Les autorités ivoiriennes ont restitués ce mercredi dernier dans la matinée, des corps de victimes de violences commises en mars 2011, au moment de la crise post-électorale de 2010-2011.
Trois localités – Guiglo, Blolequin et Toulepleu étaient concernées par cette cérémonie, conçue pour marquer un acte de la réconciliation nationale.
En tout, 47 corps et restes humains de victimes de violences ont été rendus à leurs familles ce mercredi 8 mars. Ces corps avaient été exhumés, pour certains en 2015, puis transférés à Abidjan, pour le besoin des enquêtes sur les différents affrontements qui s’étaient produits au moment de la crise post-électorale.
Depuis, ces corps étaient conservés à l’Ivoire sépulture (Ivosep) de Treichville. Ils devaient être acheminés par la route.
Bien que les rapports d’autopsie n’aient pas été communiqués aux familles de ces victimes, cette restitution est perçue comme un geste permettant « aux habitants de faire le deuil », estime Amadou Coulibaly, le ministre porte-parole du gouvernement.
« C’est maintenant que la réconciliation commence »
À la préfecture de Guiglo, six corps ont été restitués à leurs familles lors d’une cérémonie sobre dans la matinée. Trois ministres y ont fait le déplacement, ainsi que plusieurs chefs traditionnels. Six familles de victimes sont présentes. Elles ont reçu une enveloppe de 1,5 million de francs CFA (environ 2 300 euros), pour notamment organiser des obsèques. Les corps n’ont pas été présentés à cette cérémonie, ils sont conservés à la morgue de l’hôpital de Guiglo : la ministre de la fonction publique invite les familles à se rendre à l’hôpital. Elles ont jusqu’à la fin du mois pour inhumer leurs proches.
Irène Modesie a perdu sa mère en mars 2011. Elle dit avoir assisté à l’exhumation de son corps pour les besoins de l’enquête en 2015, puis n’avoir plus reçu de nouvelles du ministère de la Justice. Elle a alors plongé dans le doute. Alors, pour elle, la cérémonie de restitution des corps lui permet de commencer à faire son deuil :
« Perdre une mère, que sa mère ne soit pas inhumée, tout cela avait mis de l’angoisse dans ma vie. Je n’arrivais pas à dormir. Ça a tant duré, je me disais que l’on nous avait oubliés. Il y avait de l’amertume en moi. »
« Ça nous décharge moralement, car jusque-là, pendant douze ans, on se sentait oublié », reprend celle qui occupe aussi la fonction de porte-parole des familles. « C’est maintenant que la réconciliation commence » a-t-elle ajouté. Douze ans après les faits, « nous sommes venus fermer des plaies », a souligné Myss Belmonde Dogo, la ministre de la Solidarité, qui demande aux familles de « rester sur cette ligne du pardon ».
« Nous vous disons »montao » ( »pardon »). »Montao » pour tout ce que l’ouest a vécu. »Montao » pour ces années de souffrance, à attendre de pouvoir faire le deuil de vos chers disparus. Nous sommes ici aujourd’hui avec vous pour qu’ensemble, nous tournions la page », a déclaré la ministre de la Solidarité.
À ce jour, 4 410 ayants-droit de personnes décédées ont déjà reçu 1 million de francs CFA (environ 1 500 euros) de dédommagements de la part du gouvernement, lors de précédents programmes. Pour le gouvernement, ces restitutions entrent dans le champ de la réconciliation. Elles sont aussi une manière de tourner cette page sombre de l’histoire du pays.
Scepticisme
Mais on sent beaucoup de scepticisme autour de cette restitution. D’abord, parce que jusqu’à la dernière minute, les acteurs locaux ignoraient quels corps allaient être restitués ce 8 mars. Ils dénoncent en coulisse un manque de concertation et d’information.
Et puis, ce sont 47 corps qui sont rendus à leurs familles, mais il en reste encore beaucoup qui n’ont, à ce stade, pas été identifiés. « Cela pourrait créer des tensions, des frustrations auprès des communautés », redoute un observateur. Y aura-t-il des analyses supplémentaires ? Ces dépouilles feront elles l’objet d’une seconde vague de restitution dans les semaines ou mois à venir ?
Beaucoup d’interrogations restent encore en suspens
Ce matin, trois organisations de défense des droits de l’Homme, demandent aux autorités d’établir « un plan clair et concerté pour la poursuite des restitutions des corps ». La Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho), la Confédération des organisations des victimes des crises ivoiriennes (Covici) et le Mouvement ivoirien des droits humains (Midh) rappellent ainsi, que plusieurs fosses communes n’ont toujours été exhumées. C’est le cas à Duékoué, où selon ces organisations, des fosses communes à l’entrée de la ville, abriteraient « plusieurs centaines de corps ».
Avec notre envoyée spéciale à Guiglo, Bineta Diagne
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