Ultimatum foiré Niger: La peur de coup-d’état contre « eux-mêmes » fait reculer les chefs d’État de la Cedeao

Alors que la date limite pour rétablir le gouvernement démocratique du Niger passe, la forte unanimité de façade de la CEDEAO au coup d’État au Niger semble maintenant divisée.

Tous les regards sont tournés vers la prochaine action des dirigeants ouest-africains qui ont juré d’attaquer les putschistes au Niger s’ils ne parvenaient pas à libérer le président détenu et à revenir à un gouvernement démocratiquement élu.

La date limite pour la menace de recours à la force impliquant des troupes de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) était dimanche. En fin de soirée, aucun signe d’intervention militaire au Niger n’était apparent.

Pire, le Niger a carrément fermé son espace aérien, n’autorisant aucun mouvement d’avions sauf ceux de son armée et des forces amies du Mali et du Burkina Faso.

Alors que certains observateurs affirment que la position dure du bloc a été encouragée par des alliés occidentaux – les États-Unis et la France en particulier – les mesures de la CEDEAO reflètent une approche différente de son nouveau président, le président nigérian Bola Tinubu, et elles cristallisent la peur de certains dirigeants des États membres, qui ne veulent pas que leurs militaires aient leurs propres idées de putsch.

Le Sénégal de Macky Sall qui s’enfonce dans l’autoritarisme dans sa lutte contre Ousmane Sonko, et la Côte-d’Ivoire d’un Ouattara « mal élu » en 2020, sont présentés comme des pays à risques par les observateurs.

« Les coups d’État sont rarement menés de manière isolée, en particulier lorsqu’il existe des expériences, des structures et des institutions similaires dans les pays voisins », a déclaré Afolabi Adekaiyaoja, un analyste politique basé à Abuja.

« Les militaires de la région échangent des renseignements, de sorte que les administrations démocratiques s’inquiètent probablement de la possibilité que leurs soldats se livrent à des actes similaires. »

L’on sait par exemple que les élites militaires auteurs des putschs au Mali, en Guinée, au Burkina et maintenant au Niger, se connaissent de longue date.

Selon un diplomate ouest-africains interrogé à Dakar au Sénégal, « En réalité ils sont très rares les chefs d’Etat de la Cedeao bien élus. Certains, sont mêmes des auteurs de putsch constitutionnel, après avoir tripatouillé leur constitution et leur justice pour prolonger leur présence au pouvoir. À part dans une moindre mesure le Ghana ou le Liberia, tous les présidents de la Cedeao ont de bonnes raisons de craindre pour leur propre position. Il se pose ici un cas moral et éthique ».

Mais la réponse combative de la CEDEAO au coup d’État du Niger révèle également des fissures inhabituelles dans l’alliance de ses 15 États membres.

Alors que la menace d’une guerre régionale plane de manière palpable dans l’air, les pays se sont précipités pour choisir un camp [pro-russe ou occidental] dans ce qui s’annonce comme une confrontation majeure – avec des économies côtières plus riches d’un côté et leurs homologues enclavés et dirigés par l’armée de l’autre. .

Les voisins du Niger à l’ouest se sont levés pour défendre le gouvernement militaire dirigé par le général Abdourahmane Tchiani.

Les gouvernements militaires du Mali et du Burkina Faso ont qualifié de bluff de la CEDEAO, affirmant qu’une intervention armée au Niger serait accueillie comme une déclaration de guerre contre leurs pays. La Guinée s’est également rangée du côté des chefs putschistes.

Les trois pays et Niger sont suspendus de la CEDEAO et font partie d’une ceinture dirigée par l’armée qui s’étend du Sahel africain, de l’atlantique en Guinée au Soudan à des milliers de km plus à l’est.

Menés par le Nigeria, les États côtiers plus riches s’unissent également alors qu’une tendance alarmante à l’insécurité provenant de leurs voisins du nord menace leur stabilité.

Ces dernières années, les pays du golfe de Guinée, auparavant épargnés par la violence des groupes armés qui ravagent le Sahel, ont subi des attaques dans des localités frontalières du Mali et du Burkina Faso.

Craintes d’un débordement violent

Dans le Sahel semi-aride qui sépare l’Afrique côtière et le Sahara, les groupes armés pullulent comme des fourmis sur le sucre, tirés par un mélange d’États appauvris, de perspectives économiques sombres, de populations en pleine croissance et d’un climat éprouvant.

Les traqueurs de conflits disent que l’Afrique – le Sahel en particulier – a connu des niveaux de violence quadruplés au cours de la dernière décennie, et l’année dernière a vu un pic de décès. Près de 10 000 morts suite à des attentats ont été enregistrés, principalement au Mali et au Burkina Faso, selon les données du Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

En juin 2022, le Togo a déclaré l’état d’urgence en réponse à une attaque qui avait tué huit soldats.
Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), un groupe affilié à Al-Qaïda basé au Mali, a revendiqué la responsabilité, marquant la première attaque de ce type dans le pays.

Le Bénin a enregistré huit fois plus d’incidents violents l’an dernier qu’en 2021. Les récentes attaques en Côte d’Ivoire font soupçonner que des cellules dormantes opèrent déjà dans le pays. Et le Ghana, qui n’a pas subi d’assaut direct, se prépare, poussant l’Alliance d’Accra – une initiative visant à stopper un débordement violent du Sahel – à agir de manière préventive.

Les coups d’État au Mali et au Burkina Faso ont coïncidé avec des pics de violence, selon les analystes.

Les deux gouvernements militaires ont pris le pouvoir entre 2020 et 2022, respectivement, promettant de mettre fin à l’insécurité. Ils ont expulsé des milliers de soldats français et des Nations Unies alors que la perception que leur présence n’améliorait pas la sécurité augmentait.

Des soldats du groupe Wagner, la force paramilitaire russe, sont désormais présents dans les deux pays. Le groupe militaire privé a été accusé d’atteintes aux droits humains contre les communautés locales.

Mais face à des pouvoirs civils, la plupart très corrompu, peu regardants sur la justice, les militaires bénéficient de solides soutiens au sein des populations.

Les chefs des états-majors ont precisé qu’une invasion serait un dernier recours.
Le président Tinubu du Nigéria, le chef de la CEDEAO, nourrit des ambitions personnelles de faire à nouveau du Nigéria une superpuissance régionale, a noté Barnett, et la France a signalé qu’elle soutiendrait la menace le Niger.

Mais Paris n’est pas aussi neutre car le pays de Macron dépend pour près de 20% du Niger pour son approvisionnement en uranium.

Une matière prisée par la Chine, le plus gros client du Niger, qui reste opposé à toute intervention armée dans le pays.

L’armée nigériane est depuis de longues années sous tension avec des crises internes et une nouvelle guerre pourrait perturber les opérations antiterroristes conjointes dans la région.

Le Niger et le Nigeria partagent une frontière de 1 600 km (1 000 milles) qui pourrait voir les combats se répandre dans les pays voisins.

Il y a des divisions régionales profondes en jeu actuellement. Ce donnerait un conflit désordonné et offrirait l’opportunité aux groupes armées d’avancer vers le sud.

Le voisin occidental du Niger, le Tchad – qui ne fait pas officiellement partie du bloc Cedeao mais a joué un rôle de médiateur – pourrait fournir des percées pour une invasion terrestre, mais le Tchad ne s’est pas engagé dans une action militaire.

Le nouvel homme fort du Niger et le président tchadien Deby fils, ont des liens familiaux.

Les chefs d’état-major ont donc déclaré à juste titre qu’une invasion serait un dernier recours, voire une utopie.

Avec AlJazeera (Anglais)

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