Cabo Delgado au Mozambique: Les humanitaires toujours sur la brèche 

Médecins sans frontière, UNICEF, Croix-Rouge… mozambicaines ou internationales, de nombreuses ONG se dépensent sans compter pour aider les populations du Cabo Delgado, région du nord du Mozambique, à s’acheminer vers une vie normale alors que l’insurrection locale semble marquer le pas. 

Déjà affecté par le sous-développement, les inégalités et une gestion pour le moins défaillante des affaires, le Cabo Delgado — région septentrionale du Mozambique — est le théâtre, depuis 2017, d’une insurrection armée d’obédience djihadiste qui a provoqué quelque 5000 morts et occasionné près d’un million de déplacés. Elle a également mis à l’arrêt les services publics de la région (santé, éducation, justice…), portant aussi un sérieux coup d’arrêt à une vie économique déjà frugale, et qui aujourd’hui peine à redémarrer en dépit d’une situation en cours d’amélioration.

En effet, depuis août 2021, une coalition militaire d’Afrique australe (Mozambique, Rwanda, Afrique du Sud…), a progressivement contraint les rebelles à se replier dans l’arrière-pays.

Depuis l’été 2022, même si la menace n’est pas totalement écartée, de nombreux déplacés ont commencé à revenir dans la province. « On compte 110 000 personnes à Palma, donc on voit qu’il y a non seulement beaucoup de personnes qui sont revenues chez elles, mais aussi de nouveaux déplacés internes qui viennent d’autres districts », explique Lara Bommer, porte-parole du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Outre le bilan humain très élevé, l’insurrection a provoqué des dégâts matériels très importants, dévastant villages, habitations, écoles, étals et boutiques des marchands, équipement des pêcheurs et des paysans… « La plupart des personnes ont trouvé leur maison détruite et leurs biens ont été volés ou brûlés. Beaucoup dorment à même le sol », constate une organisation de la société civile mozambicaine qui a mené un travail de terrain dans plusieurs municipalités de Cabo Delgado en début d’année 2023.

Une aide internationale essentielle 

Pour assister l’État mozambicain — 9e pays le plus pauvre du monde — qui peine à rétablir les services élémentaires, environ 300 ONG — dont Médecins sans frontières (MSF), UNICEF ou encore la Croix-Rouge s’activent actuellement au Mozambique, dont la grande majorité à Cabo Delgado.

MSF est installé dans la province depuis 2019 et mène dans la région un travail d’envergure. « En 2021, plus de 52 000 personnes ont été traitées contre le paludisme, près de 3 500 consultations individuelles de santé mentale ont été menées », indique l’ONG, qui précise que les conséquences psychologiques de cette insurrection sur la population locale ont été particulièrement importantes.

De son côté, UNICEF observe qu’au Cabo Delgado, où plus de 500 000 individus déplacés sont des enfants, « les besoins sont considérables et exacerbés par des partenaires et des financements limités ». L’ONG ajoute, dans un rapport paru en début d’année, que « dans les lieux d’origine des personnes déplacées, les services sont extrêmement limités, même si les personnes déplacées retournent maintenant dans ces régions ». En mai 2023, l’ONG a ainsi délivré nourriture et matériels à plus de 5000 enfants et a participé à la formation de 35 acteurs locaux visant à la surveillance du choléra, en résurgence au Mozambique.

La Croix-Rouge, quant à elle, distribue des quantités importantes de matériel essentiel (ustensiles ménagers, matériels agricoles et de pêche…) et a déjà vacciné 1,6 million de personnes contre la COVID-19 dans des zones difficiles d’accès. Mariana Camaroti, en mission pour le compte de l’ONG, met l’accent sur le redémarrage de la vie économique, car si l’aide humanitaire est, selon elle, « indispensable pour fournir une assistance d’urgence à ces personnes pour qu’elles puissent recommencer leur vie dans leur région d’origine », ces dernières doivent aussi « s’établir et gagner leur vie ».

Un soutien à la reprise des activités économiques 

Les cinq ans de guérilla ont porté un coup très dur aux activités économiques locales, comme le souligne un chercheur mozambicain dans un rapport cité début 2023 : « le commerce a été profondément affecté par le conflit armé. […] A Palma et Mocímboa da Praia, tout le commerce est assuré par de petits opérateurs informels, sous des tentes ou des conteneurs, alors que les supermarchés et les moyennes surfaces sont fermés ». Cependant, le chercheur note que « le marché de Palma a dépassé le dynamisme d’avant le conflit, tant en nombre d’étals qu’en variété et quantité de produits ».

Un début de reprise que l’on doit en bonne partie à des associations locales, qui travaillent de pair avec les ONG et le gouvernement régional, comme la Fundação MASC, une association mozambicaine. Celle-ci a soutenu une centaine d’opérateurs économiques, leur fournissant notamment des matériaux de construction pour la réhabilitation de leur boutique.

Ces acteurs régionaux, ainsi que les ONG, travaillent aussi en partenariat avec des entreprises étrangères installées dans la province, dont les énergéticiens internationaux du projet Mozambique LNG, ou encore d’Exxon, associés au gouvernement mozambicain pour l’exploitation des réserves gazières — abondantes à Cabo Delgado. Certaines de ces entreprises apportent un soutien important aussi bien pour la fourniture de matériels que pour la relance de l’activité socioéconomique. Une participation d’autant plus cruciale que l’aide humanitaire au Mozambique manque de moyens — les Nations unies estiment que celle-ci n’est financée qu’à hauteur de 27 % des besoins estimés.

Ces initiatives privées ont notamment permis à la Fundação MASC de distribuer aux habitants de la région des txopelas (véhicules motorisés), des canoés, des kits de pêche, ou encore du matériel de construction pour les habitations.

Ces acteurs internationaux se sont également associés à des partenaires communautaires en accordant des crédits à des entrepreneurs de la province, leur permettant de relancer leur activité, tout en investissant, en parallèle, des sommes importantes dans la formation professionnelle des jeunes ou la construction de nouvelles écoles. Le consortium Mozambique LNG a ainsi lancé l’initiative « Capacitamoz », visant à former des jeunes aussi bien dans le secteur tertiaire (hôtellerie, tourisme…) que dans l’électricité industrielle, la mécanique générale ou encore le traitement du pétrole et du gaz — ce qui devrait leur permettre d’être directement embauchés par les énergéticiens à la reprise des chantiers.

C’est aussi une façon de contribuer à la stabilisation en ouvrant des perspectives d’avenir, plusieurs experts estimant que la pauvreté et le chômage ont contribué à la montée du terrorisme dans la région. « Il est très important de créer des emplois pour les jeunes afin qu’ils ne soient pas susceptibles d’être recrutés par des groupes armés », confirme Helen Lewis, haut-commissaire du Royaume-Uni au Mozambique.

Accompagner le Mozambique dans la restauration de l’État ? 

Toutes ces actions sont aussi menées pour « promouvoir les capacités des populations », selon Jesús Perez, qui dirige l’ONG Ayuda en Accion, et les amener à s’engager directement dans la vie économique de la région. Le président de l’organisation redoute que les défaillances persistantes de l’État mozambicain habituent les populations à un « modèle économique distributif », en clair à un assistanat durable. Une position qui semble partagée par la majorité des acteurs sur place, comme en témoignent les nombreuses formations délivrées pour encourager l’entrepreneuriat, la création d’entreprise ou encore les compétences artisanales.

Enfin, une question sérieuse se pose quant à la situation « post-crise » — une fois l’insurrection conjurée, et les ONG sur le départ. C’est à ce moment que la logique de reconstruction et de croissance prendra vraiment le pas sur celle de l’urgence humanitaire et de la survie, et cette période de transition qui s’ouvre pourrait être compliquée pour les pouvoirs publics mozambicains, tant le travail des ONG a été fondamental.

Dans cette perspective, le pays d’Afrique australe pourra compter sur de multiples intervenants, comme la SADC (south-african development community), déjà présente au plan militaire, le FMI avec une nouvelle aide de 60 millions de dollars en juillet 2023, la Banque africaine de développement avec son portefeuille de projets permanents, ou encore l’Union européenne. Cette dernière a consacré près de 150 millions d’euros fin 2022 pour renforcer les capacités militaires ou aider le Mozambique dans les secteurs de l’éducation, de l’eau et de l’énergie. Un éventail de soutiens qui devraient permettre au pays d’exploiter enfin ses ressources en gaz naturel, et d’entrer dans la voie d’un développement autonome.

Joseph Traoré

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