Une grande période électorale est ouverte en Côte d’Ivoire. Des élections régionales et municipales ont lieu à la fin de l’année en cours. Chaque parti politique a déjà rendu publique la liste des candidats qu’il a investis. Ceux et celles qui n’ont pas été choisis par leur parti ont été appelés par leurs responsables à se rallier en faisant contre mauvaise fortune bon cœur afin de donner plus de chances à leur famille politique.
Les principaux partis d’opposition s’organisent même en interne et se mettent en situation de veille pour faire face à la fraude du parti au pouvoir qui a habitué la population aux « coups de Jarnac ». Cette situation de veille se veut en complément de l’action de la Commission électorale indépendante à qui revient cette charge. C’est dire le climat de confiance préélectorale qui prévaut en ce moment avec en perspective les violences à venir (que nous ne souhaitons pas voir).
Mais, au-delà de cette euphorie générale, la question fondamentale reste triviale. Elle reste, comme on dit, terre-à-terre. Chaque candidat doit pouvoir se la poser : Je suis candidat. Et si je suis élu, qu’est-ce que je vais devoir faire dans ma commune ou dans ma région au service de la population ?
Cette question est fondamentale parce que dans la tête de nombreux électeurs, il y a une grande confusion des missions des élus. Cette confusion est entretenue par beaucoup de candidats à tel point qu’on peut s’interroger si certains de ces candidats savent bien, eux-mêmes, ce qui relève des responsabilités auxquelles ils aspirent. Par exemple, on voit des candidats promettre de faire voter des lois au parlement pour paver ou bitumer les rues de leur future commune ou de créer des emplois pour les habitants de leur commune.
Nous pensons que c’est dès maintenant qu’il faut que chaque parti invite et incite vivement le candidat choisi à fournir son programme d’actions, son projet pour sa ville ou sa région au regard de sa spécificité pour qu’il fasse l’objet d’échanges internes et de clarifications des enjeux. Et surtout, il faut que le projet de chacun soit rendu public dès maintenant afin de faire l’objet de réflexions, d’analyses et d’amendements par le public concerné. La vraie relation politique dans une vie démocratique avec le public se déroule ainsi. Le public doit être pris à témoin pour être positionné en partie prenante et en partie consciente de l’engagement qu’il prend.
Ici, nous allons centrer notre contribution, somme toute modeste, sur les responsabilités d’un maire. Pour cela, nous allons nous appuyer sur notre observation de la situation des communes dans notre pays à l’occasion de nos visites récurrentes dont la dernière remonte au mois de novembre dernier. Ces observations seront alimentées en grande partie par un très brillant et non moins éloquent témoignage d’un compatriote sur sa page Facebook. Il s’agit du docteur Charles Koudou que nous remercions par avance. Qu’il (Docteur Charles Koudou) nous permette dans un esprit de partage fraternel de puiser dans sa contribution pour alimenter la nôtre afin donner matière à réflexion et à agir à nos concitoyens.
Concrètement, quel est le rôle d’un maire dans une commune ?
Disons-le rapidement toute de suite, le maire est président du conseil municipal. Il représente l’État. Et à ce titre, il dirige et administre la vie publique d’une commune. Il est responsable de la salubrité, de l’aménagement, de la sécurité, de la vie associative et culturelle, des actes civils et du respect des lois et règlements sur son territoire.
Quels sont donc les défis qui attendent les élus municipaux et régionaux à venir. Plusieurs axes de travail les attendent tant les villes de Côte d’Ivoire, y compris de la capitale économique, sont en souffrance. Appelons-les des chantiers, ces défis.
PREMIER CHANTIER :
LA REFONTE DU SYSTÈME D’URBANISATION D’ENSEMBLE ACTUEL.
S’il est un secteur dans l’urbanisation où règne le désordre et l’anarchie, c’est bien le secteur de la construction. Le secteur de la construction est donc un axe de travail sur lequel les maires devraient aujourd’hui s’appesantir dans leurs projets. Comment comptent-ils faire face à ce problème endémique. Dans les grandes villes du pays comme par exemple Abidjan, on construit partout et n’importe comment. Le moindre petit espace prévu dans les schémas directeurs des cadastres est investi de façon véreuse. Au point qu’il n’existe pratiquement pas d’espaces verts et de ventilation des habitations. Il n’y a pratiquement pas de délimitation entre espaces résidentiels et espaces commerciaux. Les épiceries, bazars, etc. poussent dans tous les recoins, y compris dans les salons. Ce n’est pas normal. Il faut définir un projet véritable à ce niveau et s’engager à fournir une équipe avec une éthique capable de veiller à son application au quotidien. Il faut réfléchir et engager une politique de résorption de l’habitat précaire. Nos pays sont encore jeunes et chaque élu doit s’appliquer à créer les conditions permettant à chaque famille de vivre décemment. On ne demande à l’élu d’offrir des habitations luxueuses mais des habitations décentes. Cela est encore possible. Il faut de la volonté avant tout pour en rechercher les moyens. Nous avons notre petite idée qu’il serait trop fastidieux de développer ici. Pour des candidats intéressés par cet axe, nous les invitons humblement à se rapprocher pour échanger là-dessus.
DEUXIÈME CHANTIER :
METTRE EN PLACE UN PLAN SOUTENU PAR DES ACTIONS CONCRÈTES PERMETTANT DE FAIRE FACE AU PROBLÈME DE L’INSALUBRITÉ ET SON COROLLAIRE LA SANTÉ
Prenons par exemple un quartier historique et fondateur de la ville d’Abidjan, Treichville. On pourrait, au-delà de Treichville, multiplier les exemples tant il n’en manque pas. Treichville est un quartier sale. Nous sommes désolés pour les gens qui y habitent. Ce quartier est sale au point qu’il est parfois impossible à qui n’est pas un habitué des lieux d’accepter d’y déjeuner. C’est le quartier avec Abobogare où le paludisme sévit le plus. C’est un quartier où les moustiques et autres bestioles de tous poils prolifèrent sans problème. Il n’existe pratiquement plus de caniveaux dans cette commune tant tout y est déchetterie. Les artères qui autrefois servaient à circuler librement débouchent pour la plupart sur des impasses aujourd’hui sous l’œil bienveillant et non moins indifférent des élus. Elles sont barricadées pour servir de lieux de prières à ciel ouvert. Beaucoup d’aliments sont vendus à la sauvette à Treichville dans un environnement pollué. A Yopougon, Cocody et autres, les églises et les mosquées poussent à tous les coins de rue générant des nuisances qui troublent la quiétude des riverains.
Il s’agit là d’un défi auquel le candidat élu devra faire face durant sa mandature. Nous avons pris l’exemple de Treichville mais nous aurions bien pu en prendre un autre comme le Bardot à San-Pédro ou ailleurs. Pour cela, il ne s’agit pas d’avoir de l’argent à distribuer aux gens mais d’être une femme ou un homme à poigne ayant un projet viable et de dialogue pour affronter les défis.
LE TROISIÈME CHANTIER : LE SECTEUR DES TRANSPORTS AUSSI BIEN ROUTIER QU’URBAIN
On entend beaucoup dire que le pouvoir en place construit des routes avec sa politique d’endettement extérieur expansionniste. Ce qu’il faut que les candidats se disent, c’est qu’« il y a route et route ». Il y a des routes qui ont vite fait de devenir des déroutes. S’il s’agit de routes qu’on pave de péages à gogo, c’est la déroute assurée dans la politique de développement d’un pays comme la Côte d’Ivoire. Il faut revoir çà dans les projets régionaux et municipaux. On se demande bien de quoi l’on parle lorsqu’on est sur le terrain dans nos villes. Il faut arrêter de paver le pays de pistes à péages et de goudron fondant. Le développement, ce n’est pas cela. Les rues de nos villes sont sales, très sales et poussiéreuses. Elles ne comportent en très grande partie ni de tracée ni de signalisation. On y circule à qui mieux mieux. Les rues ne comportent même pas de nom alors qu’il s’agit là du minimum qu’un élu puisse faire dans sa ville à savoir dénommer et numéroter les rues. C’est vraiment ce qu’il convient d’appeler le « minimum syndical ». L’identité d’une ville comment par là. Les quartiers sont dénommés n’importe comment au point d’altérer l’histoire et l’identité des villes ivoiriennes. Ainsi, peut-on voir des quartiers dans nos villes s’appeler Maroc, Petit Kong, Dar es Salam, Soweto, etc. Disons-le un foutu bordel. Pour revenir aux rues, il faudrait entreprendre un profond travail de repositionnement en termes d’identité, de culture et d’histoire en lien avec l’identité du peuple pour baptiser et rebaptiser les rues, les artères et les quartiers. Il faut, dans chaque ville, construire de véritables gares routières. La gare routière n’a pas nécessairement besoin de se trouver en centre-ville au milieu de gnambros et d’abonnés aux fumoirs.
LE QUATRIÈME CHANTIER : DÉFINIR POUR SA VILLE UNE VRAIE POLITIQUE CULTURELLE
La Côte d’Ivoire a été pendant longtemps le carrefour des cultures africaines. Des artistes congolais, guinéens, maliens, camerounais, haïtiens, etc. y ont séjourné. Quand il nous arrive de séjourner dans les Caraïbes ou dans l’océan indien, Madagascar, Maurice et la Réunion, on nous parle beaucoup de cet aspect. C’est un pays qui a connu une vraie révolution culturelle ces dernières années avec l’arrivée du rythme Zouglou qui a envahi l’Afrique et d’autres continents. Malheureusement, il n’y a aucun espace culturel digne de ce nom dans les villes ivoiriennes. Lorsqu’un artiste veut prester, il faut dresser des tentes et installer des chaises en plastique. Il n’y a aucun musée pour faire revivre notre culture, pour honorer nos ancêtres et notre passé dans nos villes. Quand on baptise un espace, on ne met jamais en avant les noms des personnalités honorées. Ce problème a été récemment pointé par Christine Binlin Dadié concernant l’espace de Treichville du nom de notre illustre patrimoine commun Barnard B. Dadié. Il faut que chaque élu s’engage à construire un vrai, digne et vaste espace culturel dans sa ville pour permettre aux habitants et autres invités à s’exprimer artistiquement. Cela peut se faire en mobilisant un partenariat international avec les pays d’Asie.
ENFIN,
Il y a beaucoup à dire et surtout faire concernant les missions liées à ces élections. Nous nous limitons ici à quelques exemples pour donner des idées. Les élus locaux sont l’un des piliers du développement d’un pays. Il ne s’agit pas de chercher conquérir un titre honorifique à travers une élection. Il s’agit pour celui qui est élu de se positionner en véritable acteur du développement. Le premier positionnement c’est de présenter un projet. Le développement, on ne le dira jamais assez est une question de mentalité, de disposition d’esprit. Il faut pouvoir cultiver cet esprit et le consigner clairement dans un projet formalisé. C’est ce projet qui va servir de contrat avec la population.
Elle pourra à tout moment interpeller son maire ou son président de région sur les manquements ou bien le féliciter par rapport à ce qui a été fait.
©DR KOCK OHUSU
Economiste & Ingénieur
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