« La Côte d’Ivoire a besoin d’une véritable réconciliation »
Elu en décembre à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, l’ancien banquier ne cache pas ses ambitions pour l’élection présidentielle de 2025.
Elu à la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) le 22 décembre 2023, Tidjane Thiam, 61 ans, est à la fois un nouvel arrivant dans le paysage politique ivoirien et un revenant. Après vingt années passées à la tête de grandes entreprises européennes comme l’assureur britannique Prudential ou le Crédit suisse, le banquier franco-ivoirien, neveu de l’ex-président Félix Houphouët-Boigny et ancien ministre d’Henri Konan Bédié – dont les obsèques commenceront le 20 mai −, est de retour en Côte d’Ivoire avec des ambitions présidentielles évidentes pour 2025.
Qu’est-ce qui caractérise le nouveau PDCI que vous présidez ?
Nous sommes partis d’une consultation approfondie avec 2 500 secrétaires de section et responsables locaux. Ce qui en est ressorti, ce sont d’abord les forces réelles du PDCI : une implantation ancienne sur l’ensemble du territoire, un vivier de compétences pour la nation, qui a fourni de nombreux cadres et dirigeants à la Côte d’Ivoire, et un profond attachement à la paix et au dialogue. Nous l’avons vu en décembre lorsque notre congrès électif a été annulé en pleine nuit. Nos partisans ont fait preuve d’un calme et d’une maîtrise de soi irréprochables, même face au déploiement exceptionnel des forces de l’ordre.
Mais nous avons aussi identifié plusieurs opportunités d’amélioration. La base ressentait une certaine distance entre ses dirigeants locaux et la haute direction du parti. Il manquait aussi un projet commun pour le parti et la Côte d’Ivoire. Pour pallier cela, nous nous sommes réorganisés sur une base géographique qui correspond au découpage électoral et, dans une perspective de décentralisation, nous avons mis en place des hauts représentants dans chacun des quatorze districts.
Je me réjouis de voir l’afflux récent de nouveaux adhérents sur tout le territoire : ils sont près de 8 000 à l’heure où nous parlons. C’est un indicateur très positif. Et 60 % de ces nouveaux adhérents ont moins de 50 ans, ce qui est aussi une très bonne chose. C’est vrai que notre parti est ancien, mais il est important de montrer qu’il a aussi un avenir. Il y a un véritable engouement pour le discours d’apaisement et de réconciliation que je tiens.
L’objectif est maintenant de construire un projet de société autour de six axes principaux : le capital humain, la société, l’économie et l’équité, les nouvelles technologies, le développement durable, la paix et la sécurité.
Etes-vous prêts pour l’élection présidentielle de 2025 ?
Oui, toute cette organisation est tournée vers 2025. Nous venons de sortir de l’introspection et de l’analyse pour passer à l’action. La priorité maintenant est l’enrôlement massif des Ivoiriens sur le registre électoral. Ils ne sont que 8 millions d’inscrits sur 27 millions de citoyens. Pour que les scrutins soient crédibles, le corps électoral doit avoir une taille suffisante afin d’être représentatif. Nous fixons l’objectif à 12 millions d’inscrits. Nous avons aussi nos réserves, comme d’autres partis d’opposition, sur le fonctionnement de la Commission électorale indépendante (CEI), que nous aimerions voir changer. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’élection soit transparente et équitable.
Serez-vous candidat ?
Au PDCI, c’est une convention qui désigne le candidat du parti. Notre congrès extraordinaire de décembre m’a mandaté pour préparer l’élection présidentielle de 2025. Donc oui, je me porterai candidat lors de la convention à venir du PDCI pour être le candidat du parti à l’élection présidentielle de 2025, si Dieu le veut.
Faites-vous l’unanimité en interne, alors que l’ancien ministre du commerce Jean-Louis Billon a refusé sa nomination au secrétariat exécutif du parti ?
J’ai été élu avec 96 % des voix au congrès du 22 décembre. Nous avons aussi mené une large concertation pour élaborer notre projet commun. Ce n’est pas le projet d’un seul, mais le résultat d’un travail collectif. Je prône l’union, pas l’unanimité. Je ne répondrai pas aux critiques, je veux simplement que nous soyons unis dans l’action pour avancer. Je crois dans le travail d’équipe. J’ai d’ailleurs tendu la main aux cadres du PDCI qui avaient posé des candidatures indépendantes aux dernières élections locales. Je les ai reçus, j’ai levé leurs sanctions et ils ont repris leur place dans le parti. Quant à Jean-Louis Billon, il a refusé ce poste mais annoncé qu’il restait au PDCI. Il est bon qu’il ait exprimé le désir de rester.
Vous êtes de retour en Côte d’Ivoire après vingt ans passés hors du pays. Arriverez-vous à vous faire vraiment connaître des Ivoiriens en un an et demi ?
Je n’ai pas de problème de notoriété. Les Ivoiriens connaissent ma famille, ils me connaissent moi, mon parcours… Au début de ma carrière politique, on m’a conseillé de ne jamais rester à Abidjan plus d’un mois et j’ai suivi ce conseil religieusement. J’ai parcouru tout le territoire et la population se souvient de mes visites. Je vais continuer d’aller sur le terrain, au contact des Ivoiriens, pour m’assurer sans cesse que le programme que nous présentons répond à leurs attentes.
Envisagez-vous de reformer la famille houphouëtiste avec le pouvoir ou de maintenir le PDCI dans l’opposition ?
Nous sommes le parti du dialogue et de la paix, nous échangeons avec tout le monde. Le ministre [de l’agriculture] Kobenan Kouassi Adjoumani représentait le RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, au pouvoir] à notre congrès électif de décembre. J’ai rencontré Simone Gbagbo jeudi, je rencontrerai également le RHDP et la présidence [une rencontre avec le chef de l’Etat était prévue lundi 11 mars]. Je veux faire de la politique apaisée.
Vous avez également rendu visite à Laurent Gbagbo le 24 février dans son village de Mama. Où en est votre alliance ?
J’ai de bonnes relations avec Laurent Gbagbo. L’alliance entre nos deux partis est réelle et elle a encore été renforcée lors de cette rencontre. Nous avons certes nos divergences, notamment économiques. Le PDCI est favorable à l’économie de marché, ce qui n’est pas le cas de son parti… Mais d’autres rencontres sont prévues dans les prochains mois. La Côte d’Ivoire a besoin d’une véritable réconciliation.
Que pensez-vous de la grâce présidentielle accordée le 22 février à 51 prisonniers proches des opposants Laurent Gbagbo et Guillaume Soro ?
Je pense que cette décision va dans la bonne direction, c’est le prix de l’apaisement. La Côte d’Ivoire a eu une histoire difficile depuis le premier coup d’Etat en 1999. Nous ne cesserons jamais de déplorer les pertes en vies humaines. Les épreuves traversées par chaque camp doivent être reconnues et tous les partis doivent s’engager à ne pas recourir à la violence. Le rôle des dirigeants est de donner l’exemple, on ne peut pas construire son bonheur sur le malheur des autres. Il en va de même pour la sous-région : la « forteresse Côte d’Ivoire » est une illusion dangereuse. La Côte d’Ivoire doit être en paix, à l’intérieur de ses frontières comme avec ses voisins.
Quel regard portez-vous sur les réalisations économiques d’Alassane Ouattara depuis 2011 ?
Il y a eu une croissance incontestable. De 1980 à 2010, la Côte d’Ivoire était étranglée par sa dette, à laquelle on consacrait la moitié de notre budget. J’ai été membre de la Commission pour l’Afrique mise en place par [le premier ministre britannique] Tony Blair en 2004, je me suis battu pour que nous bénéficiions d’une remise de dette historique. L’économie ivoirienne a redémarré depuis 2015, les Ivoiriens sont entreprenants, notre pays est riche et fertile… Il faut désormais consolider ces gains et mieux répartir cette croissance.
Nous devons absolument investir plus et mieux dans l’éducation et la santé, même si cela semble coûteux à court terme. Nous devons aussi développer une agriculture de meilleure qualité, plus productive et moins destructrice pour l’environnement. Il faut créer un environnement propice au développement des entreprises ivoiriennes, avec un tissu dynamique de PME-PMI. Pour attirer les investissements étrangers, nous avons besoin d’un écosystème local florissant, de petites entreprises qui réussissent et auxquelles on donne les technologies nécessaires pour se bancariser.
Enfin, il nous faut absolument développer l’épargne en monnaie locale en passant par le développement de fonds de pension. C’est l’épargne accumulée par des millions de personnes pendant des années qui permet d’apporter aux entreprises et à l’économie des financements en fonds propres, évitant ainsi le recours excessif à la dette. La dette peut parfois être utile à l’Etat, pour construire par exemple de grandes infrastructures. Mais le capital est frileux : le pays a besoin de paix pour attirer les investissements.
Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)
Le Monde Afrique
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