Régionales en septembre: Duel sans merci dans le Haut-Sassandra

Le duel dans le Haut-Sassandra pour l’élection du Président du Conseil Régional sera très suivi en raison de la personnalité du candidat Touré Mamadou, 47 ans, ministre de l’emploi des jeunes et de la formation civique, porte-parole adjoint du parti au pouvoir, un jeune homme plein d’ambitions. En face nous avons le professeur Alphonse Djédjé Mady 78 ans, président sortant, vétéran de la politique, ancien ministre de la santé dans les années 80 sous Houphouet.

Les premières polémiques n’ont pas tardé à surgir. Lors d’un meeting, le président sortant a déclaré en substance que les fils autochtones du Haut-Sassandra ne doivent pas se faire déposséder de leurs terres par les prédateurs venus d’ailleurs. Les propos ont déclenché beaucoup de réactions dans le camp de son adversaire ainsi que dans la presse, l’homme est accusé de vouloir remettre au goût du jour le concept de « l’ivoirité », ce qu’il dément formellement. Sans verser dans la polémique, Il faut bien comprendre qu’en matière d’élections, les équipes de campagne ciblent toujours des segments bien définis de l’électorat. Il est évident que le professeur Alphonse Djédjé Mady veut faire le plein de voix parmi ceux qui sont perçus comme les autochtones de la région. On peut certes lui reprocher de ne pas avoir su trouver les mots appropriés pour s’adresser à eux, mais on ne peut pas lui reprocher de cibler cet électorat.

La seconde polémique concerne les fonds reçus par l’équipe sortante. Lors de la présentation de son équipe de campagne le 19 Juillet dernier, le ministre Touré Mamadou a qualifié le Haut-Sassandra de « région par excellence des projets inachevés », reprochant à son adversaire de n’avoir rien réalisé des « 33 milliards FCFA reçus en dix ans d’exercice », dont 20 milliards pour les investissements et 10 pour le fonctionnement. Dès le lendemain, le professeur Djédjé Mady contestait ces chiffres, disant n’avoir reçu que 10 milliards sur les 33 prévus, mettant quiconque au défi de prouver le contraire, invitant au passage son « fils » à se rapprocher des services du Trésor et de la comptabilité publique. Depuis cette bataille des chiffres n’en finit pas.

Le fait même qu’une telle polémique existe, atteste du dysfonctionnement de la haute administration. Ce n’est pas la première polémique du genre. Les parlementaires se plaignent régulièrement de ne pas percevoir certains avantages qui sont pourtant budgétisés. Le Président sortant Alphonse Djédjé Mady dit avoir reçu 10 milliards sur les 33 prévus. Nous sommes en fin de mandat des Conseils Régionaux, qu’est-il advenu des 23 autres milliards ? C’est énorme, et cela mérite que le Trésor Public ou le Ministère du Budget produise une déclaration pour éclairer l’opinion. Ils ont bien des services de communication. Les ministres-gouverneurs reçoivent par année 1 milliard pour le fonctionnement de leur cabinet. Ce sont des entités qui ne font pas d’investissement. Si on s’en tient aux chiffres du professeur Djédjé Mady, alors le Conseil Régional du Haut-Sassandra a reçu un 1 milliard par an, pour à la fois son fonctionnement et ses investissements. On ne peut pas attendre des miracles avec 1 milliard par an pour une région qui est la seconde plus peuplée du pays, derrière le district d’Abidjan.

La troisième polémique concerne l’âge du Professeur Djédjé Mady. A 78 ans, il est accusé de « s’agripper aux privilèges », de ne pas laisser aux jeunes l’opportunité de s’exprimer, de les étouffer, lui qui est dans la place depuis les années 80. C’est l’un des derniers ministres du président Houphouët encore en fonction, et pour ses adversaires il est temps qu’un jeune prenne la relève. Si l’argument n’est pas dénué de fondement, il faut néanmoins relever que le poste de président du Conseil Régional requiert un minimum d’expérience en matière de gestion de collectivité, expérience qui de toute évidence fait défaut au ministre Touré Mamadou. Ce dernier aurait peut-être dû commencer par postuler à la mairie de Daloa, avant de chercher à viser le Conseil Régional. Il faut aussi souligner que l’homme n’a pas d’expérience professionnelle en tant que telle, il n’a jamais exercé aucune activité connue.

Parti poursuivre ses études en France, il est entré en contact avec le président Ouattara dont il est devenu un conseiller dès 2011, puis ministre par la suite, le tout sans avoir véritablement terminé ses études, et sans avoir formellement travaillé dans aucun secteur d’activité. Son CV comporte deux masters, en plus d’un diplôme d’études en diplomatie. Etant toujours sur place en Côte d’Ivoire, il n’a matériellement pas eu le temps de suivre les formations en présentiel, ce qui laisse entrevoir que les diplômes ont été acquis en ligne. Si l’homme peut être qualifié de technocrate, il n’a aucune expérience pratique d’aucun secteur d’activité.

Surfant sur sa qualité de ministre de l’emploi et de la formation civique, le candidat Touré Mamadou est un personnage haut en couleur qui bénéficie depuis toujours d’une grande visibilité médiatique, plus encore en cette année dite de la jeunesse. Cette exposition lui donne un avantage indéniable sur son adversaire. Volant la vedette au Premier Ministre lors du lancement du bitumage de l’axe Daloa-Issia le 10 Juin dernier par son discours fleuve, l’homme s’est encore mis en avant aux côtés du ministre de l’équipement et de l’entretien routier, lors de la cérémonie de lancement du reprofilage lourd dans la région de Daloa le 12 Août dernier, pilotant un engin en tenue de chantier.

Toujours flanqué de sa collègue, la ministre de la solidarité et de la lutte contre la pauvreté, la ravissante Belmonde Dogo, le Ministre présente ces travaux comme « le résultat de ses plaidoyers » auprès du président de la république. Pourtant toutes les grandes villes du pays ont déjà bénéficié, ou bénéficient d’investissements similaires. Daloa n’est pas un cas isolé, on peut même dire que Daloa est en retard sur certaines grandes villes, alors que l’homme est aux côtés du président depuis 2011, et prétend faire un lobbying constant pour sa région !!! Face au rouleau compresseur déployé par son adversaire, le professeur Djédjé Mady paraît démuni. Mais attention !! Lors des dernières législatives, certains ministres ont été défaits dans leur fief, par des hommes qui ne bénéficiaient pas de la même exposition médiatique, mais avaient un fort ancrage local. C’est dire que le Ministre Touré Mamadou a certes la dynamique derrière lui, mais il aurait tort de croire la partie déjà jouée.

Douglas Mountain

oceanpremier4@gmail.com

Le Cercle des Réflexions Libérales

Commentaires Facebook

3 réflexions au sujet de “Régionales en septembre: Duel sans merci dans le Haut-Sassandra”

  1. === Dr DJEDJE MADY, VICTIME EMBLÉMATIQUE DU SYSTÈME PDCI =====

    Rares sont les politiciens en activité au PDCI qui peuvent un CV politique égal à celui du Dr Djedje MADY.

    Emblématique Président de la jeunesse du PDCI dans les années 70, l’homme a gravi tous les palliers au sein de son parti jusqu’à occuper une enviable place de numéro 2.

    Pour avoir osé défier le Roi du Parti, atteint selon lui par la limite d’âge
    des textes, Djedje Mady connaîtra un passage à vide entre 2013 et 2021, après la periode des Fronistes au Pouvoir.

    Konan Bédié avait, on s’en souvient,
    recueilli 93,29% des voix, contre un peu plus de 3% à chacun de ses adversaires, Alphone Djédjé Mady, le numéro 2 du parti et Kouadio Konan Bertin, le président de la jeunesse au sein du PDCI. Défaite qui scellé sa mise au garage et la montée au premier plan d’un certain Maurice Kakou Guikahué, à qui Le Prince avait fait miroiter un poste de numéro 2, le temps qu’il soit très actif à la chute de son frère !

    Ancien Président du Directoire du RHDP, DJEDJE était favorable à un candidat PDCI en 2015 pour l’élection présidentielle…Simple défense du Parri ou esprit de revanche après avoir été évincé en 1989 du Gouvernement de Félix Houphouet Boigny par un certain ADO et remplacé par le Professeur Frédéric François Alain EKRA ? Certaines rancunes sont tenaces…

    On pourrait donc et à juste titre s’étonner que cet Houphouetiste de la première heure, use d’arguments surannés pour battre campagne ! Lui qui depuis au moins 1980 représente ISSIA au premier plan ! Pourquoi n’avait-il jamais porté le combat de la défense des terres des autochtones depuis cette longue présence au sommet aux côtés du Président Houphouet Boigny puis BEDIE ?

    Manque de courage ? Qui peut avancer cet argument ?

    Mauvaise foi face au rouleau compresseur du RHDP …peut être ! Car celui qui était Chargé du discours de clôture du 7ème Congrès Ordinaire (1er octobre 1980) du PDCI RDA avait une relative autorité pour faire passer un message.

    Porte-il le mauvais bagage que ses alliés du moment lui ont astucieusement confié en lui cédant leur place ? Il en assumera historiquement LA PATERNITE ET DONC LA RESPONSABILITÉ !

    « Dr ORGANOPHOSPHORE » (petit surnom qu’on lui avait donné dans les années 80, suite à sa focalisation sur cette seule cause dans une affaire d’intoxication qui avait faut beaucoup de bruits) mérite mieux qu’une sortie du champ politique par la petite porte.

    En choisissant cette mauvaise bouée de sauvetage, DJEDJE MADY, l’ancien brillant Président du MEECI, vient rappeler les mêmes arguments qu’il avait brandit contre BEDIE. « Quand on est vieux et dépassé, il faut savoir se retirer ! »

    Pire, son argument phare de campagne suffira à mobiliser massivement contre lui, toutes les populations rurales allochtones de la région dont curieusement de très importants foyers Baoulé censés voter yeux fermés pour le fétiche de la famille ! Le Fétiche ou le patrimoine foncier ? Le choix est vite fait !

    Dans ce schéma de campagne, nourri par des arrière-pensées de perte d’acquis, Touré Mamadou sans avoir le profil de Tidjane Thiam a tout simplement un boulevard ouvert devant lui.

  2. ===== UN CHANTIER LOURD ATTEND TOURE =====÷

    Plus lourd que les engins de BTP sur lesquels on le voit installé pour les besoins de campagne, est le chantier de la canalisation des jeunes vers le travail !

    Il ne s’agit pas seulement de ceux du Haut Sassandra. Quand bien même ceux là soient particulièrement indexés quand on évoque la question de l’émigration par les routes du désert ! Désabusés et rêvant d’un avenir meilleur au prix de la mort, pour reprendre les terribles paroles d’une chanson qui leur sert de chant de guerre, beaucoup de jeunes n’attendent plus leur tour de distribution de cent voire cinq cent mille francs comme fonds de soutien. Le rang est long, les critères pas toujours transparents.

    Les fumoirs font des ravages. Les fumoirs ou le découragement ?

    Pour mobiliser et réorienter cette jeunesse, il faut plus qu’une action ministérielle ! Il faut des ondes de choc. Il faut des exemples de réussite qui parlent sans fard politique ! Il faut du vrai.

    Toure Mamadou est il le bon porteur d’une telle exemplarité ?

    DJEDJE MADY peut certainement ne pas avoir utilisé à bon escient le budget d’investissement du Conseil Régional. Mais à vouloir trop creuser ce dossier, Toure attirera immanquablement les regards inquisiteurs sur sa propre gestion.

    Et pour cause. Acteur majeur du plan ambitieux, baptisé PJ-GOUV (Programme Jeunesse du Gouvernement) 2023-2025, dont la mise en œuvre en 2023 pour un coût de plus de 361,4 milliards, permettra d’impacter plus de 700 000 jeunes, le ministre TOURE aura matière à explications.

    Quand on sait que pour la période 2023-2025 ce plan coûtera un montant total (global) de 1 118,1 milliards FCFA, on est bien loin des 33 milliards que doit justifier son adversaire du jour DJEDJE MADY.

    Et comme la chanson d’enfance le dit si bien :  » le renard passe passe, chacun à son tour ! ».

    Le Fauteuil Blanc de Ben SOUMAHORO n’est pas qu’un évanescent souvenir. La culture de la bonne gouvernance qui impose que le haut fonctionnaire d’Etat rende compte de sa gestion, cohabite aussi avec une certaine déclaration obligatoire de patrimoine. Avant et après la fonction occupée au sommet.

    A bon entendeur, salut !

  3. ===== LE DERANGEANT CUMUL DE FONCTIONS ======÷

    Député, Ministre de la République, Porte parole adjoint du Gouvernement, Président du Conseil Régional…..

    Deux mandats locaux sont incompatibles AILLEURS pour un ELU.

    Président de région et fonction ministérielle sont également incompatibles sous d’autres cieux !

    Chez nous les deux incompatibilités peuvent donc être cumulées par la même personne.

    Que disent les textes, pour reprendre l’expression chère à mon ancien patron ?

    Plus que les textes il y a l’éthique.

    Le préambule de la Charte de déontologie des membres du gouvernement français énonçait il y a peu :

    « Le bon fonctionnement d’une démocratie passe par l’existence d’un lien de confiance entre les citoyens et ceux qui gouvernent. Cette confiance ne se confond pas avec la légitimité donnée, directement ou indirectement, par le suffrage universel. Elle se construit jour après jour, au vu de l’action du gouvernement et de l’image donnée par ceux qui en sont membres. Un manquement isolé peut, à lui seul, suffire à l’entamer durablement ».

    A propos d’image, quand on est porteur du message de remobilisation de la jeunesse pour croire dans les vertus d travail, il faudrait que ce travail existe et SOIT PARTAGÉ DU HAUT ….VERS LE BAS !

    Quand un agent public issu d’aucune expérience professionnelle majeure reconnue, vient à tout régenter dans un petit périmètre, aucun discours ne devient AUDIBLE pour certains jeunes. Le visible leur suffit.

    Un ministre en charge d’un programme essentiel et qui pèse 1 000 milliards pour 3 ans seulement, devrait être occupé à PLEIN TEMPS, pour avoir quelque possibilité de mettre ses compétences, fussent elles avérées, à la disposition d’une autre activité essentielle !

    Pendant ce temps un ministre gouverneur résident, se verra obligé de subir sa loi !

    Il y a manifestement matière à réflexion, au-delà des personnes ici concernées. Les enjeux d’efficacité engagent la crédibilité des choix.

Les commentaires sont fermés.