Sahel: Les hommes intègres se laisseront-ils trompés par les promesses russes de partenariat stratégique ? (Oumar Diagne)

La Russie, sous Vladimir Poutine, a fait son retour sur le continent africain, après des années 90-2000 bien moroses pour Moscou. Qu’y ont gagné les peuples d’Afrique ? Quels sont les enseignements à tirer de la réalité du terrain, notamment pour le Burkina Faso tenté par la « solution » russe ?

Ce qui plaît souvent aux dirigeants africains dans le discours des Russes ou des Chinois, c’est que ces grands partenaires internationaux ne leur font jamais de leçon de morale. Priorité au business, quel que soit le secteur économique : manufacturier, minier, sécuritaire… les domaines sont nombreux. Ces dernières années, la Russie de Vladimir Poutine a bien compris l’intérêt de se repositionner sur un continent avec lequel l’URSS avait des liens anciens et très forts. Aujourd’hui, le maître du Kremlin a réussi son pari, en reconstruisant la relation russo-africaine sur le souvenir de l’empire soviétique. Mais derrière les grands discours sur la fraternité, sur la nécessité d’un monde multipolaire et sur l’aide au développement, son objectif réel est simple : accroître sa sphère d’influence. Car les peuples africains, eux, n’ont rien à gagner dans cette alliance géopolitique.

Des partenariats… à sens unique

La coopération entre les pays du continent africain et la Russie prend souvent la forme de groupes de réflexion dédiés au business. Ces derniers sont nombreux, comme l’Association de coopération économique avec les pays d’Afrique (ACEPA). « Le développement des relations avec les pays africains et les organisations régionales fait partie des priorités de la politique étrangère russe, avance Vladimir Poutine sur le site de l’ACEPA. Les États africains gagnent avec confiance en poids politique et économique, s’affirmant comme l’un des piliers importants de l’ordre mondial multipolaire. » Une rhétorique reprise à l’envi par les nouveaux alliés du président russe comme le colonel Assimi Goïta au Mali ou le capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso, tous deux à la tête de gouvernements issus de coups d’État. Une réalité qui ne dérange pas outre mesure le chef de la Grande Russie, de toute manière peu enclin à la démocratie et au pluralisme politique dans son propre pays.

En mars dernier, la Russie a fait un nouvel appel du pied à ses bons amis d’Afrique, avec la Conférence parlementaire internationale, réunissant des députés africains et russes à Moscou. Présent à la conférence, Ousmane Bougouma, président de l’Assemblée législative de Transition du Burkina Faso, s’est dit heureux de « réfléchir avec la Russie à la construction de ce monde multipolaire pour l’avenir et pour plus de paix. La priorité en termes de coopération est d’abord le domaine de la sécurité et de la défense pour aider le Burkina Faso. Il faut voir avec la Russie comment elle peut apporter un soutien dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ». En résumé, le représentant de la junte militaire au pouvoir à Ouagadougou est venu réclamer des armes. Et éventuellement le soutien appuyé du groupe paramilitaire Wagner, déjà présent au Faso, même s’il y est moins visible qu’au Mali ou en République centrafricaine.

Le problème des relations entre Moscou et les capitales africaines ne tient pas à leur existence – les pays africains doivent avoir des relations avec tout le monde –, mais à leur nature. Car derrière le paravent officiel des partenariats et de l’aide au développement – faut-il rappeler que la Russie ne représente que 1% des investissements directs en Afrique –, les principaux « échanges » ne se font que dans un sens, et dans un domaine : les armes et la sécurité. Il est vrai que les militaires putschistes, au Mali comme au Faso, ont peut-être peur de subir le sort qu’ils ont fait subir à leurs prédécesseurs…

La prédation sinon rien

L’autre grand thème du discours russe, c’est l’avènement d’un monde multipolaire – comprendre le retour de la Russie comme acteur majeur et influent sur la scène internationale. Les faits le montrent : l’alignement d’Assimi Goïta à Bamako, d’Ibrahim Traoré à Ouagadougou, de Faustin-Archange Touadéra à Bangui – et demain de Félix Tshisekedi à Kinshasa – sur l’agenda russe n’a rien d’innocent. Il ne s’agit pas de politique à long terme pour développer le pays et ses infrastructures, en faveur des populations, en particulier rurales. La Russie ne propose pas de partenariats pour accompagner l’agriculture ou la gestion des ressources en eau, ou pour permettre aux Africains d’utiliser leur formidable potentiel dans les énergies renouvelables. Non. La Russie est obnubilée par des considérations sécuritaires et financières. Au Sahel en particulier.

La mainmise des Russes sur les ressources en or du Burkina, sur les ressources forestières et minières de la Centrafrique ou sur l’or et différents minerais du Mali n’est pas là pour promouvoir la souveraineté des peuples, contrairement à ce que les médias africains soutenus par la diplomatie russe veulent bien nous faire croire. Cette omniprésence russe ne nous fera rien gagner en termes de pluralisme politique, d’essor économique, ni même en termes de sécurité. L’exemple de nos frères maliens est là pour le rappeler : la stratégie de Goïta de s’appuyer sur le savoir-faire russe est désastreuse. Pour preuve, l’année 2022 a été bien plus meurtrière pour la population malienne que l’année 2021, selon les chiffres de l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED). Sans parler les déplacés dont le nombre ne cesse de s’accroître. Malheureusement, l’aide de Poutine – avec sa milice Wagner – est avant tout un cadeau empoisonné.

Les exemples du Mali et de la Centrafrique devraient servir de leçon au pays des hommes intègres. Mais qu’a à dire le peuple que personne n’écoute ? Le capitaine Traoré, lui, songe avant tout à rester au pouvoir et à séduire son ami russe. Et il ne s’en cache pas : « On a des alliés stratégiques. La chance est que la plupart de nos moyens [militaires] majeurs sont russes. Et on continuera d’acquérir des moyens majeurs avec la Russie. Nous sommes satisfaits, parce qu’on arrive à échanger sur ce que nous cherchons comme moyens, accompagnement et tout. C’est franc. ‘On va vous vendre ça à tel prix’, si on n’en veut pas on dit ‘non’. On a des intérêts, et on défend toujours les intérêts du Burkina. La Russie est un allié. » Si le Faso continue de se jeter corps et âme dans les bras de Moscou, les hommes et les femmes de notre beau pays n’y gagneront rien. Quand les Russes viennent, ils font du business avec les « élites ». Pas avec les peuples.

Rendez-vous en juillet à Saint-Pétersbourg

Les peuples – vous et moi – n’ont guère voix au chapitre. Et les dirigeants, en Russie comme en Afrique, n’en ont cure. « Il est important de décrire les manœuvres initiées par Moscou, qui, comme durant la Guerre froide, remet l’Afrique au centre d’affrontements idéologiques, explique la chercheuse Lova Rajaoarinelina. Car comment expliquer les drapeaux russes brandis par de jeunes Burkinabés le 3 octobre 2022 pour soutenir le coup d’État (le deuxième en neuf mois) sinon par l’instrumentalisation russe ? Avec ou sans Wagner, la Russie s’approche de pays dont les États sont faibles. De ce point de vue, la Centrafrique, Madagascar et le Mali sont des cibles idéales pour un prédateur, leur fragilité favorisant l’emprise. » L’analyste a simplement oublié le Burkina dans la liste.

La prochaine mise en scène de l’entreprise de séduction russe aura lieu à Saint-Pétersbourg en juillet prochain : la Forum économique et humanitaire Russie-Afrique, deuxième du nom après celui fondateur de Sotchi en 2019, offrira à Vladimir Poutine de se montrer en président rassembleur et compréhensif des problématiques rencontrées par ses alliés africains. Pour son propre profit, pas pour le développement dont l’Afrique a tant besoin.

Oumar Diagne

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