Pourquoi les pays du Sud ne doivent pas tomber dans la dépendance au plastique

Les pays du Sud, et notamment les États africains, doivent réussir à se développer sans sombrer dans l’addiction au plastique qui  caractérisé la croissance en Occident. Ce matériau issu de la pétrochimie menace la biodiversité, la santé humaine et même le climat. Aujourd’hui, des solutions existent pour bâtir un avenir sans pollution plastique. 

Le 5 juin, la Côte d’Ivoire était le pays hôte de la 50e Journée mondiale de l’environnement, placée sous le signe du combat contre la pollution plastique. Trois jours plus tôt, à Paris, après cinq jours de négociations, 175 pays ont décidé de rédiger d’ici à novembre 2023 une première version du futur traité international contre la pollution plastique. Une majorité de pays semble déterminée à fixer des objectifs globaux et contraignants de réduction de la production de plastique. Cette coalition dite « de haute ambition » vise la fin de la pollution plastique à l’horizon 2040. Mais d’autres États, comme l’Arabie saoudite, la Russie, l’Iran, la Chine, l’Inde, le Brésil ou les États-Unis, préfèreraient se limiter à des engagements nationaux volontaires et à la question du traitement des déchets et du recyclage. « Les pays producteurs de pétrole et l’industrie des énergies fossiles font tout ce qu’ils peuvent pour affaiblir le traité et retarder le processus », dénonce Greenpeace.

L’enjeu est pourtant de taille car le plastique est partout : emballages, vêtements, construction… L’humanité produit plus de 430 millions de tonnes de plastique chaque année, dont deux tiers de produits à courte durée de vie qui deviennent rapidement des déchets. Dans le monde entier, les villes, les océans et les paysages sont envahis par les déchets plastiques, créant des risques pour la santé humaine, menaçant la biodiversité et déstabilisant le climat.

 

À l’horizon 2050, il y aura plus de déchets plastiques que de poissons dans les océans. Des microplastiques, minuscules fragments de moins de 5 mm, ont été détectés dans le sang, le lait maternel ou le placenta. De plus, « le plastique étant fabriqué à partir de combustibles fossiles, plus nous produisons de plastique, plus nous aggravons la crise climatique », souligne le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Les émissions de gaz à effet de serre liées au cycle de vie des plastiques représentaient 3,4 % du total mondial en 2019. Et si rien n’est fait pour inverser la tendance, le plastique pourrait générer 19 % des émissions mondiales d’ici à 2040.

L’Afrique ne doit pas devenir « la poubelle du monde » 

Dans ce contexte, les pays du Sud et en particulier les États africains sont aujourd’hui à la croisée des chemins. De plus en plus utilisateurs de plastique, mais beaucoup moins que les pays du Nord, ils peuvent encore poursuivre leur développement sans tomber dans une dépendance fatale à ce matériau. Aujourd’hui, la consommation africaine de plastique est l’une des plus faibles au monde – 16 kg par habitant et par an, contre 156 kg dans les pays de l’OCDE et 255 kg aux USA. Mais elle augmente avec l’essor démographique, l’urbanisation et l’émergence de classes moyennes.

Le plastique est donc pour l’Afrique un véritable enjeu du XXIe siècle. D’autant que la décision de la Chine, puis d’autres États asiatiques, de ne plus être le « destinataire des déchets plastiques mondiaux », fait craindre que les pays du Nord ne se tournent vers le continent africain pour s’en débarrasser. « Le risque est grand de voir tous les déchets des pays industrialisés déversés ici, chez nous, en Afrique »craint Yves Ikobo, président d’une ONG congolaise. « Si rien n’est fait, l’Afrique va devenir une véritable poubelle des sacs et déchets plastiques », estime Ousmane Danbadji, dirigeant d’une ONG nigérienne.

Aujourd’hui, 34 des 54 États africains se sont dotés de législations interdisant le plastique à usage unique. Mais ces réglementations ne sont pas toujours bien appliquées. Un manque d’engagement en partie lié à l’impact économique et social du secteur du plastique qui crée de l’emploi dans plusieurs pays, comme en Afrique du Sud où il fait travailler 65.000 personnes. Les industriels du recyclage voient aussi l’importation de déchets plastiques comme une opportunité.

« Le mythe du recyclage » 

Le recyclage est en effet souvent présenté, notamment sur le continent africain, comme une solution pour réduire les déchets plastiques. Mais les taux de recyclage étant inférieurs à 10 %, cette option ne permet pas de faire face au volume des déchets. « Nous ne pouvons pas espérer sortir de cette crise par le recyclage », explique Inger Andersen, la directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), qui appelle à « revoir complètement notre façon d’utiliser, de produire, de recycler et d’éliminer les plastiques, en commençant par les emballages ».

Le recyclage est d’autant moins une solution miracle que la plupart des plastiques ne sont plus réutilisables après un ou deux recyclages. « Il est donc difficile d’affirmer que le plastique recyclé est un matériau durable », explique Greenpeace. De plus, des études récentes montrent que le recyclage comporte aussi des risques pour l’environnement et la santé, liés aux niveaux élevés de microplastiques et de toxines nocives produites par le processus. « Environ 6 % des plastiques entrant dans un centre de recyclage sont ensuite rejetés dans l’eau sous forme de microplastiques », souligne la chercheuse britannique Erina Brown. Selon un rapport de l’ONU, les plastiques contiennent 13.000 produits chimiques, dont 3.200 ont des « propriétés dangereuses ». Et les plastiques recyclés présentent des niveaux plus élevés de substances toxiques que les plastiques vierges, précise Greenpeace, qui dénonce « le mythe du recyclage du plastique ».

Ainsi, faire le pari du plastique est pour le moins malvenu quel que soit le secteur d’activité. Un choix pourtant fait par plusieurs pays africains dans le secteur fiduciaire. En 2003, la Zambie a été le premier pays du continent à se doter de billet de banque en polymère (c’est-à-dire en plastique), sous prétexte qu’ils seraient plus durables… D’autres ont suivi le pas comme l’Angola et plus récemment l’Égypte avec toujours pour justification première que le plastique est un matériau plus durable et recyclable…  Une vision curieuse qui n’a pas résisté au temps en Zambie puisque le pays est progressivement revenu au billet en coton à partir de 2012.

Le discours « écologique » des banques centrales adeptes du billet en plastique est rodé. Pourtant, les recherches de l’organisme de crédit britannique Moneyboat montrent que les billets en polymère émettent trois fois plus de gaz à effet de serre que les billets en papier. A l’heure où il devient vital de réduire l’utilisation de ce matériau, pourquoi utiliser du plastique pour les billets alors que le papier coton est toujours aussi performant (tant en termes de résistance que de sécurité), bien plus naturel, et que son empreinte carbone est bien moindre ? La dernière polémique concernant des billets en polymère défectueux, en Jamaïque, bien que nouvellement mis en circulation, illustre l’emballement de certains pays à miser sur un matériau qui n’apporte – au mieux – rien de plus si ce n’est davantage de pollution.

 

Des solutions et des initiatives en Afrique 

 

Sur ce sujet comme sur d’autres, « les États africains ont les moyens et les outils pour bâtir un avenir sans pollution plastique », souligne Inger Andersen. Aujourd’hui, des initiatives émergent. Au Rwanda, premier pays d’Afrique à interdire l’utilisation de tous les plastiques à usage unique, le gouvernement a aidé des usines locales à se lancer dans la production de matériaux alternatifs à partir de bambou et de papier. « Ce sont ces initiatives qui permettront aux nations africaines de s’orienter vers un avenir sans plastique, en proposant des solutions innovantes en matière de fabrication, d’emballage et de conception », estime la responsable onusienne.

Le Kenya a montré la voie en imposant en 2017 l’interdiction la plus stricte au monde sur les plastiques à usage unique, avec des amendes dissuasives (40.000 dollars pour les entreprises et 500 dollars pour les particuliers). Entre 2017 et 2021, les volumes d’importation de « sacs et sachets » ont ainsi baissé de près de 80 %. Sur les marchés, la plupart des vendeurs ont remplacé le plastique par des petites pochettes de coton ou des sacs réutilisables.

En Côte d’Ivoire, même si le décret de 2013 sur les plastiques reste mal appliqué, le ministre de l’Environnement, Jean-Luc Assi, veut prendre le problème à bras-le-corps : « l’État aide les entreprises à passer à des emballages réutilisables ou biodégradables, et Abidjan est devenu un pôle pour les jeunes entreprises souhaitant combattre la pollution plastique ».

Comme l’affirme la directrice du PNUE, « la façon dont le monde produit, consomme et élimine le plastique a entraîné un désastre. Nous pouvons y mettre fin en fermant le robinet de la pollution plastique ». Un objectif qui vaut autant pour les pays du Sud que pour ceux du Nord.

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