Charles Kouassi
Pourquoi un message publié sur l’une des pages Facebook du Président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, peut susciter des réactions, qu’elles soient positives ou négatives ?
Publié le vendredi 14 avril 2023 par Adama Bictogo, le message sur cette page Facebook témoigne d’un courage qui conduit à refuser du populisme ambiant, qui voudrait que tout soit gratuit, tout en étant du côté du consommateur confronté à l’augmentation des prix et à la cherté de la vie dans cette période de forte inflation. Quel est le sujet du débat ? Il s’agit bien sûr de l’augmentation du prix des données internet mobile, en Côte d’Ivoire.
Une double solidarité
Sur sa page Facebook, Adama Bictogo a posté le message suivant : «Mes chers frères et sœurs, Je vois et partage toutes vos préoccupations concernant l’actualité relative à l’augmentation observée des prix des données internet et mobile en Côte d’Ivoire ».
Cette interrogation concerne un sujet majeur, quand on sait l’importance de la téléphonie mobile et d’internet en Afrique dans la vie quotidienne ou professionnelle, pour s’informer, travailler, payer, obtenir un document administratif.
C’est le rôle d’un homme politique, comme Adama Bictocgo, député et maire, connu pour son franc parler et ses prises de position, qui vit au plus près des populations et des consommateurs, de s’exprimer sur un tel sujet. Il comprend le mécontentement des consommateurs qui dénoncent en ce moment contre l’augmentation des prix par les opérateurs de téléphonie mobile. Le sujet est éminemment politique.
Quel est le contexte ? Depuis le 7 avril 2023, les trois opérateurs de téléphonie, qui dominent le marché, ont décidé de diminuer le volume de data des paquets 4G, tout en augmentant leur prix. Un député, qui en appelle au boycott des consommateurs, a lancé une pétition qui a déjà recueilli près de 50 000 signatures contre cette augmentation des datas. Le gouvernement a réagi en annonçant, le 10 avril 2023, la suspension de la hausse des tarifs des données mobiles et a relancé les discussions avec les opérateurs.
Adama Bictogo a choisi d’intervenir dans le débat comme l’autorise son statut d’homme politique et sa fonction de député. Il parle, bien entendu, en son nom propre, et non pas au nom de l’institution qu’il préside.
Il est évident qu’Adama Bictogo ne peut être que solidaire des consommateurs mécontents. Cependant , il cherche à dépassionner en posant clairement les termes de ce débat, lorsqu’il écrit, sur sa page Facebook : « Je tiens à vous assurer que dans ce contexte général de cherté de la vie, la volonté du gouvernement, des régulateurs et des acteurs privés reste de mettre l’intérêt des citoyens et consommateurs au cœur de toute action. En accord avec cette vision, les acteurs concernés sont à l’œuvre pour une résolution définitive de cette problématique ».
C’est un homme politique qui parle, un homme dont on connaît l’engagement et la force des convictions, un homme qui n’a jamais cherché à « cacher la poussière sur le tapis ».
Il sait aussi que les sociétés modernes obligent à conduire un dialogue permanent entre les trois composantes de la société : le gouvernement, qui a à trouver un équilibre entre les prix et ce que le consommateur peut payer, les fournisseurs de service qui offrent un service qui a un coût et les consommateurs qui, au bout de la chaîne, paient.
La data n’est pas un luxe, c’est devenu un outil indispensable, un bien commun, dans la vie quotidienne.
Un message responsable qui ne contient pas un agenda politique caché ou opportuniste
Tout sujet qui enflamme les opinions publiques devient un sujet politique. Faut-il voir dans cette « guerre des datas » un agenda politique caché des uns et des autres. Des élections approches, municipales et régionales. 2025 n’est pas très loin. La minorité politique à l’assemblée nationale cherche-t-elle à lancer des mots d’ordre mobilisateurs contre le gouvernement en dénonçant l’ARTCI et les opérateurs de téléphonie mobile ? Malgré les soupçons d’agenda personnel et politique partisan, aucun des consommateurs mécontents ne s’est encore pris au gouvernement, Assalé Tiemoko, Jean Bonin et les autres n’ont pas encore indexé le gouvernement.
Adama Bictogo, en s’exprimant sur sa page Facebook, ne cherche pas à jouer un rôle personnel, ni à mettre avant son institution au détriment de l’Exécutif. La majorité parlementaire est RHDP. Il est normal que le chef de cette institution où est majoritaire le parti qui gouverne, reste solidaire du gouvernement, sans jamais mépriser les consommateurs de qui il se dit solidaire.
Donner le sentiment que la majorité parlementaire doit se démarquer forcément de l’exécutif conduirait à une crise de régime. Or cela n’est pas la règle en démocratie, ni en Côte d’Ivoire, ni en France, ni aux États-Unis-Unis.
Le fait majoritaire assure la stabilité politique. Certains voudraient enjamber la représentation parlementaire et ils en appellent à l’insurrection populaire, au boycott, boycott des élections, boycott d’un produit, comme cela est lancé, sans que tous les recours aient été examinés. La spontanéité et la réaction immédiate sous la colère ne garantissent pas toujours un succès durable.
Un clin d’œil quand même à l’Assemblée nationale
Adama Bictogo n’oublie pas de faire un clin d’œil à la représentation nationale, lorsqu’il invite chacun à garder confiance dans les institutions de son pays.
Depuis son accession au pouvoir, Alassane Ouattara a toujours cherché à consolider les institutions, qui contribuent, avec le dialogue social et le dialogue national, à garantir le bon fonctionnement de la démocratie.
Dans cette optique, Adama Bictogo ne conteste pas le rôle des minorités politiques au parlement, qui sont aussi une force de proposition qu’il faut écouter. Il n’exclut pas, non plus, que l’Assemblée nationale prenne une initiative prochaine, sur la question comme sur d’autres questions passées ou à venir. C’est ce qu’il faut comprendre dans cette phrase : « Je nous invite à garder confiance en nos institutions. ».
Adama Bictogo et la crise des data internet : un message courageux et non populiste
Capture d’écran de la publication de président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. © DR
Les possessifs « nous et nos » sont inclusifs et et non exclusifs. Il fait corps avec les consommateurs et les autres corps sociaux et politiques en cette séquence, en disant « nous et nos institutions » au lieu de dire « vous et vos institutions ».
Le Président de l’Assemblée nationale se projette, à cet instant, hors de la majorité RHDP pour associer les consommateurs et l’opposition au débat.
Adama Bictogo n’oublie pas qu’il a été élu Président de l’Assemblée nationale , alors qu’il n’en avait pas besoin, avec le soutien de l’opposition. Les députés PDCI ont voté en faveur d’Adama Bictogo contre leur propre candidat. Ce soutien massif des parlementaires témoigne du respect et de la considération qu’inspire Adama Bictogo.
Avant de terminer son message en appelant Dieu à bénir la Côte d’Ivoire, Adama Bictogo n’a fait qu’assumer un engagement politique connu en affirmant sa confiance au gouvernement.
S’il tient à rassurer les consommateurs mécontents, il le fait en les invitant à avoir la même confiance que lui dans le gouvernement qui annoncé, le 10 avril 2023, la suspension de la hausse des tarifs des données mobiles et a annoncé la poursuite des discussions avec les opérateurs de téléphonie.
Candidat aux municipales 2023 à Yopougon, Adama Bictogo n’a pas l’intention de mettre ses convictions dans sa poche, pour jouer les opposants irréductibles du haut du Perchoir. Il n’avance pas masqué et dans l’hypocrisie politique, même si les acteurs politiques sont souvent réputés opportunistes.
Le Président Adama Bictogo est parfaitement dans son rôle
À moins d’être hostile au gouvernement Ouattara et Achi dans le contexte actuel , à moins de vouloir que le Président de l’Assemblée nationale déroule un agenda contre le gouvernement Rhdp , que peut-on reprocher à Adama Bictogo ? De vouloir ménager la chèvre et le chou en appelant au dialogue entre le gouvernement, les opérateurs et les consommateurs ? La politique du flou n’a jamais été la ligne de conduite d’Adama Bictogo. Ceux qui réagissent négativement au message sur sa page Facebook voudraient-ils faire de Bictogo un allié d’Assalé Tiemoko et un opposant au gouvernement, alors que le député de Tiassalé n’a lui-même jamais assumé une hostilité au gouvernement dans le boycott contre les deux opérateurs indexés ?
Ceux qui ne soutiennent pas la sortie voudraient-ils que le président de l’Assemblée nationale ne s’exprime plus hors de l’hémicycle ?
Personne ne peut reprocher au chef des députés ivoiriens de se montrer solidaire des populations qui expriment un mécontentement tout en les invitant à faire confiance au gouvernement. Ainsi Adama Bictogo est bien dans son rôle, en s’invitant dans le débat en cours sur la tarification des datas, dans un esprit citoyen et avec courage et responsabilité.
Le conseil de régulation de l’Artci ramène à la question budgétaire
Tout État ; dont l’économie reste fragile et les recettes fiscales insuffisantes, doit veiller à l’équilibre budgétaire, afin de ne pas recourir uniquement ou sans fin à l’endettement.
La dette publique de la Côte d’Ivoire est maîtrisée : le taux de la dette publique ressort à 50 % en juin 2022, en baisse par rapport à juin 2021. Cela dit , le service de la dette (paiement des intérêts) représente 23,48 % des recettes budgétaires. Le gouvernement doit s’assurer des rentrées fiscales. Les opérateurs de téléphonie mobiles assurent leur part de ces recettes fiscales pour le gouvernement, alors que le consentement à l’impôt reste faible en Côte d’Ivoire. La crise actuelle, économique et sociale, a d’ailleurs rappelé la crise du consentement à l’impôt.
Dans sa déclaration du vendredi 14 avril 2023, le Conseil de régulation de l’Artci dit deux choses : 1) le retour aux anciens prix qui sera effectif d’ici quelques jours avec tous les opérateurs, ce qui va rassurer les consommateurs 2) les discussions reprendront pour appliquer la décision relative aux nouveaux tarifs, ce qui signifie, à terme, une augmentation du coût de la data pour les consommateurs, ce qui peut les inquiéter.
La question est certes politique et sociale , mais elle est aussi budgétaire : qui sait si le budget 2023 (1) de la Côte d’Ivoire a été établi sur la base des nouveaux tarifs désormais suspendus , en attendant ?
Si tel est le cas, pourquoi l’Assemblée nationale n’a-t-elle pas pu anticiper cela ? Face à la question budgétaire, faire du populisme irresponsable et politicien de la part du président de l’Assemblée nationale aurait-il été une posture souhaitable ? Assurément non !
Charles Kouassi
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