Lu pour vous: Seconde nature (Libre Opinion)

Par Maurice Ferro Bally

Le RHDP est en ordre de bataille pour garder le pouvoir d’État. Il a organisé, du 17 au 19 novembre 2023, un séminaire-bilan pour préparer la présidentielle du 25 octobre 2025.

Et les mises en scène repartent de plus belle. Accordant une interview à France 24 et RFI le 27 octobre 2020, quatre jours avant le scrutin controversé du 31 octobre, Alassane Ouattara refusait de briguer un autre mandat en 2025.

« Écoutez, ça suffit comme ça. C’est un sacrifice que je fais. Pour moi, ce sera difficile et même impossible. Et j’espère que la Constitution va régler ce problème, » s’est-il confié, se montrant désabusé.

Mais il ne faut se faire aucune illusion. Le disque est rayé. Ces sorties sont une habitude devenue une seconde nature dans la gouvernance ivoirienne. Le 4 janvier 2017, devant les ambassadeurs accrédités en Côte d’Ivoire, le 16 juillet 2018 à la création du parti unifié RHDP, le 5 mars 2020 devant le Congrès, Ouattara a renoncé à un autre mandat en octobre 2020.

C’était le discours convenu après la promulgation, en novembre 2016, de la nouvelle Constitution créant la IIIè République. Les membres du comité d’experts de rédaction de cette Loi fondamentale, Professeur Boniface Ouraga Obou et Cissé Ibrahim dit Bacongo, étaient formels: « Le président Ouattara respectera la Constitution et ne briguera pas un troisième mandat. »

En effet, la raison technique dont parlera le ministre de la Justice, Sansan Kambilé, sans l’évoquer devant les députés, réside dans l’article 183 de la Constitution, qui introduit la continuité législative.

Il est ainsi libellé: « La législation actuellement en vigueur en Côte d’Ivoire reste applicable, sauf l’intervention de textes nouveaux en ce qu’elle n’a rien de contraire à la présente Constitution. »

Cela signifie que les dispositions antérieures, qui ne sont pas contraires aux dispositions nouvelles, ne sont pas abrogées. Or, dans les Constitutions de 2000 et 2016, le mandat présidentiel reste limité à deux.

Et comme l’a alors répété, le 12 octobre 2016, Alassane Ouattara devant les députés à l’occasion de l’examen de l’avant-projet de Constitution, « le président de la République est élu pour cinq ans, renouvelable une seule fois. »

Il s’engageait, de ce fait, à « transférer le pouvoir à une nouvelle génération. » Et il était si convaincant que l’imprudent ministre Pascal Abinan Kouakou s’est déclaré prêt à mettre sa main au feu.

La disparition, le 8 juillet 2020, du dauphin Amadou Gon Coulibaly va alors transformer la Constitution en une primigeste dont les envies varient au gré des intérêts. Et le 6 août, Ouattara s’inscrivait dans la spécialité des politiciens: le double langage. Il se déclarait candidat contre la Constitution et pour le passage en force à la présidentielle du 31 octobre.

Cissé Ibrahim, enseignant de droit à l’université Houphouët-Boigny, a alors eu cette déclaration hallucinante: « Oui, j’ai déclaré que la nouvelle Constitution empêche Ouattara d’être candidat en 2020. Mais, c’était mon interprétation à moi et c’était d’ailleurs l’interprétation de tous les membres du comité d’experts. Mais Ouattara connaît le droit plus que nous tous réunis. »

Ayant rompu toutes les amarres de droit et d’homme droit, le secrétaire exécutif du RHDP est désormais tout feu tout flamme. « En 2025, notre candidat, en tout cas celui que nous avons choisi et que nous allons imposer, s’appelle Alassane Ouattara, » a-t-il déclaré, en campagne pour les élections locales, le 13 mai 2023 à Gagnoa.

Et dans les colonnes de Jeune Afrique du 18 novembre 2023, Bacongo reconnaît encore que politique et droit sont deux combinaisons qui ne font pas bon ménage: « La Constitution ivoirienne permet à Alassane Ouattara de se présenter en 2025. »

Le hic, c’est qu’à la légalité qu’il a étouffée, Ouattara va ajouter une crise de légitimité et d’éthique. Le 28 novembre 2019, à Katiola, il invitait « ceux de (sa) génération », à savoir Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo (alors détenu à la CPI) à le rejoindre dans le désistement afin de passer le témoin à une nouvelle génération.

Deux ans avant le scrutin d’octobre 2025, il est au pied du mur. Les « gens de sa génération » sont tous hors course: Bédié a été rappelé à Dieu le 1er août 2023, et Laurent Gbagbo est rayé de la liste électorale, sur le schéma sénégalais.

Le président Macky Sall, filleul de Ouattara, a renoncé à un troisième mandat. Mais il a pris le soin, comme en Côte d’Ivoire, de neutraliser Ousmane Sonko, son redoutable adversaire, avant de choisir son dauphin pour la présidentielle de février 2024. Et c’est au tour de Ouattara de relever le défi de la retraite.

F. M. Bally

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