Lorsque le gouverneur de la BCEAO, Alassane Dramane Ouattara était appelé au chevet de l’économie ( Avril 1990 – Décembre 1993), l’homme était qualifié ’’d’apôtre de la rigueur’’ par la presse de l’époque. Les privatisations étaient menées sans état d’âme, pour la première les régies financières (Impôts, Douanes, trésor) étaient soumises à des obligations de résultats, le salaire des nouveaux enseignants était réduit, le corps des journaliers de l’Etat était supprimé, la chasse aux fonctionnaires fictifs était impitoyable, bref tout était mis en œuvre pour réduire le train de vie de l’Etat.
A son départ, il avait laissé une profonde empreinte sur l’économie, lui imprimant une trajectoire qui sera plus ou moins suivie par les prochains régimes. Aujourd’hui sa gouvernance est contrastée. Certes la croissance accélère depuis douze ans, l’économie prend du volume, les réalisations sont impressionnantes, mais les choses ne sont pas alignées plein axe sur la rigueur. Les dysfonctionnements sont profonds, partout éclatent des scandales, et abîment l’image du régime. La gestion rigoureuse des finances publiques qui avait généré un mythe sur sa personne dans les années 90, semble difficile à reproduire aujourd’hui.
Pour étayer cela, on peut revenir sur certains faits emblématiques. En Juillet 2023 dans une conférence de presse, d’ex-agents du ministère de la construction et de l’urbanisme, documents à l’appui, ont accusé l’actuel ministre « d’avoir fait illégalement sorti de la caisse du guichet unique du foncier et de l’habitat, des sommes d’un montant cumulé de 100 milliards de FCFA depuis qu’il est en poste (Juillet 2018) ». Le Ministre n’a pas daigné se prononcer. Aucune investigation officielle n’a été diligentée eu égard au montant mis en cause, les choses en sont restées là.
Il y a aussi les fonds d’urgence s’élevant à quelque 700 milliards FCFA, mobilisés pour soutenir divers secteurs de l’économie pendant le covid en 2020. C’était de l’argent à distribuer aux acteurs économiques. Aucun mécanisme de suivi et de contrôle n’a été prévu pour s’assurer de l’affectation effective des ressources. Hormis les rapports produits par ceux qui furent chargés de la distribution, aucune expertise indépendante n’est venue certifier que les fonds étaient bien parvenus en intégralité aux destinataires.
Lors des récentes élections des Conseils Régionaux, le duel dans le haut Sassandra a donné lieu à une bataille de chiffres. Accusé de n’avoir rien réalisé des « 33 milliards FCFA reçus en dix ans d’exercice » par son challenger, le président sortant a affirmé n’avoir reçu que « 10 milliards sur les 33 prévus ». Le Trésor public était donc au cœur de la polémique, mais n’a produit aucune déclaration, un silence qui incitait à penser que le président sortant était dans le vrai. Les transferts vers les Conseils Régionaux sont inscrits au budget de l’Etat, donc font l’objet de décaissement. Cependant l’argent n’arrive pas en totalité dans leurs caisses, du fait des multiples retenues dont il fait l’objet sur son parcours.
Dans les infrastructures, souvent différents montants sont donnés pour le même ouvrage. Ainsi le coût du poste de péage de l’autoroute de Bassam est passé de 4 à 23 milliards, le quatrième pont qui a été partiellement ouvert à la circulation est passé de 142 à 154 milliards, pour l’autoroute Yamoussoukro Tiébissou deux montants étaient donnés 82,7 et 92,63 milliards, pour le pont à haubans de Cocody,… etc….etc…
En Décembre dernier, la cour des comptes pointait les faibles recettes reversées à l’Etat sur la confection des documents d’identification. Seulement 878 713 FCFA sur toute l’année 2022 !!! La SNEDAI, l’entreprise concessionnaire, a déclaré déposer régulièrement des sommes à reverser à l’Etat sur « deux comptes séquestres gérés par le Trésor ». Alors pourquoi ces sommes n’apparaissent pas dans les comptes du Trésor ?
Ces faits cités plus haut, qui sont sur une très longue liste, montrent que le président Ouattara n’a plus la main aussi ferme qu’autrefois pour imposer la discipline à tout son monde. Aujourd’hui le mythe de sa rigueur a beaucoup fondu. L’économie est en forte expansion, mais est retombée dans son fonctionnement des années 70. Ministres, DG, directeurs d’administration,…exercent une forte prédation sur les fonds publics. On surfacture, on détourne, on se sert, personne n’est vraiment inquiété. Comme tous les présidents africains, le président Ouattara concentre tous les pouvoirs. Ainsi forcément beaucoup de choses lui échappent.
Le président Houphouët disait qu’« on ne contrôle pas la bouche d’une personne qui grille des arachides », en d’autres termes autant celui qui grille des arachides en aura toujours dans la bouche, autant celui qui manipule des fonds, en aura toujours dans les poches !! Dans les commissariats, les hôpitaux, les ports, les ministères, à la justice, les bureaux de douanes, même dans les prisons, partout le citoyen est « plumé », partout dans l’administration les fonctionnaires adorent ’’ le veau d’or’’, symbole d’un pays assez gangrené.
Le ministère pour la bonne gouvernance et l’inspection générale d’Etat semblent avoir les mains liées. Ces institutions ne peuvent pas vraiment opérer, car « tout est politique ». Seule la Cour des Comptes ose souvent pointer des ’’anomalies’’, en s’entourant de milles précautions dans le choix de ses mots. Derrière une façade flamboyante, une certaine dégénérescence a pris place dans l’économie ivoirienne. Cette gestion rigoureuse et saine des finances publiques qui avait forgé la réputation du président Ouattara dans les années 90, est un bien lointain souvenir il faut le reconnaître.
image.png
En Août 2021, le président du conseil de gestion du Fond de Développement de la Formation Professionnelle-FDFP, l’ex ministre Joël N’guessan, avait limogé le DG de la structure, Léonid Barry-Battesti, suite à un rapport d’audit particulièrement accablant. Ce dernier refusait de partir, au motif qu’il avait été nommé par un décret présidentiel. La crise fut largement relayée dans la presse. Les deux hommes furent alors limogés en conseil des ministres le 08 Septembre 2021. On leur reprochait d’avoir « étalé leurs différends dans les médias ».
On imagine aisément que depuis l’affaire, plus aucun président de conseil d’administration (ou de gestion) ne s’est montré critique sur la gestion du DG en place, de peur de générer une crise susceptible de les emporter tous les deux, alors qu’il est important qu’un DG se sente sous la surveillance d’un Conseil à qui il doit rendre compte. C’est cette surveillance qui peut limiter ses dérives. On peut reprocher au président du conseil de gestion d’avoir voulu limoger le DG sans en référer à son ministre de tutelle. Mais fallait-il pour autant lui faire subir la même sanction que ce dernier, qui lui était coupable de malversations ?
Une grande partie de l’activité économique est assurée par les Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial (EPIC), dotés d’un conseil d’administration. Si la crise du FDFP avait été correctement arbitrée, un vent de rigueur et de transparence se serait levé sur les EPIC, parce que les DG auraient alors compris que les conseils d’administration ne sont pas là que pour la forme. Le limogeage du président du conseil de gestion du FDFP fut clairement un mauvais signal. On n’ y pense plus aujourd’hui, mais les implications de cette crise sur l’économie ont été pernicieuses.
Cet audit au FDFP qui avait décelé des malversations, avait été mis en œuvre par l’inspection général d’Etat, sur instruction de la haute autorité pour la bonne gouvernance ( aujourd’hui ministère pour la promotion de la bonne gouvernance). C’est dire que si l’on laisse ces deux institutions faire leur travail comme il se doit, l’économie ivoirienne peut de nouveau se réaligner plein axe sur la rigueur et la discipline.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions Libérales
oceanpremier4@gmail.com
Bien d’observateurs trouvent cette question bel et bien légitime. On se rappelle tous avec fierté de cette innovation après sa prise de fonction quand SEM Ouattara a fait signer à chaque ministre devant les caméras et la nation un contrat de bonne conduite et moralité. C’était le bon vieux temps pourrait-on murmurer.
Ceci dit, il faut souligner que bien des faits soulignés dans l’article s’expliquent très bien et ne signifient absolument pas qu’il y ait eu des malversations. Par exemple, les délais (ou même la durée dans le temps) dans l’exécution de travaux génèrent toujours des surcoûts pour les matériaux et/où la main d’œuvre. Toute personne qui a déjà géré des projets d’envergure le sait. Mais là où le bât blesse, c’est le mutisme caractérisé des autorités à charge pour expliquer, justifier et faire un bilan publique de l’utilisation de chaque franc. Même quand la cour des comptes révèle des bisbilles, il n’y a pas d’éclaircissements de fond à part de petits communiqués laconiques quand le peuple est chanceux. C’est cela le problème, c’est cela le tendon d’Achille, ce manque criard de communications et de compte-rendus. Hélas…
Malgré tout ceci, il est indéniablement clarissime que le bilan du PR est exponentiellement positif aux sens absolu et relatif surtout comparé à ses prédécesseurs avec qui tous ces constats étaient pire. Ailleurs dans la sous-région c’est c’est même effroyable. Mais bon, comparaison n’est pas raison surtout quand nous sommes des Ivoiriens, donc rigoureux.
Juste un observateur de passage…