L’ancien chef de l’Etat, radié des listes électorales à la suite d’une condamnation par la justice ivoirienne, a été désigné par son parti, le PPA-CI, pour briguer la présidence en 2025.
Côte d’Ivoire: Laurent Gbagbo, encore inéligible et de nouveau candidat
Treize ans après sa chute, Laurent Gbagbo repart à la conquête du pouvoir. Le comité central de sa formation, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), a annoncé samedi 9 mars, par voie de communiqué, avoir « décidé que le président Laurent Gbagbo soit le candidat du PPA-CI à l’élection présidentielle de 2025 », ajoutant que ce dernier « s’est soumis volontiers à la volonté du comité central ». Un pari risqué, alors que l’ancien chef de l’Etat, âgé de 78 ans, a été radié des listes électorales en 2020 et reste inéligible.
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« C’est lui notre leader, le chef emblématique de notre parti », martèle Jean-Gervais Tchéidé, le secrétaire général du PPA-CI, pour justifier la décision de sa formation. Après son élection à la présidence de la République, en 2000, Laurent Gbagbo n’a jamais eu le temps de mettre son programme en application, estime M. Tchéidé, qui qualifie son œuvre politique de « symphonie inachevée ».
« A peine dix-huit mois plus tard, il a dû faire face à une tentative de coup d’Etat qui s’est transformée en rébellion, laquelle s’est installée dans la moitié nord du pays. Ensuite, nous n’avons pu que lutter pour réunifier le pays. » Jusqu’à ce que Laurent Gbagbo soit renversé après avoir refusé de quitter le pouvoir suite à l’élection perdue de 2010 et se retrouve incarcéré au centre de détention de la Cour pénale internationale (CPI), en banlieue de La Haye (Pays-Bas), en 2011.
Le « braquage » de la BCEAO
L’ancien président est finalement acquitté des accusations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité par la CPI en janvier 2019, mais reste sous la condamnation prononcée un an plus tôt par la justice ivoirienne à vingt ans de prison pour le « braquage » de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pendant la crise post-électorale de 2010-2011. De retour en Côte d’Ivoire en juin 2021, il est gracié l’année suivante par le président Alassane Ouattara. Mais contrairement à une amnistie, la mesure n’a pas effacé la condamnation de son casier judiciaire et ne lui a donc pas permis de recouvrer ses droits civiques.
« Tout le monde sait que sa condamnation à vingt ans est politique, destinée à éliminer un adversaire, affirme M. Tchéidé. Alassane Ouattara était inéligible en 2000 [la junte au pouvoir, dirigée par Robert Guéï, avait rejeté sa candidature au motif de « nationalité douteuse »]. En 2005, c’est le président Laurent Gbagbo qui a pris la décision, à titre exceptionnel, d’autoriser la candidature d’Alassane Ouattara, ce qui lui a permis d’être élu en 2010. »
Un geste que le PPA-CI espère en retour, près de deux décennies plus tard, de la part du président Ouattara. « Nous attendons de lui un geste politique, indique M. Tchéidé. Qu’il manifeste la volonté d’effacer, une bonne fois pour toutes, les séquelles de la crise post-électorale de 2011 pour qu’on puisse aller ensemble de l’avant ! »
Mais même dans le cas d’une amnistie ou d’un accord politique qui autoriserait sa candidature, les chances pour Laurent Gbagbo d’accéder de nouveau à la présidence restent minces. Le PPA-CI a raté son entrée en scène aux élections locales de septembre 2023, remportant sous sa propre bannière deux communes sur 201 et aucune région sur 31, et neuf communes et une région grâce aux listes d’alliance avec l’autre grand parti d’opposition, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
Le seul moyen d’inverser le déclin, estime le politologue Geoffroy-Julien Kouao, serait pour Laurent Gbagbo de « réconcilier la gauche ivoirienne, c’est-à-dire de convaincre Pascal Affi N’Guessan, du FPI [Front populaire ivoirien, l’ancien parti de Laurent Gbagbo], Simone Gbagbo [son ex-épouse, à la tête du Mouvement des générations capables] et Charles Blé Goudé [son ancien bras droit, qui dirige le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples] de le rejoindre ». Faute de quoi, anticipe-t-il, « ce sera pour lui une candidature de témoignage », qui lui permettra de rester présent dans l’actualité politique, mais sans réel espoir de l’emporter.
« Il n’a renoncé à rien »
Le PPA-CI ne semble pas avoir le choix. « Ce désir de candidature de la part de Laurent Gbagbo montre bien que le PPA-CI n’a pas encore d’autres cadres politiques capables d’affronter le RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, au pouvoir] en 2025 », analyse M. Kouao. « Il n’a renoncé à rien et surtout pas à faire de la politique », résume un de ses proches.
Laurent Gbagbo n’a jamais désigné officiellement d’héritier et les jeunes cadres du parti ont subi une sévère déconvenue lors des élections municipales et régionales. Le fils de l’ancien président, Michel Gbagbo, a échoué à remporter la commune abidjanaise de Yopougon face au RHDP, son ex-gendre Stéphane Kipré a perdu le Haut-Sassandra, l’ex-secrétaire général Damana Pickass a été défait dans le Gbôklè et l’ancien porte-parole Justin Koné Katinan à Port-Bouët. « Toute leur stratégie de reconquête s’articule autour de la personne de Laurent Gbagbo. La rhétorique politique du PPA-CI montre bien qu’il n’y a pas d’alternative à sa candidature », poursuit M. Kouao.
Si la décision du comité central est validée par une convention ou un congrès extraordinaire du PPA-CI, Laurent Gbagbo sera le premier candidat à briguer officiellement la présidence de la République en 2025. Le dirigeant du PDCI, Tidjane Thiam, qui succède à l’ancien président Henri Konan Bédié, mort l’an dernier, a déjà annoncé ses ambitions présidentielles, qui devront également être validées par une convention du parti. Alassane Ouattara, quant à lui, ne s’est pas encore prononcé sur une candidature à un quatrième mandat, même si dans son entourage certains la préparent déjà.
Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)
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