Le fait qu’un individu décide de quitter ce monde, entouré uniquement de son épouse et de ses enfants, même si cela peut choquer collègues, “amis” et connaissances qui auraient bien aimé voir son visage pour la dernière fois et lui dire quelque chose, on ne peut pas penser que la personne ait fait cela sur un coup de tête, qu’elle n’y ait pas bien réfléchi auparavant. Car celui qui choisit de choquer, ce n’est jamais pour le plaisir de choquer mais pour interpeller et faire réfléchir ceux qui restent sur la façon dont nous avons coutume de nous traiter les uns les autres.
J’ai pu parler avec des gens ayant côtoyé Dominique Anoha, ces dix dernières années. Celui-ci leur avait fait des confidences, avait souvent évoqué devant eux ses frustrations et ce qu’il considérait comme une injustice à son endroit.
Aujourd’hui, bon nombre d’Ivoiriens reconnaissent que Dominique était un maître incontestable et incontesté dans son domaine, qu’il était indiscutablement le meilleur de sa génération, qu’il apporta beaucoup à l’Église catholique en composant de magnifiques cantiques, en formant des choristes, en créant des chorales et en portant le chant sacré à un très haut niveau. Certains ont rappelé la brillante prestation de la Maîtrise de Yopougon lors de la consécration de la basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro, le 10 septembre 1990. Le président Houphouët, d’habitude réservé, fut tellement séduit et touché par le chant “Apo ayo” qu’il ne put s’empêcher de se lever pour aller féliciter Anne-Marie Say Tanoh, la lead vocal, ajoutent-ils.
Dominique se servit de son talent pour honorer des Ivoiriens ayant contribué au rayonnement de notre pays. Je pense par exemple à ce spectacle mémorable donné par Vox Christi, le 24 avril 2007, au Cafop de Gagnoa pour rendre hommage à l’écrivain Bernard Dadié. Mais qui songea à honorer Dominique Anoha de son vivant? Sauf erreur ou oubli de ma part, fut-il décoré une seule fois en reconnaissance des nombreux et divers services rendus à son pays?
Avant de s’éteindre, Dominique s’est probablement dit ceci: “Ils m’ont ignoré, ils n’ont rien fait pour moi quand j’étais parmi eux, je ne les laisserai pas faire quelque chose le jour de mes funérailles, je ne leur permettrai pas de faire de faux éloges sur moi, je ne les laisserai pas verser des larmes de crocodile sur ma dépouille, bref je ne leur donnerai pas l’occasion de jouer leur comédie.”
Nous devons aller au-delà de notre légitime frustration de n’avoir pas pu participer à ses funérailles pour comprendre que c’est ce message que Dominique a voulu faire passer en partant dans le silence et en se faisant inhumer deux jours après avoir tiré sa révérence.
Nous avons l’habitude de nous dire les uns aux autres et j’y souscris:”Aimons-nous vivants.” Dominique souhaitait simplement être aimé, célébré, honoré de son vivant par une Église et un pays pour lesquels il se dépensa sans compter. Pendant qu’il était oublié, d’autres, moins talentueux et moins méritants, étaient couverts de médailles, de cadeaux et de chèques. Reconnaissons que ce n’est pas juste et qu’on ne construit pas un pays solide avec la discrimination et l’injustice. Dominique ne voulait certainement pas que des hypocrites fassent semblant de l’avoir aimé. Il devait être contre les jolis mots qui sortent de cœurs fondamentalement méchants. Pour lui, la dignité consistait peut-être aussi à partir comme il est parti pour faire savoir publiquement qu’il ne pactise pas avec le faux et l’imposture.
Jean-Claude Djéréké
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