Après avoir senti le sol trembler et vu une fumée s’élever dans le ciel, des habitants de Guéhiébly, dans l’ouest du pays, ont découvert un cratère brûlant. Deux missions scientifiques ont été envoyées sur le site pour en déterminer la cause.
Par Marine Jeannin(Guéhiébly, Côte d’Ivoire, envoyée spéciale)
Joachim Nahi, le président des Jeunes de Guéhiébly, sur le site de l’explosion, le 19 juillet 2023.
« C’est du jamais-vu chez nous », s’étonne encore Joachim Nahi, le président des Jeunes de Guéhiébly. Le 18 mai, les habitants de cette petite bourgade agricole de la région du Guémon, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, ont eu la peur de leur vie lorsqu’ils ont senti le sol trembler et vu des volutes de fumée s’élever vers le ciel. Inquiets pour leurs plantations, les villageois partent immédiatement chercher l’origine du feu. En remontant un terrain incliné, ils tombent sur un cratère brûlant, à l’endroit précis où se trouvait le poteau électrique d’une ligne à haute tension. C’est ce cratère qui dégage de la fumée, ou plutôt un gaz noir et épais ; le poteau, lui, a été projeté dans les airs et gît à plusieurs mètres de là.
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Constatant une rupture dans la fourniture de courant, la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) demande à Landry Bah Loa Bi, le sous-préfet de Guéhiébly, de se rendre sur les lieux. « J’avais senti la secousse depuis mon bureau, mais j’ai d’abord pensé à des explosifs dans la carrière de granit de Guéhiébly, explique-t-il. Les Chinois tirent souvent sur la montagne pour extraire du granit. Sauf qu’il n’y avait pas de tir prévu ce jour-là. »
La scène qu’il découvre en arrivant sur les lieux le sidère : « Le support métallique du poteau avait fondu. Le site était très chaud, avec un dégagement de gaz. Un liquide noirâtre et visqueux, semblable à de la lave, s’écoulait du cratère sur plusieurs mètres. » Les analyses prouveront plus tard qu’il s’agissait d’une variété de quartz qui ne fond qu’à 800 °C. La question est posée : comment, au milieu d’un champ, le sol a-t-il pu atteindre une telle température ?
Phénomène mystique ?
Alors que ces conclusions ne sont pas encore connues, le sous-préfet prévient le préfet de région, qui alerte le ministère de l’intérieur, qui saisit le gouvernement, qui appelle les habitants au calme et ordonne qu’on envoie des délégations d’experts. Mais des photos de la roche en fusion sont postées sur les réseaux sociaux et la peur se répand plus vite qu’un feu de forêt. « Panique et psychose à Guéhiébly », titre le quotidien Fraternité Matin le 24 mai, annonçant « une violente explosion produite par une éruption volcanique, une première en Côte d’Ivoire ».
La chaîne d’actualité en continu 7info publie un reportage intitulé « Eruption volcanique à Guéhiébly ? », sans commentaire du journaliste mais avec une succession de témoignages catastrophés. Le 28 mai, le magazine Jeune Afrique s’interroge à son tour : « L’ouest de la Côte d’Ivoire danse-t-il sur un volcan ? ». Oui, selon l’article : « L’inimaginable se réalise parfois. C’est ainsi qu’en ce mois de mai, la Côte d’Ivoire a connu une première expérience d’éruption volcanique, [avec] l’émission d’une lave vitreuse et noire écoulée sur trois mètres. »
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Chez les riverains, « la psychose est généralisée », reconnaît après coup Landry Bah Loa Bi depuis son bureau de la préfecture de Duékoué. L’apparition d’un volcan dans cette région est si absurde qu’elle semble surnaturelle : nombreux sont ceux qui concluent à un phénomène mystique. « On avait tellement peur que les planteurs qui avaient des champs autour du cratère n’y sont pas allés pendant près d’un mois, raconte Tahou Baou André, secrétaire général chargé du village de Diéouzon. On pensait que c’était la colère de nos ancêtres qui se manifestait. On se disait qu’ils étaient fâchés parce qu’on avait creusé trop loin dans la montagne. »
Pendant plusieurs semaines, les villageois médusés voient défiler les experts dans la zone, fermée sur plus d’un kilomètre de rayon. Une délégation du ministère de l’intérieur, notamment la direction générale de l’Office national de la protection civile (ONPC), qui s’occupe ordinairement des incendies, est suivie de deux missions menées par des universitaires.
L’une vient de Man, capitale régionale du Tonkpi voisin. Elle est pilotée par le professeur Lacina Coulibaly, directeur de l’université polytechnique de Man, et principalement composée de chimistes et de géophysiciens. L’autre arrive d’Abidjan, menée par le professeur Kader Touré, secrétaire exécutif de la Plateforme nationale de réduction des risques et de gestion des catastrophes, avec des experts du laboratoire de géoscience de Lamto, du Centre ivoirien antipollution (Ciapol) et même de l’Autorité de radioprotection, de sûreté et sécurité nucléaires (ARSN).
Une météo changeante
La température au sol, relevée à 58 °C après l’incident, reste anormalement élevée jusqu’au mois de juin. Le site est fouillé en longueur et en profondeur : on décape le sol et on creuse à près de trois mètres sous la roche en fusion. Dès le début des recherches, l’équipe de Lacina Coulibaly est plutôt réservée sur l’hypothèse de la découverte d’un volcan. « Géologiquement, la Côte d’Ivoire est située sur le craton ouest-africain, connu pour sa stabilité, explique Tiao Mbiki Santos, de la direction régionale des mines. L’apparition d’un phénomène volcanique était donc hautement improbable. »
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Les experts de Kader Touré sont plus alarmistes. Ils diagnostiquent « un volcan effusif de point chaud » ou « un volcanisme intraplaque ». Craignant le pire, le ministère de l’intérieur ordonne alors aux autorités locales de se préparer discrètement à délocaliser tout le village de Guéhiébly. « On nous a demandé de réfléchir à un autre site mais de garder cette information secrète, rapporte Joachim Nahi. Si l’information avait fuité, tout le monde aurait fui le village du jour au lendemain. » Guéhiébly vit quasi exclusivement de ses cultures, principalement de café, de cacao et d’hévéa. « Si on avait dû partir, ça aurait été une catastrophe pour nous », résume M. Nahi.
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Il faut attendre mi-juin pour que les derniers experts quittent le site et que les différentes délégations trouvent un consensus. Ce sont finalement moins les analyses en laboratoire qui achèvent de convaincre que les fouilles opérées sur les lieux. Le cratère ne plonge qu’à 2,3 mètres : en dessous, la terre est intacte. La source de chaleur ne venait donc pas d’en bas, mais d’en haut. Plutôt qu’un volcan, c’est vraisemblablement la foudre qui aurait frappé le poteau électrique et fait fondre son socle, concluent les experts. Le temps était globalement clément ce jour-là, mais la région est connue pour sa météo changeante et un bref éclair n’aurait rien d’impossible. La thèse volcanique est définitivement écartée.
Depuis, la vie a repris son cours à Guéhiébly, tant bien que mal. Les villageois tenus éloignés du site ont repris le chemin des champs, laissés en jachère pendant un mois. Piétinés et négligés, les plants de gombos sont irrécupérables. Les pieds de cacaoyers n’ont pas pu être dégagés à temps et il est trop tard désormais pour le brûlis, avec la saison des pluies qui laisse les sols gorgés d’eau. Une poignée d’agriculteurs espèrent que l’Etat leur accordera un dédommagement pour pouvoir tenir jusqu’à la prochaine récolte.
Marine Jeannin(Guéhiébly, Côte d’Ivoire, envoyée spéciale)
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