Ouverte le 30 mai 2023, la 123e Assemblée plénière des évêques catholiques de Côte d’Ivoire s’est achevée le 4 juin par une messe. L’homélie de cette messe a été prononcée par Mgr Marcellin Yao Kouadio, évêque de Daloa et nouveau président de la conférence épiscopale ivoirienne. Le prédicateur du jour ne pouvait pas ne pas parler de la Côte d’Ivoire où les militants du Rassemblement des Républicains (RDR) souhaitent que Dramane Alassane Ouattara briguent un 4e mandat pendant que la Commission électorale qui n’est ni équilibrée ni indépendante estime que Laurent Gbagbo, l’ancien président, n’est ni éligible ni électeur parce qu’il aurait perdu ses droits civils et politiques suite au casse de la Banque centrale des États d’Afrique occidentale (BCEAO) en 2011. Mgr Marcellin Kouadio a déploré “une “formation au rabais dans nos écoles et universités avec une volonté inavouée d’abrutir tout un peuple et détruire toute une jeunesse”. Il a dénoncé “la corruption généralisée, le tribalisme, la justice sélective, un développement effectué en reconnaissance au militant docile ou en représailles aux localités insoumises, une démocratie armée, le jeu trouble de la classe politique et l’appel à la paix et à la réconciliation qui n’a jamais été sincère parce que la plupart du temps ceux qui nous parlent de paix se promènent en gilets anti-balles”. Il s’est demandé à qui profite la croissance économique tant chantée, dans quel monde l’économie ivoirienne serait l’une des plus performantes, dans quel quartier et dans quelle ville les Ivoiriens vivraient en bonne intelligence”.
Le nouveau “patron” de la conférence épiscopale s’est aussi exprimé sur ce qui se passe dans le monde. Pour lui, “l’immoralité [qui] est exportée à travers l’homosexualité, la promotion de la zoophilie, la légalisation de l’avortement et de l’euthanasie sont indiscutablement des signes de la décadence de l’Occident qui “veut continuer à dominer et moraliser le monde au plan politique, économique, culturel, social, au niveau des médias et même au plan religieux”.
Je voudrais remercier Marcellin Kouadio pour cette belle et puissante homélie, saluer son courage et lui dire que je suis fier de lui. C’est le seul prêtre ivoirien avec qui je pouvais parler librement et sérieusement de notre pays et de notre Église quand lui et moi étions étudiants à Rome (1996-1998). Il avait horreur du langage diplomatique parce que ce langage ne convient qu’aux diplomates alors que le prêtre doit dire la vérité à temps et à contretemps et le sermon du 4 juin prouve que Marcellin Kouadio n’a pas changé. C’est un vrai serviteur de Dieu de la trempe des Bernard Yago et Paul Dacoury-Tabley qui avaient compris qu’on ne peut pas appeler les choses par leur nom si on est attaché à l’argent et aux plaisirs de ce monde.
À Rome, Marcellin me donnait déjà l’impression de vouloir marcher dans les pas des Amos, Osée, Jérémie, Nathan, Ézéchiel, Jean-Baptiste et autres prophètes pourfendeurs de l’injustice et du mensonge. Mais un vrai prophète est toujours persécuté à cause de sa parole dérangeante. Marcellin Yao sera recalé à l’ordination pour avoir critiqué, avec Antoine Koné et Jean-Patrice Aké, la lettre pastorale des évêques sur la situation socio-politique de 1990. Dans “Forêts et savanes”, le bulletin de réflexion et de formation du Grand séminaire d’Anyama, les trois séminaristes avaient jugé l’analyse des prélats superficielle et peu courageuse. Dire la vérité à Bédié et à Ouattara en 2013 dans la basilique de Yamoussoukro, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort d’Houphouët, lui valut d’être transféré de Yamoussoukro à Daloa. Cette sanction injuste et stupide m’avait meurtri et je m’étais dit que décidément notre Église avait peur de dire la vérité, ce qui est quand même étrange pour des gens qui prétendent parler au nom de Jésus humilié et tué pour avoir dit un certain nombre de vérités à l’establishment politico-religieux de son époque.
Les autres évêques devaient se sentir mal à l’aise en écoutant l’évêque de Daloa, ce 4 juin 2023. Ils croyaient l’avoir enterré en l’envoyant à Daloa mais, en définitive, ils l’ont rendu plus pugnace, plus percutant. Ils avaient oublié que les grands hommes sont forgés par les épreuves et que leurs racines se fortifient dans le secret. Regrettent-ils déjà de l’avoir élu président de leur conférence? Chercheront-ils à le neutraliser?
Les parolee tranchantes et véridiques, sorties de la bouche de Mgr Marcellin Kouadio hier, les Ivoiriens les attendaient entre 2002 et 2023 parce qu’ils savent que la vérité libère et guérit, parce qu’ils ont toujours en mémoire la demande du centurion romain à Jésus :“Dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri.” (Lc 7, 7) Mais ces paroles guérissantes ne vinrent jamais parce que certains évêques ne voulaient pas mettre du sable dans leur attiéké, parce qu’ils ne voulaient pas fâcher leurs “divinités politiques”, parce que, à leurs yeux, les bons d’essence et les billets de banque étaient plus importants que lutter pour la justice et prendre la défense des faibles. Alors, de nombreux catholiques ivoiriens commencèrent à douter de l’intégrité et du prophétisme de leurs pasteurs.
Ce prophétisme est de retour dans l’Église catholique. On aimerait le voir aussi dans les autres Églises chrétiennes et dans l’Islam car quiconque affirme aimer Dieu tout en étant indifférent à la souffrance et à la détresse de l’homme est un menteur.
Beaucoup ont applaudi Mgr Marcellin Kouadio. Il a peut-être apprécié les applaudissements mais il serait encore plus heureux si chacun de nous pouvait faire preuve de courage et de sincérité. Trop de mensonges mais aussi notre lâcheté et notre cupidité nous ont conduits là où nous nous trouvons aujourd’hui.
Michel Foucault définit la parrêsia – mot grec qui veut dire « liberté de parole » – comme “le courage de la vérité chez celui qui parle et prend le risque de dire, en dépit de tout, toute la vérité qu’il pense” (cf. “Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres”, Paris, Seuil, 2009). De ce point de vue, Mgr Kouadio peut être perçu comme un évêque parrèsiaste dans une Côte d’Ivoire où beaucoup préfèrent se taire pour éviter des ennuis avec le régime sanguinaire et dictatorial installé par la France en 2011.
Jean-Claude DJEREKE
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