Serge Parfait Dioman (expert international) évoque les mecanimécanismes d’ajustements sur le coût du carburant
· « Cette crise pétrolière internationale sera l’une des plus virulente »
· « Le gouvernement a renoncé à plusieurs taxes … le citoyen lambda devra soutenir cet effort par une contribution »
Expert International en Industriers Pétrolières et Énergies, Serge Parfait Dioman est une voix très sollicitée dans plusieurs pays en raison d’une solide expérience dans les deux domaines amont et aval des hydrocarbures. Dans cet entretien, il évoque des raisons factuelles de la crise pétrolière actuelle et ses probables répercussions sur le coût du carburant en Côte d’Ivoire.
PROPOS RECUEILLIS PAR KOUAME YAO – L’INTER
L’INTER : Plusieurs informations font état d’une possible augmentation du coût du carburant du fait d’une hausse du coût du baril sur les places de marchés internationles. Qu’est-ce qui expliquerait cette augmentation ?
SERGE DIOMAN PARFAIT : Cette augmentation résulte de la combinaison de facteurs exogènes et endogènes au cœur de métier pétrolier. Ce qui explique alors sa complexité et le fait avéré que la prochaine crise pétrolière internationale sera l’une des plus virulentes.
Au sujet donc des facteurs endogènes, c’est-à-dire ceux par définition imputables à l’exercice même du cœur de métier, il convient de savoir que l’industrie pétro-gazière requiert de nos jours plus d’investissements en exploration, maintenance d’ouvrages, production éco-responsable et sécurisée, etc. Ces coûts à la hausse sont par principe alors répercutés sur les prix de cession des pétroles bruts de référence sur les places de marché internationales.
Quant aux facteurs dits exogènes, qui par définition sont hors de contrôle du pétrolier qui en subit lui-même donc aussi les vicissitudes dommageables, l’on peut par exemple évoquer l’envolée des prix du transport des cargos de livraison de pétrole ainsi que les guerres et autres tensions géopolitiques en des régions sensibles du monde entres autres.
L’INTER : Des conflits armés à l’autre bout du monde seraient-ils tant susceptibles de nous impacter ?
SDP : C’est effectivement le cas et nous en payons tous le prix fort chaque fois que la quiétude mondiale est mise à mal dans des pays qui, de par leur poids pétro-gazier et leur positionnement géographique sur la « route du pétrole » par exemple, sont en conflits ouverts ou même latents.
Faudrait surtout pas croire à tort que la hausse des cours du brut est du ressort d’un gouvernement local, qui plus est, n’est qu’un importateur au prix de vente du marché et ce, bien entendu en plus du coût du transport et celui des assurances, etc.
C’est pourquoi la perdurante crise russo-ukrainienne est une cause opportuniste citée au nombre des facteurs exogènes fort impactants tout comme les récentes hostilités entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
En effet, l’on est sans ignorer que l’Azerbaïdjan est bien le producteur du pétrole brut AZÉRI LIGHT, le brut le plus coté au monde pour l’instant. Ce qui a trait à ce pays influe donc sur le prix de l’or noir.
L’INTER : Finalement, juguler la crise pétrolière nécessiterait alors une bonne part d’implication humaine ?
SDP : On pourrait le dire dans une certaine mesure mais pas le résumer tout aussi simplement car certains facteurs exogènes sont indépendants de l’humain.
Nous avons en exemple des facteurs saisonniers d’ordres climatiques comme l’arrivée de l’hiver qui s’avère être une saison énergivore. Dans des pays soumis aux vagues de froid, l’importation massive de combustibles fossiles pour se chauffer participe à rehausser la demande sur les marchés et tirer les prix vers le haut.
Au final, le monde entier est impacté à payer ce prix rehaussé. Or justement, nous sommes à l’entrée de l’hiver en Occident. Il s’agira donc d’une conjoncture allant dans le sens des tendances haussières des prix du pétrole brut à l’international.
L’INTER : On évoque aussi la décision de la Russie et l’Arabie Saoudite de baisser leur production
SDP : Pour ce qui est de réduire leur production, c’est une décision qui ne date pas de maintenant. Ce n’est donc pas un facteur pertinent censé justifier la crise pétrolière internationale actuelle qui, si l’on n’y prend garde au demeurant, aura l’effet d’un tsunami.
En réalité, bien que fort médiatisée, l’OPEP n’est pas le seul cartel pétrolier. Avec ses 40% de part de marché, elle essaie de jouer son rôle de régulateur et ce, sans intention notable de faire plus de profit que nécessaire et risquer d’engorger le marché avec du pétrole brut qui ferait l’affaire des spéculateurs.
Ainsi, si l’Arabie Saoudite et la Russie entreprennent de baisser temporairement leurs allures de production, c’est en réponse au fait qu’ailleurs une entité tierce a augmenté la sienne. Ils compensent donc. A cet effet, ils sont dûment dans leur rôle de régulateur du marché au travers du cartel OPEP+.
L’INTER : L’on parle tout de même d’un deal pétrolier entre la Russie et l’Arabie Saoudite
SDP : Il faut juste comprendre qu’étant sous le coup d’un embargo, le pétrole brut russe est aujourd’hui décoté et se vend en dessous de sa valeur régulière. La Russie n’a d’autre choix que réduire sa production.
Pour l’Arabie Saoudite, c’est une opportunité à saisir. Elle achète pour sa part donc ce brut decoté et le destine à son marché national tout en destinant sa propre production au marché international où elle se vend aux meilleurs prix.
Toutefois, elle se voit somme toute obligée de baisser sa production globale du fait de recevoir du brut decoté russe. Et au final, cette baisse cumulée des pétroles bruts russe et saoudien sur les places de marché internationales participe entre autres activement à une envolée des prix de l’or noir.
Sauf que ce n’est pas fait intentionnellement à la base pour affoler le marché.
L’INTER : Des pays africains comme la Côte d’Ivoire sont-ils impactés par cette situation de crise pétrolière internationale ?
SDP : A l’instar des autres pays du monde entier, nous sommes tous interdépendants en terme d’importation de pétrole brut et autres produits pétroliers. Tout ce qui se passe à l’international nous impacte donc d’office.
Ainsi, quand l’on achète du pétrole brut, l’on l’achète au prix du pétrole de référence de notre zone. Qu’il s’agisse d’achats physiques en « spot » ou à terme « forward » ou plutôt d’achat dit virtuel à terme « future », ce n’est pas le pays acheteur qui fixe les prix. Il pourrait certes avoir des marges de négociations privilégiées mais celles-ci demeurent étroites.
Et donc, quand les coûts internationaux subissent une envolée, nous le ressentons de facto.
Voilà pourquoi les choses tendent à évoluer grâce aux divers plans d’exploration et développement des gisements accessibles en local sur le continent. Ces initiatives augurent de situations plus confortables à l’avenir pour les pays africains et c’est certain.
L’INTER : Pour beaucoup, cette dépendance peut paraitre curieuse. On sait que la Côte d’Ivoire produit du pétrole et que le pays possède également une importante raffinerie. Alors pourquoi cette dépendance vis-à-vis du marché international ?
SDP : Sans ce patrimoine, le carburant serait vendu à un prix nettement inaccessible. Il convient pour ce faire alors de savoir que le potentiel pétro-gazier de la Côte d’Ivoire, notamment constitué par ses gisements et ses deux raffineries pétrolières SIR et SMB, confère aux populations de ce pays de ne pas payer le carburant au prix qu’il aurait dû être au réel.
En effet, la présence de ce patrimoine local nous permet de payer le carburant à un coût raisonnable et surtout de disposer de carburant de qualité. Il s’agit d’un point d’appréciation important que l’on omet souvent de surligner car le tout n’est pas de produire en quantité mais de produire en qualité mêmement.
L’INTER : C’est aussi le cas pour un pays comme le Nigeria ?
SDP : Hormis toutes les contraintes que nous avons tous en commun dans la sous-région ouest africaine, le Nigeria fait face à d’autres défis que sont sa grande population de plus de 200 millions d’habitants, la pullulation de raffineries clandestines, la présence de forces hostiles armées sur son territoire, etc.
En dépit de tout cela, ce pays qui revendique encore d’immenses réserves prouvées de pétrole et gaz s’évertue à atténuer en interne les envolées du prix affiché de l’or noir sur le marché international. Pour lui donc aussi, sans ce patrimoine local, les populations auraient durement ressenti la hausse des prix déjà appliquées.
L’INTER : Le gouvernement ivoirien a indiqué avoir subventionné à coups de milliards le carburant l’an dernier afin d’éviter aux populations de connaitre d’importantes hausses à la pompe. Selon vous, peut-on relancer cette mesure et est-elle efficace ?
SDP : Il s’est en effet agi d’une mesure qui est à saluer car elle aura permis à tous d’être sous ce parapluie énergétique offert par le gouvernement ivoirien pour éviter aux populations de subir de manière frontale les pics induits par les cours internationaux du brut.
A la différence des pays qui avaient fait le choix de répercuter en l’état les prix au consommateur final, la Côte d‘Ivoire avait plutôt opté pour un ajustement des prix plutôt qu’une répercussion directe des prix. Ce qui aura donc conduit l’Etat a subventionner le carburant autrement dit, supporter une part du prix.
Mais à l’analyse factuelle du contexte de la présente crise pétrolière, reproduire cela à l’identique serait non souhaitable. Aujourd’hui, les coûts du pétrole et gaz, tels qu’ils étaient il y a quelque temps ne sont plus du tout les mêmes.
Et comme partout ailleurs alors, le consommateur final vivant en Côte d’Ivoire saurait être invité à un effort citoyen allant dans le sens de comprendre qu’il faille rehausser le prix à la pompe pour éviter de mettre en péril l’industrie pétro-gazière locale.
L’INTER : Y aurait-il donc une différence entre ces deux mécanismes dits de répercussion ou d’ajustement des prix à la pompe ?
SDP : Dans les deux cas, il s’agit de hausse mais à des allures nettement différentes. La répercussion, c’est en effet le fait de faire payer au consommateur final l’équivalent de toutes les envolées enregistrées sur le prix d’achat du pétrole brut.
De par cette définition, l’on perçoit en revanche que l’ajustement diffère de la répercussion car la hausse est modérée et non intégrale.
La répercussion, c’est dire par exemple que si je dépense 100 francs de plus à l’achat alors je revends 100 francs plus cher. En ajustement, la hausse effectuée restera sous les 100 francs. Et dans le cas de la Côte d’Ivoire, cela a de plus donné lieu au renoncement avéré de certaines taxes.
L’INTER : En France, les autorités ont demandé aux distributeurs de vendre leur carburant à perte pour réduire l’impact sur les Français. Ne faut-il pas envisager une telle mesure en Côte d’Ivoire, surtout quand on sait que les distributeurs évoluent dans un marché qui est quasi-constamment en croissance ?
SDP : La Côte d’Ivoire l’a aussi fait déjà. Et le fait alors que l’Etat renonce à ses taxes et livre le carburant quasiment à un équivalent hors-taxe, c’est déjà vendre à perte.
Ce n’est donc aucunement une action inédite pour la Côte d’Ivoire.
Mais aujourd’hui, nous nous retrouvons dans une conjoncture internationale où l’on ne peut plus se permettre certaines choses. Il faudra alors que le citoyen lambda soit appelé à une contribution patriotique.
L’INTER : Pour revenir à l’international, comment voyez-vous l’évolution de cette crise?
SDP : Cette crise internationale est appelée à perdurer du fait d’une floraison de facteurs exogènes échappant au champ d’action des opérateurs du cœur de métier pétrolier.
Elle s’annonce pour ce faire donc rude mais nous demeurons toutefois rassurés que nous restons pour l’instant loin de tendre vers un choc pétrolier majeur. Ce spectre n’est pas à l’ordre du jour imminent.
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