J’ai entendu parler de Bernard Zadi Zaourou pour la première fois en 1982. Un jour, lui, Pierre Kipré et Laurent Gbagbo avaient été accusés à la télévision (par Lanzeni Namogo Coulibaly si je ne me trompe pas) non seulement d’être des agents de l’URSS communiste mais surtout d’inciter les étudiants à la révolte et de vouloir renverser le régime d’Houphouët. Si l’élève de terminale que j’étais à cette époque avait été marqué par les mots du ministre stigmatisant et désignant en même temps les trois enseignants bhété à la vindicte populaire, il avait surtout éprouvé de la sympathie pour eux. Je me disais que les “trois mousquetaires” ne pouvaient pas être n’importe qui, qu’ils devaient avoir du cran et qu’ils étaient probablement écoutés dans le petit monde de l’université d’Abidjan-Cocody.
Un milieu que je rejoignis en septembre 1984, après avoir passé deux années au noviciat jésuite de Nkoabang, lequel noviciat était situé à quelques encablures de Yaoundé (Cameroun).
Inscrit en Lettres modernes, j’avais ainsi l’occasion de suivre les cours de poésie et de stylistique du maître du Didiga. Ces cours furent des moments de bonheur pour moi. On ne sentait pas le temps passer ou bien le temps passait trop vite avec Zadi. Il en était de même pour feu Antoine Kakou qui était notre prof. de cinéma. Le langage de Zadi était soutenu et impeccable. Il avait une vaste culture. Nous étions comme suspendus à ses lèvres lorsqu’il nous parlait d’Aimé Césaire sur qui il avait travaillé pour sa thèse d’État. Cette thèse avait donné naissance à un ouvrage: “Césaire entre deux cultures: problèmes théoriques de la littérature négro-africaine d’aujourd’hui” (Nouvelles éditions africaines, 1978).
Je ne comprenais pas tout ce que Zadi nous enseignait car il était certaines fois hermétique comme nombre de poètes mais je compris au moins que lui, comme Stanislas Adotevi, Marcien Towa et d’autres intellectuels africains, avait choisi le poète martiniquais contre le poète sénégalais accusé de promouvoir une négritude contemplative.
Un soir, sur son invitation, des camarades et moi nous retrouvâmes chez lui pour écouter la Guadeloupéenne Maryse Condé et échanger avec elle. Il connaissait ces poètes et écrivains de feu et aimait nous les faire rencontrer quand ils étaient de passage dans la capitale économique. Par Hélène Ngbesso, une de ses anciennes étudiantes qui était fort attachée à lui, j’appris plus tard que le poète camerounais Paul Dakeyo était venu à Abidjan et que Zadi avait fait tout son possible pour que le président Laurent Gbagbo puisse le recevoir mais en vain.
Le dernier souvenir que j’ai de Zadi remonte à 2011. Je l’avais retrouvé à une réunion des universités privées avec l’université de Bouaké momentanément délocalisée à Abidjan. Je représentais l’université Charles Montesquieu d’Amoa Urbain. Zadi avait accompagné un autre fondateur d’université privée. La réunion présidée par le professeur Lazare Poame avait pour but de nous dire ce qu’il fallait faire pour que les diplômes des universités privées soient reconnus. J’avais eu mal de voir Zadi à cette réunion car je me disais ceci: à cet âge, avec tout ce qu’il a donné et apporté au pays, un tel monument méritait maintenant d’avoir une bonne retraite et de se reposer au lieu de passer quatre heures dans une réunion où quelqu’un qui pourrait avoir le même âge que son petit-fils doit lui dire ce qu’il a à faire. Zadi était obligé de continuer à travailler et à courir à droite et à gauche malgré la fatigue parce qu’il avait des soucis d’argent. On raconte qu’il était tout le temps fauché parce qu’il gérait mal le peu qu’il gagnait. À supposer que ce soit vrai, notre pays n’aurait-il pas pu faire en sorte que Bernard Zadi Zaourou soit à l’abri du besoin et qu’il passe ses derniers jours au calme, en train d’écrire des chefs-d’œuvre comme “Chroniques des temps qui tanguent” ou des textes aussi puissants que “La guerre des femmes”?
Une sombre histoire au Cames l’empêcha d’accéder au grade de professeur titulaire. Mais ceux qui l’avaient lu et écouté n’avaient pas attendu le Cames pour l’appeler professeur car il l’était vraiment, non seulement pour avoir publié plusieurs articles et ouvrages mais surtout pour avoir pris position sur les problèmes de son pays.
C’était un vrai professeur et un vrai intellectuel dont la seule consolation aura été son entrée à l’Académie des sciences, des cultures et des arts d’Afrique et de la diaspora (Ascad).
Cet orfèvre des mots est mort le 20 mars 2012. Il ne doit pas mourir dans nos cœurs et mémoires.
Jean-Claude Djéréké
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