Le Mali en juin, la République centrafricaine en juillet : les pays de la région se dotent de nouvelles constitutions censées ouvrir une nouvelle page de leur histoire. Malheureusement pour les peuples concernés, elles semblent surtout destinées à servir les appétits des hommes forts au pouvoir.
Dans les bureaux de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) à Bamako, on a le sourire. Le référendum sur la nouvelle constitution malienne a eu lieu comme prévu le 18 juin dernier. Le président de l’AIGE, Moustapha Cissé, assure à qui veut l’entendre que le scrutin s’est déroulé dans la plus grande transparence. « Tout au long de la préparation de ce scrutin référendaire et de son déroulement, le seul objectif visé par l’AIGE et les cadres qui l’animent, a toujours été d’offrir au peuple malien des élections libres, transparentes et apaisées, assure le juriste. Les résultats provisoires qui sont proclamés seront immédiatement transmis à la Cour Constitutionnelle qui est seule compétente pour proclamer les résultats définitifs du scrutin référendaire, après toutes les vérifications et rectifications nécessaires. »
Mais les résultats peuvent laisser songeur : seulement 39,4% de participation, et le « oui » vainqueur avec un score écrasant de 97%. Un score à la soviétique. Les architectes de ce tour de magie noire démocratique – le colonel Assimi Goïta et son Premier ministre Choguel Maïga – peuvent se réjouir. Ils ont désormais carte blanche pour faire ce qu’ils veulent dans le pays. Une prouesse qui doit laisser rêveur Faustin-Archange Touadéra, le président centrafricain qui s’apprête lui aussi à changer la constitution de son grand pays.
Costume sur mesure et projet bâclé
Que prévoient ces nouvelles constitutions ? Au Mali, elle promet une « République indépendante, souveraine, unitaire, indivisible, démocratique, laïque et sociale » et que « tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en devoirs ». Tous ? Pas tout à fait. Car la grande différence avec la constitution précédente se situe au niveau des pouvoirs du président de la République qui « détermine la politique de la Nation », avec un gouvernement qui devra désormais lui rendre directement des comptes plutôt qu’à l’assemblée. Nul doute que le colonel putschiste de 2021 – Assimi Goïta donc – ne voit personne d’autre que lui endosser le costume du futur président, élu pour 5 ans et rééligible qu’une seule fois. Mais il sera toujours temps de modifier cette dernière disposition plus tard… Nous l’avons vu maintes fois sur le continent.
À Bangui, en Centrafrique, le président Touadéra en est là justement. Le 30 juillet prochain, il invite ses concitoyens à voter lors d’un scrutin référendaire contesté. Parmi les points les plus importants : le nouveau texte constitutionnel donnera la possibilité au président en exercice de briguer un troisième mandat. Voire plus ! L’actuel mandat de cinq ans – reconductible une fois – passe à sept ans, « sans restriction ». Autant dire que Faustin-Archange Touadéra deviendra président à vie. Est-ce vraiment là le sens de l’Histoire ? D’autres changements sont à noter : le futur président centrafricain ne pourra pas être détenteur d’une double nationalité (article 10), tandis que la Cour constitutionnelle comprendra désormais onze membres, dont trois désignés par le chef de l’État et trois autres par son allié naturel à la présidence de l’Assemble nationale. Même Assimi Goïta n’a pas pensé aller aussi loin !
Les oppositions tuées dans l’œuf ?
Autant dire que les Centrafricains – s’ils votent oui à 97% comme leurs frères maliens – s’apprêtent à creuser leur propre tombe en tant que peuple souverain. Et cela ne semble guère émouvoir les diplomaties de la région ou les grandes institutions internationales. Ces nouveaux cadres constitutionnels n’assureront en aucune manière l’avènement de la démocratie, les oppositions n’ayant désormais plus que leurs yeux pour pleurer. Sous couvert de souveraineté retrouvée et de panafricanisme, les hommes forts au pouvoir vont écraser toute voix dissidente : « Il y a deux éléments dans une constitution : l’histoire d’un peuple et la géographie d’un peuple, explique Aristide Reboas, ministre centrafricain de la Jeunesse et des Sports. Or, nous avons toujours eu des constitutions qui nous ont été imposées par des contingences historiques. En d’autres termes, elles viennent de l’extérieur, elles nous sont imposées, y compris les régimes. » Mais quel régime va émerger ? Ne va-t-on pas clairement vers une dictature où la liberté d’expression et la liberté de la presse ne seront bientôt plus que de lointains souvenirs ?
En Centrafrique comme au Mali, le déficit démocratique est abyssal : les projets de nouvelle constitution ont été sorties du chapeau sans réel consensus avec l’ensemble des représentants politiques. Le journaliste malien Ahmed M. Thiam déplore « le manque de débat autour de thématiques profondes, telles que le système politique et institutionnel, la laïcité, entre autres. Il aurait été grandement salutaire de prendre son temps pour procéder au referendum. D’où la question de la pertinence même d’une telle consultation avec un chronogramme si serré. Avant de s’atteler à procéder à tout scrutin, ne faut-il pas, tout d’abord, tenir un langage de vérité, en insistant sur les failles tout en proposant des pistes de solutions réalistes ? Dans un moment où les Maliens éprouvent un réel besoin de s’exprimer, il faut multiplier les tribunes, organiser régulièrement des débats. Le risque de tout le processus, c’est qu’on se retrouve à la fin avec une œuvre que l’on vendra comme inédite mais qui dans le fond n’aura pas rempli l’attente des Maliens ». Car les Maliens de la rue, les hommes de la junte n’en ont cure. Et quand l’opposition déplaît, la junte dissout les partis politiques, comme cela a été le cas du parti PSDA d’Ismaël Sacko le 15 juin. Bizarre bizarre, les médias maliens comme Malijet ou Maliweb n’en parlent même pas…
La mainmise des « élites » sur les ressources naturelles
À Bamako comme à Bangui, l’objectif est le même : accaparer le pouvoir. Et pour le garder, il faudra aussi accaparer les richesses naturelles. Pas nécessairement pour le bien des peuples, comme on a pu le voir dans tant d’autres pays du continent. Au Mali par exemple, les grandes manœuvres n’ont pas tardé, avec la mise sous tutelle du secteur minier par le colonel Goïta depuis le 1er juillet dernier, en écartant ceux qui commençaient à lui faire de l’ombre, à commencer par Lamine Seydou Traoré, le petit protégé de Sadio Camara. Rappelons que le secteur minier représente 10% du PIB du pays. On comprend mieux l’appétit des nouveaux dirigeants qui, doit-on le rappeler, n’ont pas été élus par le peuple.
« Hautement stratégique, la gestion du secteur minier faisait, depuis la démission du ministre Lamine Seydou Traoré, fin mai, l’objet d’une intense lutte politique, relève le site AfricaIntelligence. Le chef de la junte à Bamako a utilisé le remaniement ministériel du 1er juillet pour capter cette prérogative en nommant un nouveau ministre au profil inattendu et atypique. Le professeur de droit Amadou Keïta a été propulsé à la tête du très convoité ministère des Mines. Novice dans ce secteur, Keïta a obtenu cette fonction grâce à l’intense lobbying de son ami d’enfance, le ministre des Finances, Alousséni Sanou. Ce dernier, qui s’affiche rarement en public, est devenu une figure incontournable du pouvoir depuis qu’Assimi Goïta a fait de lui l’homme clé pour contourner les sanctions économiques subies par la junte. » Voici donc l’équipe chargée de veiller à la bonne gouvernance des richesses du pays ! Permettez tout de même d’émettre quelques doutes sur leurs compétences, voire sur leur probité. Comme sur le volet démocratique, la Centrafrique a une longueur d’avance sur le Mali dans la prédation des ressources : le clan au pouvoir à Bangui a déjà mis la main sur le secteur minier ce qui lui a permis entre autres, ces deux dernières années, de payer grassement les mercenaires russes du groupe Wagner.
Alors voilà. Maliens et Centrafricains ont – ou vont – voté pour des nouvelles constitutions pour lesquelles ils n’ont reçu aucune information (on ne parle pas de la propagande des exécutifs en place). Et, une fois ces textes validés, ils n’auront plus aucun moyen de les contester, de lire une presse libre ou de militer dans un parti d’opposition. La démocratie promise lors des coups d’État – et cela est aussi valable pour le Burkina-Faso du capitaine Traoré – n’aura été qu’un mirage. Mais qui s’en étonnera.
Amadou Thiam
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