4ème pont d’Abidjan: Un chantier qui risque de s’éterniser encore longtemps

Lancés le 18 Juillet 2018, il y a quasiment cinq années, les travaux du quatrième pont d’Abidjan sont loin d’être achevés. La China State Construction and Engineering Corporation (CSCEC) l’entreprise qui a remporté l’appel d’offre, s’était engagée à livrer l’infrastructure en Septembre 2020. Nous en sommes aujourd’hui à trois années de retard sur ce timing, et selon les projections, tout porte à croire que l’infrastructure ne sera pas totalement achevée avant 2026 !!! Dans un article paru en Avril dernier, la raison de ce retard a été évoquée. Officiellement le pont Yopougon Plateau doit coûter 142 milliards de FCFA (103 milliards de la BAD, et 39 milliards d’apport de l’Etat ivoirien). Ce montant de 142 milliards ne doit pas être vu comme le prix effectif du pont. C’est le plafond du financement de l’ouvrage, dont devaient tenir compte les entreprises soumissionnaires à l’appel d’offres.

En d’autres termes, toute entreprise proposant de construire le pont à un coût supérieur à ce montant est éliminée d’office. De même, toute entreprise proposant de construire l’ouvrage à un coût inférieur à un certain montant (qui n’est généralement pas communiqué aux entreprises soumissionnaires), est aussi éliminée d’office. Lorsqu’un prix est trop bas, il est généralement admis qu’il s’agira d’un travail au rabais, l’entreprise ne pourra pas se conformer strictement au cahier des charges. Ainsi dans tout appel d’offre nous avons un montant plafond et un montant plancher. Les offres des entreprises soumissionnaires doivent évoluer dans cette fourchette.

Or les coûts auxquels les Chinois proposaient de construire le quatrième pont étaient si bas qu’ils ont suscité la suspicion. Il leur a été demandé de les confirmer, ce qu’ils ont fait. Ils ont ainsi remporté le marché. Mais quelque temps plus tard, alors que le chantier est largement entamé et qu’on ne peut plus faire marche arrière, ils ont remis en cause ces mêmes coûts et voulaient renégocier certains aspects du contrat. La partie ivoirienne a refusé. Le chantier a pâti du blocage, les Chinois faisant délibérément ‘’ traîner’’ les choses de 2020 à 2022.

Généralement dans tout achat, les africains ont le réflexe de marchander pour aboutir au prix le plus bas possible, au détriment de la qualité. Cette mentalité prévaut à tous les niveaux, y compris au sommet. C’est ainsi que la partie ivoirienne est tombée dans un piège classique, qu’elle aurait pu facilement éviter. Le prix proposé par les Chinois pour construire le pont étant anormalement bas ( certainement en deçà du montant plancher ), leur offre aurait dû être simplement mise de côté. Si le bon sens et la logique avaient prévalu, le pont serait achevé aujourd’hui. Mais ceux en charge du dossier ont tout de suite flairé les ‘’bonnes affaires’’ qu’on pouvait réaliser en optant pour ce que proposaient les Chinois, quand bien même le risque contenu dans leur offre était évident. Généralement la différence entre l’enveloppe disponible pour le financement et le coût effectif d’un projet, ne retourne pas dans les caisses de l’Etat.

Depuis le début de l’année 2023, on observe une certaine accélération dans la partie du chantier comprise entre Yopougon et Boribana. Le problème de fond n’est pas pour autant réglé. Il semble qu’il a été demandé aux Chinois de terminer cette partie avant que leurs demandes ne soient « examinées ». Cette partie comprend le pont sur la lagune, la voie expresse 02 X 03 voies qui traverse yopougon avec ses 03 échangeurs, le poste de péage, et l’échangeur de Boribana. La CSCEC devait achever les travaux avant fin Mars 2023. Le délai est largement dépassé.

On pouvait raisonnablement s’attendre à la fin de cette partie dans le courant de l’année 2024, mais hélas, même les travaux sur cette partie sont menacés, car un autre contentieux est venu se greffer sur le premier. La BAD, principal bailleur de fond du projet, refuse de procéder à tout décaissement tant que le contentieux entre la partie Ivoirienne et la CSCEC n’est pas clairement réglé. L’institution estime qu’il y a désormais un risque qui pèse sur le chantier, du fait de l’attitude ambiguë des Chinois. Si elle doit engager ses fonds, la BAD réclame la garantie que les travaux seront menés à leur terme conformément au cahier des charges de l’appel d’offres.

Trois gros morceaux du chantier n’ont pas encore été entamés. La voie express qui doit traverser le quartier de Bramakoté, l’échangeur souterrain au niveau de la mairie d’Adjamé, et le fly-over (le pont 02 X 02 voies) sur l’avenue reboul, cette avenue qui part de la Mairie d’Adjamé au carrefour de l’Indénié. Ces trois morceaux vont nécessiter pas moins de deux ans de travaux. Le risque existe que cette partie soit ‘’zappée’’ par les Chinois. D’où le refus de la BAD d’engager ses fonds tant que le flou n’aura pas été dissipé.Tout cela amène à dire que ce sera vraiment limite si l’infrastructure est entièrement achevée avant Décembre 2025. Si aujourd’hui tout le monde tombe d’accord, alors l’infrastructure pourra être totalement achevée en 2026.

En fait la CSCEC dans son offre, avait promis livrer le pont en 26 mois de travaux, ce qui était un délai totalement irréalisable pour une infrastructure de cette envergure, si on se réfère au délai de construction du troisième pont. Les deux infrastructures sont globalement de même envergure quand on exclut le souterrain du quatrième pont. Ce délai de 26 mois participait du piège tendu aux Ivoiriens, en rendant leur offre absolument imbattable à la fois sur le coût et sur le délai de réalisation. A la lumière du troisième point, on peut le dire, les Occidentaux sont peut-être plus chers, mais beaucoup plus fiables que les Chinois.

Jugé brillant et gros travailleur, le Ministre Amédée Kouakou de l’Equipement et de l’entretien routier (la tutelle du projet) est totalement dans le déni. Il ne cesse de claironner à chacune de ses visites que le chantier « avance bien », qu’il est achevé à plus de « 87% », et qu’il sera livré avant « Décembre 2023 ». Des paroles qui ont de plus en plus de mal à convaincre, tant le retard accusé dans la livraison de l’infrastructure est aujourd’hui perçu par tous. L’opinion a fini par se rendre compte qu’il y a manifestement un problème. L’homme peut perdre des plumes dans ce feuilleton, on dit le Président de plus en plus agacé par le retard dans la livraison de l’ouvrage.

Ce qu’il faut craindre, c’est le scénario de l’hôpital du plateau, ce vaste hôpital dont le chantier a traîné pour être finalement abandonné, du fait d’un problème de financement entre l’Etat ivoirien et l’Etat argentin, les deux se rejetant la responsabilité de l’abandon du projet. Aujourd’hui les Chinois réclament un ‘’complément’’ sur ce qu’ils ont initialement demandé. Tant que le coût de l’ouvrage reste inférieur à 142 milliards de FCFA, autant leur accorder ce qu’ils demandent et qu’on aille de l’avant. Dans le cas contraire, le chantier risque de s’éterniser encore pour longtemps. Ce n’est pas une vingtaine de milliards qui vont mettre à sec les caisses de l’Etat. La CI faut-il le rappeler, n’est pas de taille à engager un bras de fer avec la CSCEC.

Douglas Mountain

Le Cercle des Réflexions Libérales

oceanpremier4@gmail.com

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