Développement de l’électrification en Côte-d’Ivoire: Tout sur la construction des fermes solaires

Le soleil est gratuit et inépuisable. Et les rayons solaires sont convertibles directement en électricité, sans pollution et sans nuire à l’environnement. En Côte d’Ivoire donc, le gouvernement se donne les moyens de développer cette transition énergétique. Dans cette interview, Serge Dioman Parfait, Expert International en Industries Pétrolières et Énergies, parle des objectifs du gouvernement, des opportunités et des exigences de ce secteur.

Quelle est la situation de l’électrification solaire dans nos Etats en développement, particulièrement en Côte d’Ivoire ?

SERGE DIOMAN PARFAIT : Elle est dans une forte dynamique de progrès eu égard aux consignes de transitions énergétiques donnant lieu à d’importants investissements consentis dans plusieurs de ces États en développement.

En effet, en plus des bénéfices liés à l’utilisation du soleil comme une source d’énergie primaire renouvelable, intarissable et propre, ceux-ci voient en l’exploitation solaire, une opportunité accélérée d’accroître leurs taux de couverture électrique à des coûts abordables.

Ainsi, comme impulsé par le ministre des Mines, du Pétrole et de l’Energie (MMPE) ivoirien, Mr Mamadou Sangafowa-Coulibaly, l’objectif spécifique en la matière est de disposer de 600 MWc (Mégawatts Crête) solaires à l’horizon 2026 pour la Côte d’Ivoire.

La Côte d’Ivoire a-t-elle les capacités d’atteindre cet objectif 600 MWc en 2026 ?

SDP : Bien sûr ! L’objectif spécifique du Ministre Mamadou Sangafowa-Coulibaly de disposer de 600 MWc (Mégawatts Crête) solaires à l’horizon 2026, contribue à l’atteinte de l’objectif global du pays qui est de hisser la part électrogène des énergies renouvelables à 42%, voire 45% de son mix-énergétique d’ici 2030 et ce, conformément aux engagements onusiens COP climat qu’il a pris.

La Côte d’Ivoire en a effectivement les pleines capacités.

Elle a bien quand même réalisé un saut fulgurant de 34% de taux de couverture électrique en 2013 pour atteindre 87 % à ce jour et viser sereinement les 100% très bientôt pour 2025.

Pays très exposé au soleil, pourquoi le développement de la technologie solaire traine-t-il encore en terre ivoirienne, notamment dans les lieux éloignés où il est difficile d’amener le réseau électrique traditionnel ?

SDP : En toute objectivité, le pays n’est à la traîne en tant que tel vu que le solaire est bel et bien répertorié dans son plan stratégique énergétique et ce, à divers stades significatifs d’études, de constructions en cours voire même de livraisons de fermes solaires achevées et déjà en production.

Où sont basées ces fermes solaires livrées et déjà fonctionnelles ?

SDP : La ferme solaire inaugurée à Boundiali a une puissance installée de 37,5 MWc extensibles à 80 MWc. Bondoukou et Ferkessédougou annoncent respectivement 50 MWc et 52 MWc lorsque les installations seront livrées.

Par ailleurs, le solaire hors-réseau, pour les localités isolées, est effectif en Côte d‘Ivoire. Ce recours à l’électrification décentralisée est à l’écho des Objectifs de Développement Durable, ODD 7 et 13, auxquels le gouvernement ivoirien a résolument adhéré en implémentant le Programme National D’Electrification Rurale (PRONER) depuis 2013.

Et en 2022 par exemple, le village de Dibykro, situé dans la sous-préfecture de Tiassalé, à quelques 130 kilomètres au nord d’Abidjan en région de l’Agneby-Tiassa, fonctionne 100% grâce à l’énergie électrique d’une mini-centrale solaire de 90 kWc (kilo-Watts Crête) photovoltaïques et des batteries.

Disposant alors de 310 panneaux et couplée à un groupe électrogène de secours, pour répondre aux appels de pointes de consommation, celle-ci dessert en outre d’autres villages situés à proximité et des milliers de foyers par conséquent.

Qu’envisagez-vous pour les zones rurales isolées et difficiles d’accès ?

SDP : Le défi majeur des zones rurales isolées et difficiles d’accès est qu’elles sont faiblement peuplées et se présentent donc potentiellement comme des lieux de faible consommation électrique qu’il faudra tout de même alimenter.

Ces zones sont en plus géographiquement éloignées des points de raccordement au réseau électrique national. Ce qui augure au final de coûts élevés pour les raccorder audit réseau national. Elles sont pour ce faire alors désavantagées en termes de facilité d’accès à l’électricité.

Pour elles donc, les solutions du solaire hors-réseau sont les plus appropriées dans l’immédiat même si dans certains pays qui connaissent des cas similaires, la consigne portée aux populations est un regroupement de ces petits villages isolés pour constituer des zones plus peuplées.

Et de manière générale par ailleurs, l’on ne saurait toutefois occulter le fait que les équipements importés pour l’érection des fermes solaires coûtent relativement cher.

Combien peut-on évaluer au bas mot un équipement solaire ?

SDP : Le coût d’une ferme solaire dépend de plusieurs paramètres dont la puissance crête installée, la technologie et le nombre de panneaux solaires, le nombre de batteries de stockage et leur ampérage, le prix des câbles électriques pour évacuer la charge électrique produite sur des distances, les coffrets de protection électrique, etc.

D’emblée donc, l’on ne peut donner une estimation si l’on n’a pas d’avance toutes ces données nécessaires à l’étude.

En guise d’exemple cependant, notons que les 37,5 MWc de la première phase de la ferme solaire de Boundiali, contruite en fine collaboration avec CI-ENERGIES, auront coûté un ordre de 40 millions d’euros quand la phase 2, visant une extension qui permettra en fin de projet de porter l’électricité à plus de 75 000 foyers, nécessitera une rallonge de près de 30 millions d’euros complémentaires.

Dans la même veine, les 52 MWc du solaire photovoltaïque de Sokhoro, à Ferkessédougou, sont pour leur part estimés à 39,5 milliards fCFA d’investissement quand les 50 MWc de Bondoukou, région du Gontougo, s’annoncent pour un coût global de 37 milliards de FCFA.

C’est le lieu alors d’apprécier à leurs justes valeurs les efforts consentis en terme d’investissement pour le solaire ivoirien.

L’implémentation de l’énergie solaire coûterait alors si cher ?

SDP : En terme de plan d’investissement dans tous les cas, tout se passe en toute transparence selon diverses rubriques établissant des conventions de concessions incluant entre autres la conception, le financement, la construction, l’exploitation, la détention en pleine propriété de la centrale en question, etc.

Néanmoins, tous les coûts d’acquisition d’une ferme solaire photovoltaïque ou thermique suivent d’année en année hélas une tendance haussière due à des facteurs essentiellement exogènes que nous espérons voir fléchir au plus tôt possible.

Une situation malheureusement aggravée par la crise russo-ukrainienne que subit le monde entier, y compris la Côte d‘Ivoire qui n’est cependant pas résignée car elle poursuit tout de même, sur toute l’étendue du territoire national, son grand programme de déploiement solaire au travers du Programme Électricité Pour Tous (PEPT) lancé depuis 2014.

Les panneaux solaires domestiques sur le toit de nos maisons sont-ils aussi onéreux.

SDP : A l’investissement, c’est bien le cas mais ils se rentabilisent rapidement en terme d’économie sur la facture d’électricité.

Pour avoir un ordre d’idée, la tendance actuelle est que le système de panneaux solaires photovoltaïques installé pour une villa duplex coûtera aujourd’hui entre 9 et 12 millions de fCFA. Il y a deux années, ce coût était évidemment moindre.

Le pays dispose-t-il de travailleurs qualifiés en énergie solaire pour l’installation, la maintenance, aussi bien que les infrastructures adaptées et de financement pour garantir le développement de cette énergie renouvelable sur son territoire?

SDP : En terme de contenu local, le pays n’est pas mal pourvu en ressources humaines qualifiées et en experts en capacité d’exercer en EPCCS (Engineering, Procurement, Construction, Commissioning & Start Up), c’est-à-dire de bout en bout sur toute la chaîne allant des études à la livraison et la mise en marche de fermes solaires modestes ou grande envergure.

En terme de financement au demeurant, des champions nationaux commencent à se signaler, individuellement ou en consortium avec des partenaires extérieurs.

Somme toute, cela augure de lendemains encore plus expressifs pour l’énergie solaire en Côte d’Ivoire.

Et lorsqu’à terme, la Côte d‘Ivoire disposera de plusieurs usines de fabrication et montage de pièces, équipements, services, etc. dédiés à cette filière, le coût de revient du kilowattheure solaire sera davantage revu à la baisse.

Comment le secteur est-il encadré ?

SDP : Sous l’autorité des directions et services compétents du ministère de tutelle couvrant le secteur de l’énergie, la filière de l’énergie solaire vise deux domaines différents.

L’on note celui des particuliers où les panneaux solaires sont à usage domestique, pour leur domicile entre autres. En Côte d’Ivoire, il interdit au particulier de vendre l’électricité solaire. Elle est à usage exclusivement personnel.

Le second domaine est celui des producteurs. Seuls ces derniers peuvent vendre leur électricité de source solaire. Tout est ainsi encadré par les autorités car implémenter une ferme solaire requiert certains préalables incompressibles.

Que faut-il pour implanter une ferme solaire ? Y’a-t-il des exigences spécifiques ?

SDP : Il faut entre autres identifier des hectares de terres offrant un bon ensoleillement à longueur d’année puis évacuer toutes les questions foncières pour les acquérir sur la base d’une rigoureuse Étude d’Impact Environnemental et Social (EIES).

Il faudra ensuite s’accorder sur les termes de référence des différents contrats d’achat de la production solaire annoncée ainsi que s’entendre sur la nature du plan de concession final clarifiant les modalités pour la conception, financement, la construction, l’opération, le transfert ou autres clauses.

Et ce n’est qu’après avoir ficelé ces questions d’usages que l’on a le quitus de démarrage des travaux qui peuvent aller d’un an et demi à deux ans et demi selon l’envergure de la ferme solaire et sa complexité.

D’aucuns parlent de deux technologies : le solaire thermodynamique et le solaire photovoltaïque pour capter l’énergie solaire. Laquelle recommandez-vous et où l’installer de préférence ?

SDP : En fait, tandis que le solaire photovoltaïque utilise la lumière du soleil pour générer directement l’électricité, grâce aux cellules des panneaux photovoltaïques, le solaire thermique a, quant à lui, un principe de fonctionnement similaire à celui d’un chauffe-eau solaire.

Ce dernier exploite donc la chaleur du soleil pour chauffer et générer de la vapeur ou un autre medium qui ira faire tourner un ensemble turboalternateur d’où l’on aura l’électricité. Il convient plus alors pour un environnement désertique où il profite par ailleurs de la forte chaleur ambiante du milieu extérieur et nécessite de disposer de plus grands espaces.

En revanche, la très forte chaleur ambiante est de nature à réduire les performances du solaire photovoltaïque.

Or d’aucuns pensent à tort que plus il fait chaud et plus cette technologie marche mieux. C’est le contraire. Voilà pourquoi en Côte d’Ivoire, où les terres cultivables et habitables sont d’ailleurs de grandes importances, le solaire photovoltaïque classique et sa variante hydro-solaire photovoltaïque sont plus adaptés.

Cette variante consiste à installer ces panneaux solaires sur un plan d’eau pour, entre autre, éviter d’être en compétition avec les terres agricoles cultivables et d’autre part profiter de l’adoucissement thermique de l’environnement aquatique de même que du faible empoussièrement ambiant.

En effet, le dépôt de poussières sur ces panneaux finit par créer un écran qui, s’il n’est pas régulièrement nettoyé, réduira la pénétration lumineuse vers les cellules.

L’entretien de ces équipements ne peut-il pas être un frein à l’usage ?

SDP : Mal entretenue, il est clair que les performances d’une ferme solaire photovoltaïque s’en trouveront réduites de manière accélérées car il s’agit avant tout de systèmes embarqués d’électronique de puissance combinée à l’électronique fine.

Il ne faut surtout pas omettre d’y intégrer les divers coûts de maintenances préventives et curatives que l’on néglige hélas.

Quelle est la durée de vie des installations solaires, qu’elles soient photovoltaïques ou thermiques ?

SDP : Il n’y a pas de durée de vie d’office exprimée en tant que telle, car d’une installation à une autre, tout dépendra de la durée de vie particulière des différents constituants de ladite ferme solaire photovoltaïque ou thermique en question.

Bien entendu, les panneaux sont les composants les plus visibles mais il n’y a pas qu’eux à prendre en compte. Pour notre information cependant, nous remarquons un début de baisse net de rendement à leur niveau au bout d’une trentaine d’années d’opération et ce, du fait du vieillissement.

Pour ce faire, une ferme solaire bien conçue et bien entretenue aura sa pleine capacité opérationnelle jusqu’à 25 à 30 ans environ avant de nécessiter une profonde révision.

Il nous revient qu’ailleurs la solution la plus simple et la plus économique est de mixer l’énergie solaire avec une autre énergie. Etes-vous de cet avis ?

SDP : C’est en pratique une disposition opérationnelle mise en place pour compenser la baisse de régime des fermes solaires lorsque l’intensité du rayonnement solaire comme à faiblir, comme c’est le cas par exemple au coucher du soleil ou par temps de ciel couvert entre autres.

En effet, les fermes solaires, fussent-elles de type thermique ou photovoltaïque, déploient le maximum de leur capacité énergétique en présence du soleil. Du fait de ce caractère intermittent donc, une autre source d’énergie de substitution est mise en route pour assurer la continuité de service.

Dans un système photovoltaïque par exemple, des batteries de secours, chargées en journée par une partie de l’électricité produite par les panneaux solaires, prennent le relais le soir. Des fois, ce sont plutôt des centrales hydroélectriques ou thermiques, etc. qui jouent ce rôle de source compensatrice.

Cela peut donc s’avérer économique pour l’opérateur de ne pas faire tourner en permanence ces centrales qui ont un coût de revient électrogène élevé et plutôt les utiliser dans un schéma de mixité avec des fermes solaires fonctionnant en journée pour bénéficier de leur faible coût de revient moindre.

Il résulte globalement de cette mixité énergétique un coût marginal plus économique pour le kilowattheure produit.

Faut-il craindre des rayons ionisants et des matières dangereuses avec la technologie solaire ?

SDP : Non pas du tout ! Les technologies solaires photovoltaïques et thermiques sont non émissives de rayons ionisants. Il n’y a donc vraiment rien à craindre à ce niveau.

Des scientifiques estiment que la réduction des émissions de gaz à effet de serre offerte par l’énergie solaire, constitue une alternative attrayante aux combustibles fossiles dans un avenir proche.

SDP : Il est vrai qu’en terme d’impacts carbone et gaz à effets de serre, le solaire est inéluctablement une énergie propre. Aujourd’hui, le fossile, dans toutes ses variantes pétrole, gaz, charbon, etc. pèse encore pour plus de 75% dans l’offre énergétique mondiale.

Ce n’est donc pas une ressource à supprimer brusquement quand l’on sait que l’offre des énergies renouvelables actuelle n’est pas en mesure de prendre le relais car bon nombre d’entre elles sont soit intermittentes soit sensibles aux aléas climatiques saisonniers, etc.

C’est pourquoi, les pétroliers dans leur ensemble ont abondé dans le sens avéré de l’innovation énergétique, qui consiste à utiliser le fossile autrement, plutôt qu’aller dans le sens d’une transition énergétique brutale.

Les objectifs COP désormais fixés aux horizons 2035 à 2040 sont en quelque sorte une prise en compte de cette réalité. L’on a en effet tiré des leçons de la dernière crise énergétique mondiale de 2022.

Partagez-vous la position de ceux qui soutiennent que certains systèmes solaires thermiques utilisent des fluides potentiellement dangereux pour transférer la chaleur. Les fuites de ces matériaux pourraient être nocives pour l’environnement.

SDP : C’est une problématique liée à des catégories de fluides caloporteurs utilisés dans certaines fermes solaires thermiques. Mais il s’agit en réalité de cas très isolés qui sont immédiatement corrigés quand il s’agit de fuites dues à des pertes d’étanchéité.

Avec les panneaux solaires photovoltaïques, il n’y a aucun transfert de fluides et l’on n’a pas ce problème à part les panneaux hybrides où l’on fait circuler un fluide de récupération de chaleur pour augmenter le rendement global.

Propos recueilis par Marcelle AKA
Journal L’INTER du mardi 06 février 2024
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2 réflexions au sujet de “Développement de l’électrification en Côte-d’Ivoire: Tout sur la construction des fermes solaires”

  1. Comment ne pas applaudir le gouvernement pour ces initiatives et cette politique énergétique ? Avec l’abondance de notre exposition au soleil, ce n’est que pratique et « smart » pour notre pays de recourir massivement à ces fermes solaires dansnotre mix énergétique. Il faut aussi saluer le gouvernement pour faire de notre pays le seul ou deuxième en Afrique je crois ayant une couverture électrique de 100 pourcent ou presque à l’orée 2025. En tant qu’observateur, il faut dire que cela sera difficile pour l’opposition ivoirienne de contrer un tel bilan. En effet,
    les élections en 2025, ça promet et on attendra de voir tous les programmes de société. Vivra qui verra !

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