L’émission du 30 avril 2023 de la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI) portait, entre autres, sur
l’avenir de la relation entre la France et ses ex-colonies. Pendant que Bangali N’goran
expliquait que de plus en plus d’Africains veulent aujourd’hui, non pas une réforme de cette
relation, mais une rupture avec le bloc occidental, Alafé Wakili faisait l’éloge du franc CFA
et appelait les Africains à cesser d’incriminer l’Occident. Pour sa part, Achille Mbembe,
l’architecte du sommet Afrique-France de Montpellier (8 octobre 2021), nous conseilla de
nous positionner comme acteurs et non comme victimes. Mais il peinait tellement à trouver
ses mots que je me suis demandé si lui-même croyait à l’évangile qu’il était en train de
prêcher. L’historien camerounais réfuta ensuite l’idée selon laquelle la relation entre la
France et l’Afrique dite francophone “n’aura servi à rien et ne sert plus à rien”. Mbembe omit
cependant de nous dire comment cette relation a été utile à l’Afrique, de quelle manière elle
l’a fait progresser. Mais le pouvait-il? Est-il en mesure de contredire la remarque de Frantz
Fanon selon laquelle “l’opulence européenne a été bâtie sur le dos des esclaves, s’est nourrie
du sang des esclaves, vient en droite ligne du sol et du sous-sol de ce monde sous-développé”
(cf. “Les Damnés de la terre”, Paris, Maspero, 1961)?
Hier, quand il n’avait pas encore reçu les 50 millions d’euros de Macron, l’auteur de
“Afriques indociles” (Karthala, 1988), était pour la rupture, invitant les Africains qui
« cherchent à inventer leur futur à oublier la France, à ne pas lui reconnaître plus de pouvoir
qu’elle n’en dispose vraiment, à regarder ailleurs » (cf. « Télérama » du 9 octobre 2010).
Aujourd’hui, il n’y est plus favorable. Pour lui, il y a moyen de faire quelque chose ensemble.
Cela est-il possible quand on sait que la France ne nous a jamais vus comme des partenaires
mais comme des gens qu’on peut insulter, dominer, exploiter, piétiner et tuer facilement? Une
femme battue et violée pendant longtemps devrait-elle se remettre avec le violeur? Une
personne sensée lui conseillerait-elle pareille aventure? Qu’y gagnerait cette femme après la
violence et le mépris qu’elle a subis, des années durant? Les Africains peuvent-ils encore se
fier à une France qui refuse toujours de demander pardon pour la mort de Kadhafi et pour
l’intervention en Libye en 2011 de l’OTAN qui, aux dires de Mahamadou Issoufou, ancien
président du Niger, “est la cause de l’actuelle instabilité régionale”, pour le bombardement et
la déportation de Laurent Gbagbo à La Haye, pour les massacres commis par l’armée
française au Cameroun, à Madagascar, en Algérie, en Côte d’Ivoire, pour les 300 ans
d’esclavage, pour la colonisation qui “est une négation systématisée de l’autre, une décision
forcenée de refuser à l’autre tout attribut d’humanité” (Fanon, “Pour la révolution africaine.
Écrits politiques”, Paris, La Découverte, 1964)?
En 2013, quand la ville de Kidal fut libérée, aucun militaire malien ne fut autorisé à
accompagner les soldats français. En novembre 2019, l’armée française survola sans
permission le territoire burkinabè. Le 11 janvier 2022, un avion militaire français viola
l’espace aérien du Mali. Le 6 mars 2023, France 24 relaya les propos d’Abou Obeida, le chef
de l’organisation terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) qui massacre des
populations au Mali et au Burkina. Que dire des bases militaires françaises installées dans
certains pays africains? La France n’a pas l’intention de les fermer. Tous ces faits peuvent-ils
ramener la confiance entre elle et l’Afrique ? J’en doute fort.
Les gesticulations et lamentations de Mbembe ont peu de chances d’émouvoir les Africains
qui partout disent à la France « enough is enough, go home ». Qu’il veuille défendre un pays
qui s’est disqualifié par son arrogance, sa duplicité et sa volonté de domination ou qu’il doive
justifier l’argent que Macron lui a offert pour l’innovation de la démocratie dont la fondation a
été lancée à Johannesburg le 6 octobre 2022 n’a aucun intérêt pour nous. Ce qui intéresse
l’Afrique, c’est “que les imbéciles et les exploitants lui laissent la possibilité de vivre
humainement” (Fanon, “Peau noire, masques blancs”, Paris, Maspero, 1952).
Jean-Claude DJEREKE
Commentaires Facebook