Pourquoi les géants français du BTP sont-ils des références mondiales ?
Le BTP français a le vent en poupe, dans l’Hexagone mais aussi aux quatre coins du monde. Les raisons de cet engouement sont nombreuses, et les majors – Bouygues, Eiffage, Saint-Gobain ou encore Vinci – remportent de précieuses victoires. Leurs maîtres-mots : interdisciplinarité et décarbonation.
Avez-vous entendu parler du projet TELT ? Dans le monde des travaux publics, cet acronyme – symbolisant l’entreprise franco-italienne Tunnel Euralpin Lyon-Turin – est bien connu et vient à nouveau de faire l’actualité avec l’attribution de nouveaux appels d’offres fin février, comme celui remporté par Eiffage pour l’interconnexion ferroviaire de Saint-Jean-de-Maurienne ou celui remporté par NGE Fondations pour la modification de l’infrastructure ferroviaire à l’entrée du tunnel. Mais les leaders français du BTP regardent bien au-delà de la frontière franco-italienne. Fin 2022 par exemple, Bouygues a remporté la phase 3 du projet d’extension de l’aéroport Houphouët Boigny à Abidjan (Côte d’Ivoire), Vinci Construction la réalisation d’une section du nouveau métro de Toronto (Canada), ou encore Eiffage Génie Civil l’extension du Port Autonome de Cotonou (Bénin). Leur expertise s’exporte bien. Ces succès s’expliquent par leur identité et leurs spécificités bien françaises.
L’interdisciplinarité, atout nº1
Sur les appels d’offres internationaux, les entreprises tricolores se retrouvent souvent en concurrence avec d’autres géants internationaux du génie civil comme l’Allemand Hochtief, l’Espagnol ACS, le Japonais Kajima Corporation, l’Américain Bechtel ou l’incontournable Chinois CSCEC. Pour se démarquer, certains groupes français ont choisi un développement horizontal, avec plusieurs entités regroupant tous les corps de métier sous une même ombrelle, du génie civil aux infrastructures, en passant par la démolition, l’énergie ou le recyclage. Dans le domaine, un exemple particulièrement représentatif de l’identité française est celui du groupe Eiffage, structuré autour de quatre grandes branches : l’infrastructure (génie civil, métal et route), la construction, une branche énergie-systèmes et une gérant les concessions. Cette architecture permet, lors des appels d’offres, de répondre à tous les impératifs des donneurs d’ordre. Et, au moment de l’exécution, cette interdisciplinarité et la coactivité des entreprises du même groupe permettent des gains de temps et des économies financières, comme c’est le cas par exemple sur le chantier du siècle en Europe, celui du Grand Paris Express (GPE), dont une partie doit être prête pour les Jeux olympiques de 2024. « Je cite volontiers le TER de Dakar, ou encore nos travaux en cours sur le train HS 2, le TGV britannique, expliquait fin 2021 Guillaume Sauvé, président d’Eiffage Génie Civil et d’Eiffage Métal. À chaque fois, il s’agit de BTP interdisciplinaire, et ce n’est pas par hasard que nous avons été sélectionnés pour ces marchés, comme nous l’avons été pour la Ligne 16 du GPE, seul lot de ce projet pharaonique combinant le Génie Civil et le Rail dans un même contrat. » D’autres appels d’offres pour le GPE devraient d’ailleurs être tranchés courant 2023.
Ce type d’organisation répond en effet en tous points aux normes des chantiers du GPE en conception-réalisation, afin de tenir à la fois les délais et les impératifs financiers. Que ce soit en région parisienne ou ailleurs dans le monde, ces divisions internes des grands groupes leur assurent flexibilité et complémentarité. Comme Eiffage, Vinci fonctionne par branches-métiers. « Chacune des entreprises du groupe reste sur son métier, que ce soit le bâtiment, les ouvrages de génie civil ou les infrastructures, explique Pierre Anjolras, président du nouveau pôle Vinci Construction.. Toute notre organisation est là pour appuyer et se mettre au service de notre réseau d’entreprises, afin qu’il puisse relever les grands défis environnementaux, énergétiques ou encore digitaux qui sont devant nous. » La recette française fonctionne.
La nouvelle contrainte du bas-carbone
Une autre qualité des groupes tricolores est née des nouvelles contraintes dictées par la décarbonation de l’économie et des activités de construction en particulier. Ces contraintes sont désormais centrales dans l’esprit des donneurs d’ordres et des entreprises prestataires. Parmi les plus strictes du monde, les réglementations européennes sur l’impact environnemental des chantiers sont ainsi devenues des arguments concurrentiels pour les entreprises françaises. En Ile-de-France, les chantiers pharaoniques du Grand Paris n’échappent pas à la règle. « Les travaux du Grand Paris Express devraient générer autour de 4,4 millions de tonnes équivalent carbone selon nos estimations, avance Benoît Dupuis, directeur exécutif de la Société du Grand Paris (SGP). Notre objectif est de réduire ce volume de 25%, en utilisant tous les leviers, à tous les stades et pour tous les projets. » Dans les dossiers soumis par les entreprises du BTP dans le cadre des appels d’offres du GPE, la SGP met désormais l’accent sur le bilan carbone des contrats en conception-réalisation. Et, au cours des travaux, un monitoring précis est effectué. « Nous testons le Reverse Carbone Execution Initiative (RCEI), ajoute Benoît Dupuis, qui permet aux entreprises de nous proposer pendant les travaux de nouvelles solutions de réduction des émissions, sur les bétons et les aciers. » Cette année, la SGP attribuera encore plusieurs lots lors de deux appels d’offres distincts, dont ceux des lignes 15-est et 15-sud.
L’implantation des entreprises françaises à l’étranger a aussi permis à ces dernières de s’ouvrir sur des nouvelles pratiques qu’elles appliquent désormais en France, comme le béton fibré, capable de réduire de 25% l’impact carbone d’un chantier comme celui du GPE, pour la fabrication des voussoirs des tunnels. « À l’étranger, une autre technique que le béton classique existait et nous l’avons utilisée : le béton armé est remplacé par du béton fibré, explique Pascal Hamet, directeur du projet Ligne 16-1 chez Eiffage Infrastructures. Nous avons donc proposé au client de mettre en œuvre cette technologie sur le lot 1 parce que le type de béton utilisé a lui aussi un impact sur la planète. Le maître d’ouvrage a eu le courage de dire “oui, on y va, on le fait”. L’utilisation de fibres permet de diviser par deux le tonnage d’acier. Dans le métier du BTP, il existe deux gros contributeurs à l’empreinte carbone : le béton et l’acier. Réduire la quantité d’acier utilisée – surtout à cette échelle – va dans le bon sens pour l’empreinte carbone et la planète. »
Responsable d’environ 7% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, le béton est évidemment au cœur des efforts de R&D du secteur. Et la recherche française se distingue en la matière, avec au premier rang la société vendéenne Hoffmann Green Cement Technologies qui s’est spécialisée dans le béton bas carbone. L’empreinte carbone de ce nouveau type de béton est jusqu’à six fois moins élevée que celle du béton classique. Une prouesse qui séduit les majors du BTP selon Julien Blanchard. « Nous avons déjà signé des partenariats avec des entreprises majeures de la construction française, qui veulent mettre le pied à l’étrier » affirme le PDG de Hoffmann Green.
Les nouvelles contraintes environnementales ont donc poussé les entreprises du BTP à innover, comme dans le cas du béton fibré. Toute la filière s’est mise en ordre de bataille, derrière les recommandations de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). « Nous sommes un membre très actif de la FNTP et très bien représenté dans ses instances, assure Pascal Minault, PDG de Bouygues Construction. Nous sommes alignés avec leurs propositions et cette démarche volontariste pour développer des solutions bas-carbone. » Tous, d’Eiffage à Bouygues en passant par Saint-Gobain, voient dans l’innovation des opportunités de développement. « Les enjeux de décarbonation sont complexes, mais ce sont aussi des défis technologiques motivants pour un industriel, remarque Benoît Bazin, directeur général de Saint-Gobain. L’objectif de l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone en 2050 est très ambitieux, et donc contraignant. Au moins, il y a de la visibilité, un calendrier par étapes : désormais, tous les grands groupes industriels ont aligné leur feuille de route et démarré des programmes d’investissements massifs. »
L’adage populaire veut que « quand le bâtiment va, tout va ». Depuis dix ans, le BTP s’est lancé dans une révolution des pratiques et de l’organisation, et la french touch – à l’avant-garde en matière environnementale – séduit autant en France qu’à l’étranger. Une chose est sûre : pour les grands groupes français, les voyants sont au vert.
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