Les lignes semblent bouger dans la crise nigérienne. Lors du forum »paix et sécurité » qui s’est tenu à Lomé les 21 et 22 Octobre dernier, portant sur les transitions politiques en Afrique, le représentant du Niger dont la participation en soi était déjà une surprise, a publiquement affirmé que son pays « n’avait jamais fermé la porte du dialogue » avec la CEDEAO. Pour lui le Niger est « prêt » au dialogue avec l’instance régionale, mieux le Niger est « demandeur d’un tel dialogue », et d’appeler à la « solidarité de la CEDEAO afin de combattre les djihadistes ».
Cette posture surprend, quand on sait que la junte a refusé à plusieurs reprises de recevoir les émissaires de l’organisation sous régionale, au motif que celle-ci faisait le jeu de la France. Mais personne n’est dupe, les sanctions se font désormais pleinement sentir. Maintenant que le départ de la France est acquis, la junte n’a plus d’arguments pour mobiliser les foules, pour détourner l’attention. Le pouvoir est désormais confronté à la réalité dans un domaine précis : l’économie. Car l’économie vous rattrape toujours.
Depuis sa nomination, le premier ministre nigérien s’est rendu à quatre reprises au Mali voisin, officiellement pour remercier ce pays de son soutien. Il se murmure que ces visites avaient plutôt pour objectif de s’inspirer de l’expérience malienne dans le contournement des sanctions, voire de solliciter un »soutien financier’’. Pourtant les sanctions qui ont frappé le Mali étaient différentes. Sur le plan monétaire, la BCEAO avait suspendu ses relations avec l’Etat malien. Mais elle continuait d’approvisionner les banques du pays en liquidités, ce qui permettait à la junte de se financer auprès de celles –ci. De même, les relations entre les banques maliennes et leurs homologues de la sous-région étaient maintenues. L’électricité, le carburant, les produits de première nécessité n’étaient pas interdits d’importation. Tout cela a permis au Mali de tenir environ six mois.
Le Niger est sous embargo strict de la part de la CEDEAO et de l’UEMOA. tout type de relations, bancaire, commercial, liaisons aériennes, etc….etc……..avec les pays de la CEDEAO (hors Mali, Burkina et Guinée Conakry) est suspendu. L’enclavement du pays accentue encore plus l’effet des sanctions. On ne voit pas comment le régime pourra éviter l’étouffement. Même si les réseaux de contrebande parviennent dans une certaine mesure à fournir des biens de consommation importés, il faut des liquidités pour les acheter. Or ce sont les banques qui en fournissent, et elles s’approvisionnent auprès de la BCEAO. Les relations étant rompues avec l’institution, le commerce est de plus en plus difficile dans le pays, qui vit en ce moment une crise de liquidités.
D’autre part, des milliers de nigériens ont sans doute perdu leur emploi. C’est quelque chose qu’il ne faut pas sous-estimer. Le tourisme et l’hôtellerie sont les premiers à être impactés par les crises de ce type. Mais il y a aussi la construction, le transport, les loisirs etc…..Tout est mis »en attente » le temps d’acquérir une certaine ‘’visibilité’’. Le gouvernement a réduit son budget de 40%, presque de moitié pour l’année 2024. Au début du mois d’Octobre, les autorités ont lancé un appel à la diaspora afin qu’elle vienne en aide au pays. En fait la junte est cernée, les généraux, qui bien sûr ne sont pas des économistes, ont surévalué leur capacité à se tirer d’affaires devant de telles sanctions. La rupture des liens avec la BCEAO est une sanction qui ne peut pas être contournée. C’est aussi simple que cela.
Maintenant que la junte admet être « demandeur » d’un dialogue, sur quoi celui-ci peut porter ? La CEDEAO exige ni plus ni moins le »rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions ». Pour la junte, et ils l’ont redit à Lomé, la « page Bazoum est désormais tournée ». Selon les informations qui circulent, elle serait prête à discuter la « durée de la transition », et l’exil du président Bazoum dans un pays « hors cedeao ».
La CEDEAO est restée inflexible jusqu’à présent. Le Président Bola Tinubu du Nigéria avait un moment accepté le principe d’une « transition courte ». Mais il semble que ses pairs ne soient pas tous de cet avis. L’idée a été »abandonnée ». Toutefois, le Togo semble jouer une partition différente. Après avoir offert ses services pour l’acheminement par voie terrestre de l’aide humanitaire au Niger, le pays a organisé ce forum paix et sécurité dont le thème était » comment renforcer les transitions vers une gouvernance démocratique en Afrique ». Difficile de comprendre qu’on puisse à la fois renforcer les putschs et la démocratie !! Ce fut une tribune où les représentants des juntes se sont exprimées en roue libre. Aujourd’hui le Togo plaide ouvertement pour un « dialogue » avec la junte nigérienne, une attitude jugée ambiguë par ses partenaires de la CEDEAO.
Une chose reste certaine. L’instance régionale joue sa crédibilité, voire sa survie sur ce « dossier ». Si le putsch au Niger venait à prospérer, ce serait un mauvais signal envoyé aux juntes du Mali et du Burkina, qui pourrait s’éterniser. De même, cela voudrait aussi dire qu’un putsch est »acceptable » dès lors qu’il y a une « transition » qui se met en place dans un »délai raisonnable ». Aussi pour les chefs d’Etat, il faut mettre fin au cycle des putsch-transitions, ce pourquoi le rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions « n’est pas négociable ».
Douglas Mountain
oceanpremier4@gmail.com
Le Cercle des Réflexions Libérales
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