutionnel. Ce n’est pas en changeant les institutions que les comportements vont changer. Le vrai défi reste le choix des hommes tant à la tête de la Direction générale des élections, qu’au niveau de la CENA et un retrait de l’exécutif ou une limitation de ses prérogatives à certaines étapes du processus électoral. La rupture tant proposée et vendue aux Sénégalais pourrait s’exprimer pertinemment maintenant avec un choix d’hommes et de femmes indépendants, compétents, sérieux pour une mise en œuvre de processus plus intègres, plus transparents, plus libres.
En définitive, le modèle électoral Sénégalais est un modèle acceptable. A la place de son remplacement par une CENI, des mesures importantes devront être prises pour renforcer l’intégrité et la transparence de nos processus électoraux. Pour ce faire, nous proposons :
• De renforcer l’intégrité du processus notamment durant ses phases pré électorales : période de révision ordinaires et exceptionnelles, gestion du fichier, distribution des cartes d’électeur, découpage, etc.
• De mieux repositionner la CENA afin qu’elle exerce la plénitude de sa mission
• D’encadrer les périodes de revue exceptionnelle du fichier électoral pour prévenir la situation vécue cette année (décret cette année la circonscrivant dans un délai d’un mois)
• De limiter le pouvoir de l’exécutif dans le choix des membres de la CENA
• D’effectuer une réforme de la CENA dans le choix de ses membres ; privilégier le critère de la spécialisation sur les questions électorales et faire un appel à candidature
• De mener une revue du Code électoral à l’occasion de laquelle, une réelle ouverture aux débats sera effectuée par une diversification des parties prenantes à cette revue avant de définitivement le sanctuariser. En effet, elle a trop évolué entre 1982, année des prémisses d’un Code électoral répondant aux normes et standards internationaux et aujourd’hui.
• D’entamer une digitalisation du processus de parrainage ainsi que de l’identification des électeurs durant les scrutins.
• D’extirper les travaux de la Commission de validation des parrainages du cadre du Conseil constitutionnel qui n’est pas, dans l’agencement institutionnel, un organe de gestion des élections
• D’inscrire des modules de formation (initiale et continue) sur les questions électorales à l’École nationale d’administration à l’intention des futures autorités déconcentrées qui ont un rôle important à jouer dans le processus électoral ; ceci pour réduire les risques de contentieux pré électoraux foisonnants vécus lors des élections locales 2022
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Samedi 6 Avril 2024
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