Industries pétrolières et energies: La Côte-d’Ivoire à la porte de l’OPEP ? 

Propos recueillis par Anzoumana Cissé

Entretien avec Serge DIOMAN Parfait Expert International en Industries Pétrolières et Énergies

« UN SIGNE DU MIRACLE ÉNERGÉTIQUE »

« L’Expert International en Industries Pétrolières et Energies, Serge DIOMAN Parfait, s’exprime sur la vitalité que la Côte d’Ivoire connaît présentement au niveau de l’écosystème énergétique. Une vitalité qu’il qualifie de « miracle énergétique » avec les opportunités qu’elle offre au pays. Motivée par les récents gisements BALEINE et CALAO, les raisons, enjeux et défis d’une entrée de la Côte d‘Ivoire dans le puissant cartel pétrolier OPEP méritent des explications détaillées de la part de l’Expert International »

LE PATRIOTE : Des analystes avisés affirment que la Côte d‘Ivoire est entrée ces temps-ci dans une ère de printemps énergétique. Qu’entend-on par ces propos ?

SERGE DIOMAN PARFAIT : Si le « printemps » évoqué s’entend être ici au sens d’une « éclosion de vitalité », nous constatons effectivement que l’écosystème énergétique de la Côte d‘Ivoire a bel et bien amorcé une rampe de vitalité dont la magnitude s’apparente plutôt aux traits spécifiques d’un « miracle énergétique » qui vient accentuer sa souveraineté énergétique et son rôle fort dans la sécurité énergétique communautaire de la sous-région ouest-africaine.

En vérité, cette vitalité est non seulement historique, mais de surcroît inédite et quasi simultanée, dans tous les secteurs clés de son patrimoine électrogène hydroélectrique, pétro-gazier, thermique à gaz, thermique à biomasse, solaire, etc.

LP : Comment l’opinion accueille-t-elle cette vitalité ?

SDP : Cela suscite un réel espoir et un vif enthousiasme catalysés par les récentes découvertes pétro-gazières en Côte d’Ivoire. Le pays en escompte en effet l’extraction d’importantes quantités de gaz naturel pour la production d’électricité justement.

En tout état de cause, ce miracle énergétique confère déjà une assurance de résilience économique car l’énergie, sous toutes ses diverses formes connues, notamment électriques en l’occurence, est bien un ascenseur sociétal avéré.

LP : Est-ce la raison suffisante de tant d’attentes à l’égard de l’électricité ?

SDP : C’est inéluctablement un vecteur initiateur de progrès.

Elle impulse en tout premier et perfuse durablement ensuite la dynamique de l’activité socio-économique dans cette ère nouvelle d’Intelligence connective et de digitalisation, où aucun pays ne s’épanouit convenablement sans électricité.

Cette ressource de grande utilité vient en soutien au plateau industriel, au transport, au commerce, à l’habitat, à la culture, à la communication, à l’administration, à l’enseignement, etc.

En un mot, toute l’humanité moderne dépend aujourd’hui de l’électricité. C’est pourquoi, au travers d’un plan directeur, qui tient par ailleurs compte de la poussée démographique nationale et des besoins énergétiques futurs associés, la Côte d’Ivoire consent à des investissements structurants dans chacun des secteurs de base que sont la production, le transport et la distribution de l’énergie électrique.

LP : Comment tout cela pourrait-il bien se traduire en terme de résultats et projections chiffrés ?

SDP : Partant de ses 2 907 Mégawatts (MW) actuels, le pays vise 3 500 MW pour 2025 puis 5 300 MW en 2030 et à terme 8 600 Mégawatts (MW) installés à l’horizon 2040 et ce, grâce à des investissements structurants dans chacun des trois secteurs de base que sont donc la production, le transport et la distribution.

Car si l’on produit, il faudrait songer à distribuer la charge, tout en réduisant les pertes techniques en ligne, pour servir l’électricité à tous sur l’étendue du territoire national.

Il en résulte très pratiquement alors, un taux de couverture électrique qui a remarquablement bondi de 33% en 2011 à plus de 87% à ce jour, dans un contexte où 95% des foyers en localités électrifiées ont assurément un accès à l’électricité.

LP : La contribution des centrales hydroélectriques au mix-énergétique national répond à quels besoins ?

SDP : L’on a affaire à une énergie propre, renouvelable et abondante qui constitue un maillon essentiel dans l’objectif national de 45% de part d’énergies renouvelables d’ici 2030.

De récentes centrales hydroélectriques ont vu le jour dont le tout dernier à GRIBO-POPOLI, sur le fleuve Sassandra du Sud-Ouest ivoirien. Il est présentement en sa phase de mise en eau pour tester l’intégrité des gros oeuvres et bien observer l’envergure spatiale du plan d’eau qu’occupera à terme le réservoir de plus de 82 millions de mètres cube (m³) d’eau.

Nouvelle découverte géante d’hydrocarbures dans le bassin sédimentaire de la Côte d’Ivoire baptisée CALAO

Ce sera pour le pays une puissance installée supplémentaire de 112 Mégawatts (MW) qui produiront plus de 535 Gigawatt-heures (GWh) d’électricité à l’année et qui seront par ailleurs renforcés par d’autres projets de barrages à la suite du plus grand de capacité 275 Mégawatts (MW) à SOUBRÉ.

LP : De nouveaux barrages hydroélectriques en vue ?

SDP : Conformément au schéma directeur dont la maîtrise d’ouvrage est efficacement assurée par CI-ENERGIES, il s’agirait alors des sites hydroélectriques de BOUTOUBRÉ (156 MW), de LOUGA (283 MW), de TAYABOUI (100 MW) et TIBOTO (220 MW) entre autres en vue pour l’instant.

LP : La Côte d‘Ivoire étant un pays nettement ensoleillé, quel est l’apport du solaire dans ce miracle énergétique ?

SDP : L’exploitation de l’énergie solaire en cours a déjà donné lieu à l’implantation de plusieurs fermes solaires récentes de grandes envergures. La réalisation de mini-centrales solaires hors-réseau, pour spécifiquement désenclaver les localités isolées du réseau électrique national, participe également de ce renchérissement énergétique.

La contribution de 17% solaire dans ledit miracle énergétique ivoirien est attendue à 600 Mégawatts (MW) au jalon 2026.

Au final, l’on espère que toutes ces ressources nous offrent un équilibre abordable entre les coûts de revient de l’électricité produite par les opérateurs et le prix d’achat de l’électricité qui est tout de même bien encore socialement subventionné du fait du coût élevé des intrants sur les places de marchés.

LP : Qu’est-ce que le pays en tire comme bénéfiques ?

SDP : Cela suscite d’office une dynamique d’optimisme tant au plan national qu’à l’international où l’on observe surtout déjà une très nette amélioration des notations, comme MOODY’S et autres, à l’égard de la Côte d‘Ivoire et ce, vu ses perspectives de progrès visant à fortiori à corroborer ses objectifs d’autonomisation et d’autosuffisance énergétiques.

En vérité, la Côte d‘Ivoire bonifie sa croissance économique en y intégrant des intrants porteurs comme l’énergie qui en particulier s’affiche bien en second levier de croissance du pays. En la matière, le pays performe bien déjà avec ses centrales existantes et a en prévision en plus une centrale électrique flottante sur un navire de type POWERSHIP à alimenter au Gaz Naturel Liquéfié (GNL), etc.

LP : Quelles seraient les réalisations effectives du secteur pétro-gazier dans ces parts de bénéfices ?

SDP : Dans le secteur précis des hydrocarbures, la Côte d‘Ivoire a à sont actif plusieurs découvertes d’envergure telles que BALEINE, CALAO, BAOBAB, LION et PANTHÈRE qui, en plus de l’annonce avérée d’hydrocarbures dans les blocs offshore CI-504, CI-526, CI-706 et CI-708, constituent déjà des acquis auxquels s’ajouteront, dans un avenir proche, de nouveaux gisements attendus de l’exploitation des clés géologiques d’exploration de son bassin sédimentaire en mer profonde.

LP : Le moment est-il donc venu de frapper à la porte de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) ?

SDP : L’OPEP est un influent cartel, au sens positif du terme, qui a ses règles de groupe de prestige, qui pèse environ 40% de l’offre pétrolière mondiale et qui est en capacité d’influer directement ou indirectement alors les cours du baril pour protéger les intérêts économiques de ses pays membres.

L’adhésion de la Côte d‘Ivoire ne peut être que bénéfique tout comme ce l’est pour les 12 pays membres qui constituent actuellement l’OPEP, après le départ de l’Angola tout récemment suite à des désaccords sur l’imposition des quotas de production par pays membre.

En effet, ce cartel s’impose des contraintes qu’il faudrait être en capacité de tenir. Autrement, une alternative serait de ne pas être pleinement un membre statutaire mais plutôt un allié tout comme les 10 autres pays qui de part leur présence donnent lieu à la création de l’OPEP+.

LP : S’agirait-il d’un cartel en remplacement de l’OPEP ?

SDP : Ce n’est pas un nouveau cartel en tant que tel. C’est en quelque sorte une coalition de l’OPEP et ses 10 alliés. Celle-ci étend le nombre total des membres de cette OPEP+ à 22 et fait finalement passer le nombre total des pays africains à 8, à ce jour quand l’on compte le Soudan et le Soudan du Sud qui pointent dans l’effectif des alliés.

Pour sûr, la Côte d‘Ivoire n’y sera pas du tout pour faire de la figuration car ses prévisions pétro-gazières prouvées sont concordantes aux objectifs et pré-requis de l’OPEP et ce, en plus de son pétrole brut de bonne qualité d’ailleurs prisée.

LP : Vu que l’OPEP a un rayon d’action limité au pétrole, défendra-t-elle quand même les intérêts gaziers de la Côte d‘Ivoire ?

SDP : Pas directement car l’OPEP reste un cartel d’obédience pétrolière. En ce qui concerne le gaz, la Côte d’Ivoire a de bons atouts pour frapper à la porte par exemple du Forum des Pays Exportateurs de Gaz (FPEG) où sont déjà le Sénégal, en tant qu’observateur pour le moment, ainsi que d’autres pays de l’OPEP+ qui produisent du gaz naturel.

Plus connu sous son appellation de Gas Exporting Countries Forum (GECF) ce cartel informel FPEG est somme toute pour le gaz ce que l’OPEP est pour le pétrole.

Au final donc, non seulement la Côte d‘Ivoire rehausse son potentiel électrogène national et déploie sa couverture énergétique mais, elle aura l’insigne occasion d’intégrer ces deux grandes organisations internationales OPEP et FPEG.

Elles ont chacune une aura géostratégique qui n’est plus à démontrer. Le pays pourra de ce fait tirer un avantage de leur coopération technique à l’effet de renforcer le savoir-faire de son contenu local entre autres avantages certains.

LP : Pour vous donc qui faites souvent valoir votre expertise sur plusieurs continents à l’international, quel regard comparatif auriez-vous sur le contenu local du secteur des hydrocarbures en Côte d’Ivoire ?

SDP : Les hydrocarbures représentent en général un secteur à forte employabilité offrant des opportunités prioritairement destinées aux nationaux. En Côte d’Ivoire, le contenu local des activités pétrolières et gazières s’apprécie au travers de l’Indice de Personnel Local (IPL), un indicateur statistique clé inscrit en exigence dans la bonne gouvernance pétrolière.

Toutes ces dispositions sont régies par la loi N°2022-408 du 13 Juin 2022 promulguée par le Président de la République.

Fort heureusement, la Direction Générale des Hydrocarbures (DGH) veille au respect de ladite loi sur toute la chaîne du secteur amont-aval. Celle-ci facilite l’accueil et l’intégration de tous, sensibilise, conseille et interpelle sévèrement au besoin. Car en effet, il n’y a point lieu d’intimider voire écarter directement ou indirectement des nationaux compétents.

LP : Que dit en résumé cette loi ?

SDP : Au travers des orientations du Ministre des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, Mamadou Sangafowa-Coulibaly, à l’égard de l’employabilité résultant de ces ressources pétro-gazières, il est en gros rappelé que, indifféremment du genre, la place aux postes disponibles est faite aux compétences nationales locales de même qu’à toutes celles de la diaspora.

A l’appel donc du Président de la République, Son Excellence Alassane Ouattara, bon nombre d’entre nous, rentrés pour partager notre expérience internationale, avons été accueillis et bien intégrés à divers niveaux d’expertise des opérations, conformément à l’ANNEXE 1 du décret N°2023-441 du 24 Mai 2023 définissant les modalités d’application de ladite loi.

LP : Ces dispositions concernent-elles tous les métiers ?

SDP : La finalité est qu’à chacun des emplois proposés dans le secteur pétro-gazier, l’on trouve en priorité des nationaux compétents et directement opérationnels sinon, un plan de formation pour les accompagner à occuper le poste à terme.

En revanche, des postes très spécifiques comme ceux de Rapporteurs, Présidents d’Entreprises, Officiers Supérieurs, Experts ou Experts Internationaux, etc. sont généralement, en tout ou partie, exonérés de quelques obligations afin que des nationaux et des expatriés soient mis en compétition.

Les facilités à l’égard de cette catégorie d’expatriés visent plutôt à les attirer et ce, dans une optique de transfert de compétence vers les nationaux. Ils est bon pour ces derniers de se frotter à de hautes expertises étrangères qui pourraient leur servir de modèles.

LP : Et si vous devriez apporter une appréciation ?

SDP : Un expert international par exemple a une compétence de pointe au service de l’international et de son pays y compris. Et de ce qu’il m’est donné de vivre personnellement à l’international en effet, je retiens que la meilleure loi de contenu local serait celle qui tient compte de la dignité humaine en mettant l’intérêt du pays d’accueil au-dessus des vues personnelles.

En clair, fussions-nous des nationaux ou des expatriés, il est très important de respecter ladite loi sans la contourner.

LP : Comment s’assure-t-on concrètement que les dispositions de cette loi sont respectées ?

SDP : Pour rappel, les emplois disponibles dans le secteur sont ségrégués en 3 catégories A, B et C, voir D, pour alors apporter des informations complémentaires facilitant la compréhension de la loi et son application. Il revient donc à chacun de savoir dans quelle catégorie il se situe pour éviter certaines interprétations faites par ignorance.

Ainsi, selon l’ANNEXE 6 du décret d’application de la loi sur le contenu local, la Catégorie A vise les emplois exclusivement dédiés aux « Entreprises Ivoiriennes ». La Catégorie B quant à elle cible les emplois adressés en priorité aux « Entreprises de Droit Ivoirien » mais qui pourraient bien au besoin être plutôt exécutés par une « Entreprise Étrangère » en partenariat avec une « Entreprise Ivoirienne ».

La Catégorie C des emplois inscrits au décret d’application se rapporte à ceux qui peuvent être réalisés par des « Entreprises de Droit Ivoirien » ou des « Entreprises Étrangères ».

LP : Les ivoiriens et ivoiriennes peuvent-ils donc avoir confiance en cette loi ?

SDP : Je puis juste dire que l’application de cette loi par les parties prenantes concernées apportera nécessairement une effective et durable employabilité car toutes les dispositions afférentes s’y trouvent à cette fin. La confiance est de mise.

Cependant, il est bon aussi de savoir qu’une loi de contenu local n’est généralement pas qu’une question de provision d’emploi uniquement à des postulants particuliers.

Elle adresse par principe aussi les opportunités offertes, en priorité toujours, aux entrepreneurs et autres opérateurs nationaux intervenant dans des activités de fournitures de biens et services, proposant des équipements logistiques, du matériel, des supports et programmes de formations, etc.

LP : Au terme de cet entretien, quel serait votre dernier mot pour clore avec ce chapitre du contenu local ?

SDP : Dans la ferveur de ce mois de mars célébrant les droits des femmes, qu’elles soient rassurées qu’elles ont toute leur place dans cette filière extractive de l’or noir occupée par les hommes traditionnellement.

Autant dans le cœur de métier que dans les autres fonctions, elles peuvent valablement en effet mener une carrière épanouie dans toutes les disciplines mécaniques, opérateurs, électricité, laboratoire, informatique industrielle, intelligence artificielle, environnement, trading, la médecine, le cost-control, etc.

Et enfin, dans un contexte de rigueur et bonne gouvernance pétro-gazière ivoiriennes, où les postes sont bien pourvus au mérite, il va falloir tout de même s’attendre à gérer diverses frustrations techniques, notamment chez les débutants qui évolueront en onshore ou offshore, soit en mer donc.

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