Le patriotisme des militaires africains pour les Peuples ? Ou pour des régimes mi-autocrates, corrompus, semblants de démocrates ?

Les militaires en Afrique doivent-ils s’accommoder des régimes civils, généralement corrompus, népotistes, autocrates ou clientélistes ? Des régimes qui bafouent les lois, manipulent les constitutions selon leur bon vouloir ou qui les changent au gré de leurs humeurs ?

Peut-on vraiment en vouloir aux militaires quand l’opacité, le manque de transparence, le copinage, la violence, la répression, le déni de démocratie, l’absence de perceptives pour les millions de jeunes, le déni d’alternance…deviennent les règles de gouvernance chez ces fameux civils ?

Que voulons-nous finalement ? Un népotisme, un pouvoir totalitaire, répressif, déguisé en démocratie. Ou la démocratie comme les occidentaux qui ont toute une autre histoire, tout un autre cheminement, bien vrai, aussi jonché de centaines de milliers de morts d’innocents, face à des régimes autrefois autocrates ?

Coups d’État : pourquoi nul n’est à l’abri

De Dakar à Kinshasa en passant par Abidjan et Yaoundé, nul ne sait exactement ce qui se passe dans la tête des grandes muettes, dont aucun chef d’État ne peut jurer de la !délité inoxydable.

Par François Soudan, Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.

« Le respect de la souveraineté signifie ne pas autoriser les actions anticonstitutionnelles, les coups d’État et la destitution du pouvoir légitime », Vladimir Poutine

J’ignore si Abdourahamane Tiani, dernier avatar en date de la camarilla d’officiers putschistes sahéliens des années 2020, a lu Curzio Malaparte et sa Technique du coup d’État, petit bréviaire toxique et nonagénaire à l’usage des amateurs de prise du pouvoir par la force. À dire vrai, j’en doute, même si le pronunciamento du 26 juillet au Niger semble tout droit sorti des pages de l’auteur italien : minorité conspiratrice, surprise totale, rapidité d’exécution, passivité puis ralliement du reste de l’armée, faiblesse des dispositifs anti-coups d’État…

Tout y était, ou presque, à Niamey comme hier à Bamako, Conakry et Ouagadougou, comme aujourd’hui, semble-t-il, à Libreville.

En quoi cette nouvelle vague de sédition militaire est-elle différente de celle des années 1960 à 1990, depuis le putsch « fondateur » qui renversa Kwame Nkrumah en 1966 jusqu’à son épigone ivoirien réussi par le général Robert Gueï trente-trois ans plus tard ? Aujourd’hui, fort heureusement, on n’assassine plus le président déchu. Le temps semble révolu où un capitaine exalté du nom de Jerry John Rawlings pouvait se permettre de faire fusiller trois anciens chefs d’État à la fois (et cinq généraux) dans un camp militaire, sans que la communauté internationale s’en émeuve outre mesure.

L’exécution, en 1999, au Niger, d’Ibrahim Baré Maïnassara, lui-même issu d’un putsch, par les membres de sa garde rapprochée est le dernier avatar sanglant en date de cette saison 1 des terminators kaki qui coûta la vie à une demi-douzaine de présidents, de Thomas Sankara à Melchior Ndadaye, en passant par Samuel Doe et Ngarta Tombalbaye.

Des cas d’école de démagogie populiste

Du Mali au Niger, du Burkina à la Guinée, les chefs d’État civils renversés sont désormais placés en résidence étroitement surveillée, et alors que les juntes d’hier ne se souciaient guère d’asseoir leur légitimité au-delà d’une proclamation liminaire presque copiée-collée d’un pays à l’autre, celles d’aujourd’hui en font leur priorité. Ce qui relevait, dans le fond, de l’ambition prédatrice d’o!ciers frustrés, parfois humiliés par leur propre impuissance sur le terrain et pour qui le pouvoir était à cueillir comme une mangue mûre, est présenté ipso facto comme une quasi-révolution populaire.

a jeunesse urbaine de capitales traditionnellement frondeuses et acquises à l’opposition aux régimes en place, quels qu’ils soient, sert de munitions, et le rejet d’un Occident objet de tous les fantasmes, de carburant à une légitimation pelliculaire. La promesse d’une « refondation » de l’État (sans que nul ne sache ce que ce mot valise signifie en pratique), via un désormais inévitable « dialogue national inclusif », le tout porté par les réseaux sociaux des néo-panafricanistes francophobes, fait de ces putschs 2.0 des cas d’école de démagogie populiste. Ce qui n’a pas changé, par contre, et qui ne laisse pas d’interroger, c’est l’absence d’adhésion des militaires aux valeurs républicaines, lesquelles impliquent que l’armée soit par dé$nition apolitique, garante du respect des institutions et aux ordres des gouvernements. Ce qui pouvait se comprendre à une époque où les o!ciers ne recevaient qu’une formation intellectuelle sommaire dans des écoles d’enfants de troupe, ou via des stages de formation dénués de tout enseignement autre que pratique, l’est beaucoup moins depuis le début des années
2000.

Dans toutes les académies et prytanées militaires du monde, y compris russes et chinois, mais aussi africains, on apprend aux élèves la conduite à tenir envers les civils, ainsi que la place de l’armée – en tout cas dans une démocratie – laquelle ne saurait en aucun cas d’être au pouvoir : Curzio Malaparte n’est pas au programme. Ce constat est d’autant plus problématique que ces nouveaux putschistes sont tous issus d’unités d’élite dont les chefs sont censés être mieux formés, techniquement, moralement et intellectuellement aux impératifs démocratiques et dont le rôle est de protéger l’État et ses institutions.

Or le fait que ce soit leur propre garde présidentielle qui ait renversé Mohamed Bazoum et participé au putsch contre Ali Bongo Ondimba démontre que même les notions de loyauté et de trahison n’ont pas été acquises. Et le fait que le reste de l’armée ait fini par rallier le coup d’État prouve que les soldats demeurent plus loyaux envers leurs officiers qu’envers leur gouvernement, ce qui, incontestablement, est significatif d’un profond dé$cit d’appropriation des normes démocratiques.

Aucune armée n’est vaccinée contre le virus

Au Niger comme au Mali, au Burkina, en Guinée et au Gabon, les renversements de pouvoir sont intervenus dans des contextes particuliers :
crise sécuritaire dans les trois premiers pays, crise de gouvernance dans le quatrième, crise postélectorale dans le cinquième. Cela signifie-t-il pour autant que les autres soient à l’abri ? Certes non. De Dakar à Kinshasa en passant par Abidjan et Yaoundé, nul ne sait exactement ce qui se passe dans la tête des grandes muettes. Ni les menaces de sanctions, ni même l’absence de griefs ou de doléances légitimes (au Niger, la situation sécuritaire était notoirement en voie d’amélioration, tout comme le budget alloué aux armées) n’ont servi d’antidote à la contagion des putschs, et aucun chef d’État de la région ne peut jurer de la $délité républicaine inoxydable de ses troupes.

Où est passé le patriotisme des militaires africains ?

S’il est d’ailleurs un point commun entre Ibrahim Boubacar Keïta, Alpha Condé, Roch Marc Christian Kaboré, Mohamed Bazoum et Ali Bongo Ondimba, c’est que tous ont été pris par surprise parce que tous pensaient que leurs armées respectives étaient désormais vaccinées contre le virus des coups d’État. « Maintenant, on peut m’assassiner, mais on ne peut plus me renverser », avait l’habitude de dire Condé après avoir confié au général français Clément-Bollée la refonte républicaine des forces de défense et de sécurité guinéennes.

Quant à Bazoum, sans doute se souvient-il toujours de l’hommage appuyé que le futur putschiste Salifou Mody lui avait rendu en tant que chef suprême des armées lors de la cérémonie des vœux en janvier dernier. A posteriori, il pense que ce message aurait dû déclencher en lui un soupçon de méfiance. Brutus aussi avait couvert César d’éloges a$n de mieux l’anesthésier…

Apprentissage citoyen

Si inscrire l’interdiction des coups d’État dans la Constitution ne sert donc à rien et s’il est impossible de s’en prémunir absolument, que faire pour qu’ils ne se produisent plus ? Cela passe par un long effort d’apprentissage citoyen auprès de populations trop enclines à se résigner devant ce qui leur apparaît comme un mode d’alternance parmi d’autres.

Inculquer qu’un régime militaire ou militaro-civil est toujours pire qu’une démocratie imparfaite en matière de développement, de sécurité et de libertés. Marteler que les militaires n’ont aucune légitimité, mais surtout aucune compétence pour diriger un État en ces temps où la gouvernance nécessite une pleine compréhension des mécanismes économiques complexes – pas plus que les civils ne sauraient s’ériger en tacticiens des champs de bataille. Dénier aux juntes tout droit moral à gouverner, et pour cela refuser de collaborer avec elles et de s’asseoir àla table du banquet. Compter en$n sur la propension atavique des putschistes à se dévorer entre eux, ceux qui ont aidé à la prise du pouvoirétant les premiers à comploter contre celui qui, à leurs yeux, leur doit tout.

« Nul besoin, dit Malaparte, de mobiliser un peuple a$n de conquérir le pouvoir. » Il serait temps d’inverser la proposition : seul le peuplemobilisé peut empêcher les centurions de prospérer au pouvoir. Car seul le peuple est en définitive la victime des putschs. Fin août, l’Unicef a lancé un cri d’alarme : 1,5 million d’enfants nigériens de moins de 5 ans souffraient de malnutrition sévère à la veille du 26 juillet. Un mois plus tard, ils sont plus de 2 millions…en cause aussi les sanctions de la Cedeao.

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