Au lendemain de la victoire à la CAN, dont les ondes positives continuaient d’impacter le moral de la population, le nouveau gouverneur du district d’Abidjan, le ministre Cissé Bacongo, par ailleurs maire de Koumassi, avait une idée bien arrêtée en tête : raser tous les quartiers du district d’Abidjan répertoriés comme « précaires » par ses services, sans concertation, sans sommation, sans plan de relocalisation des populations déguerpies. En fait, l’opération avait déjà débuté durant la CAN dans les communes de Port-Bouët et du Plateau. Puis il eût une pause, sur l’intervention du Premier-Ministre, selon la presse.
Du 19 Février au 25 Février, soit juste une semaine après la victoire des éléphants, les bulldozers entraient en action, réduisant en ruines les quartiers de gesco et banco I (commune de Yopougon), boribana et mossikro (commune d’Attécoubé). Les images des gravats sur les réseaux sociaux vont créer une onde de choc. On se demandait où se trouvait l’urgence d’une telle opération. Le ministre Bacongo avait prévu mettre en œuvre la plus vaste opération de démolition des quartiers précaires jamais entreprise à Abidjan. 177 quartiers étaient ciblés sur l’ensemble du district.
Alors que les économistes avaient prédit que »l’effet CAN’’ se ferait ressentir durant trois à quatre mois sur la consommation, ce vent d’optimisme a laissé place à la tristesse et la psychose. Ces démolitions ont fait entrer le pays dans une tragédie silencieuse, une sorte de »deuil », comme si »l’ange de la mort’’ frappait sans faire de bruit. Quand on se rend sur site, on est tétanisé, bouleversé par l’immensité des destructions, et cette question vient à l’esprit : comment des autorités qui disent travailler pour le bien être des populations, peuvent-elles agir ainsi ?
La commune de Koumassi est souvent citée en exemple. Son maire, le ministre Bacongo a été élu « Maire de l’Année » il y a quelque temps. En réalité les investissements entrepris à Koumassi sont l’œuvre du Projet de Renaissance des Infrastructures en Côte d’Ivoire (PRICI), un fond d’urgence mis en place dès 2012, doté initialement de 100 milliards de FCFA. Ce fonds intervenait sur les infrastructures qui n’avaient pas subi d’entretien sur la période 2000-2011. Le ministre Bacongo a fait jouer ses relations. Car la Mairie de Koumassi est bien trop démunie pour bitumer une seule artère sur son propre budget. Elle a disposé de moyens qui ont fait défaut aux autres communes.
En dépit des réalisations, la commune reste aujourd’hui meurtrie du fait des démolitions. Les stigmates sont visibles, plus de trois ans après. Des zones densément peuplées ont été rasées et sont devenues des terrains vagues. Des milliers de familles ont été abandonnées à leur sort, sans aucune aide, au mépris des dispositions légales qui font obligation aux autorités de prendre toutes dispositions pour les recaser sur de nouveaux sites. C’est ce schéma, que le ministre Bacongo comptait manifestement reproduire à l’ensemble du district d’Abidjan.
Le bidonville de Kibéra au Kenya (ci-dessus) est le plus grand bidonville d’Afrique. Il est encerclé aujourd’hui par la capitale Nairobi. Pourtant il n’ a jamais été question de sa démolition alors que Nairobi est l’une des villes les plus modernes d’Afrique. Toute ville africaine voit émerger des quartiers huppés, mais aussi précaires, résultat de la différence de revenus. En fonction du salaire, l’individu se dirige vers les zones où l’habitat lui est abordable. C’est une loi universelle. Démolir les zones précaires ne résout pas le problème de fond, à savoir les bas revenus.
Bien sûr, la démolition peut s’imposer (habitats bâtis sur l’emprise d’une infrastructure, sur le flanc de collines, ou sur les ouvrages de drainage..etc..). Mais il ne faut pas démolir pour des questions »d’esthétique », ce à quoi on assiste aujourd’hui. Dans une interview en date du 01 Mars dans le quotidien Frat mat, le ministre Bacongo justifie la démolition au quartier »gesco » par le fait qu’il se situait à l’entrée de la ville d’Abidjan, et ne reflétait pas le réputation de la capitale économique car « il ressemblait à un village ». La déclaration est scandaleuse, elle prouve que l’objectif premier des démolitions reste l’embellissement de la ville d’Abidjan, et non la sécurité ou le bien-être des populations comme il l’affirme souvent.
Devant toutes ces familles qu’on aperçoit au milieu des gravats, comment se sent-il ? Où est la compassion du gouverneur face à la détresse de ses administrés ? Avant qu’il ne soit maire à Koumassi, il donnait l’image d’une personnalité mesurée et consensuelle. On était loin d’imaginer qu’il pouvait à ce point se montrer dénué d’émotions, qu’il ferait montre d’autant de méchanceté gratuite, de tant d’excès de zèle destructeur . Il a su mettre en veilleuse cette partie de sa personnalité.
Après les démolitions de Koumassi et la réprobation générale qui a suivi, on croyait qu’il avait tempéré ses ardeurs. Hélas ! Ce qui s’est passé prouve le contraire, l’homme est devenu encore plus impitoyable. Comme un génie malfaisant, il avait lancé la campagne de démolition en pleine CAN avant que le PM ne le contraigne à une pause !!! Voulait-il gâcher la fête ? Est-il en pleine possession de ses facultés de jugement ? Son discernement est-il toujours en place ? Qu’a-t-il réellement en tête ? Ces questions sont légitimes à ce stade.
Lorsqu’il était ministre de la fonction publique, sa gestion des fonds des concours (les frais dont s’acquittent les candidats) était des plus opaques. La presse en faisait régulièrement cas. Sa gestion de la commune de Koumassi n’est pas aussi un modèle, quoi qu’en disent les apparences. Véritable prédateur, il est accusé d’être derrière toutes les entreprises prestataires de la commune. Il y a aussi cette affaire de 110 milliards pour la rénovation des universités dans laquelle son nom est cité, en tant que ministre de l’enseignement supérieur à ce moment.
Le 27 Février dernier, en conseil des ministres, l’homme a été dessaisi de la conduite de l’opération de déguerpissement. C’est désormais le PM Beugré Mambé qui va s’en occuper. On a aussi appris que les quartiers concernés sont au nombre de 30 et non 177. Enfin ces quartiers ne seront pas démolis mais »réhabilités » selon les termes du communiqué officiel. Quoique dotée d’infrastructures relativement avancées, Abidjan est une ville d’Afrique et non d’Europe. Il ne faut pas le perdre de vue.
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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