Santé publique/Le Ppa-Ci démonte la réforme hospitalière du gouvernement

Première partie: Une réforme aux allures d’une privatisation de la santé

Le Ppa-Ci de Laurent Gbagbo a initié un espace de communication de ses idées appelé « La tribune du Ppa-Ci ». Cette tribune s’est intéressée, lors de sa dernière édition à la réforme des hôpitaux initiée par Aka Aouélé quand celui-ci était ministre de la santé. Pour le Ppa-Ci, cette réforme est inefficace. Il en donne les raisons par l’entremise du professeur Toutou Toussaint, vice-président en charge de la Santé.
Nous diffusons cette tribune pour nos lecteurs en trois parties en raison de la longueur du texte

(…)

Nous avons décidé, au PPA-CI, de jouer pleinement, sans faiblesse, notre rôle d’opposant en étant critique de l’action gouvernementale et en proposant des solutions alternatives crédibles qui nous préparent à l’exercice du pouvoir d’Etat. La Tribune du PPA-CI a été créée à cette fin. Dans un précédent numéro de la tribune, nous avons relevé les faiblesses du PND 2023-2025. Les prochains numéros seront consacrés à l’analyse critique de la feuille de route du gouvernement 2023.

A ce propos, le rendez-vous de ce jour va consister essentiellement à donner le point de vue du PPA-CI sur des éléments concernant la politique de santé du gouvernement, dans ce qui a été appelé la « feuille de route du gouvernement 2023 ».

Ainsi nous analyserons successivement :
1) La reforme hospitalière de la loi 2019-678 du 23 juillet 2019 assortie des décrets :

– 2021-465 portant organisation du Ministère de la santé, de l’hygiène publique et de la Couverture médicale,
– 2021-756 portant attribution, organisation et fonctionnement des établissements publics hospitaliers nationaux
– 2021-757 portant attribution, organisation et fonctionnement des établissements publics hospitaliers régionaux. Cette réforme a toutes les allures d’une privatisation de la santé.

2) Le programme de construction, réhabilitation, et d’équipement d’une cinquantaine d’établissements hospitaliers et de sic cent 600 centres de santé. Pour le PPA-CI ce programme présente de nombreuses insuffisances.

3) La formation des 80 médecins généralistes, a »la chirurgie « essentielles des sites »

elle que demandée aux districts sanitaires par le Directeur de la coordination du programme de la santé Mère-enfant. Le PPA-CI s’interroge sur la pertinence d’une telle proposition

I) La reforme hospitaliere
La loi n° 2019-678 du 23 juillet 2019 est le cadre juridique qui encadre cette réforme hospitalière.

Une réforme est un ensemble d’activités devant induire un changement structurant des modes de fonctionnement et de gouvernance des hôpitaux. Son but est d’améliorer la performance, l’efficacité, l’efficience et l’équité du système hospitalier qui doit garder sa mission sociale.

En effet, toute organisation qui fonctionne se dote de moyens d’évaluation, afin d’apprécier les résultats pour lesquelles elle a été mise en place. Dans le cas d’espèce, cette réforme succède à celle de 2001. Pour explication, une première réforme avait été faite en 2001 par feu le Pr N’dori ministre de la santé de SEM Laurent Gbagbo. Cette réforme ne concernait, dans un premier temps, que les hôpitaux de niveau notamment les CHU qui sont la vitrine du système de soins. Elle proposait un changement de gouvernance dans l’administration des hôpitaux. L’administrations financière des CHU à cette époque posait de nombreux problèmes. A défaut de personnel qualifié à cette fin, la gestion des hôpitaux faisait l’objet de plusieurs expériences. A quelques exceptions près, les Administrateurs des services hospitaliers, formés d’abord à Rennes puis à l’ENA de Côte d’Ivoire n’assuraient pas la totalité des besoins en personnel qualifié pour diriger les hôpitaux. C’est pour l’on a assisté à cette période à ce que l’on pourrait appeler la « valse des directeurs » avec l’ère des militaires suivie de l’ère des préfets. L’affaire dite des « 18 milliards de l’UE détournés » va mettre à nue les faiblesses de ces expériences managériales.

C’est la raison pour laquelle la réforme 2001 mettait le médecin traitant au centre des décisions en le nommant Directeur Général (article 10) et Directeur Médical et scientifique après lui avoir fait apprendre les rudiments de la gestion administrative (6 mois d’études et de stage au CAMPC). En outre une Commission Médicale d’Établissement (CME) et un Directeur des Soins Infirmiers (DSI) accompagnaient la DMS et la CME pour la planification, la conception du Projet d’Établissement, ainsi que pour la planification de la Formation Continue. Dans cette réforme, si le DG restait l’ordonnateur, le contrôle de l’état se faisait par un contrôleur budgétaire et un Directeur Administratif et Financier, 2 fonctionnaires du Ministère de l’économie et des finances.

Au total cette réforme, en donnant une place prépondérante au médecin soignant par rapport au financier (qui par déformation professionnelle résume tout en gain), voulait d’abord privilégier le bien-être du patient par rapport aux résultats purement économiques, dans la droite ligne de la politique socialiste prônée par l’ex FPI de SEM Laurent Gbagbo. En effet qui mieux que le médecin traitant peut prétendre connaître et/ou comprendre les problèmes physiques, psychiques et environnementaux de son patient ?

A ce stade de notre propos les questionnements suivants se posent à nous : Cette réforme de 2001 avait-elle péché dans sa gouvernance ? Cette réforme de 2001 n’avait-elle pas atteint les objectifs attendus ?

Les réponses à ces préoccupations sont d’autant plus importantes qu’elles peuvent permettre de comprendre ou non la pertinence de la mise en route d’une nouvelle réforme.

1) la réforme de 2001 a-t-elle péché dans sa gouvernance ?

Nous pouvons répondre non car le mode de gestion dans l’organigramme de la nouvelle réforme portée par la loi 2019-678 du 23/07/2019, ne diffère pas de celui du décret de 2001 en dehors de l’article n° 71 qui stipule maintenant que le Directeur est nommé après appel à candidature (ce qui ouvre la candidature à tous financier, médecin ou pas).

Toutes les entités dirigeantes : le Directeur général, le Directeur Médical et scientifique ou encore la Direction des soins infirmiers sont maintenues. Le système de gestion n’a pas changé non plus

2) la réforme de 2001 n’avait-elle pas atteint ses objectifs ? À savoir la réactivité des établissements dans la prise en charge des affections courantes et l’offre de service de qualité et de la modernisation du service public.

A cette question notre réponse est mitigée parce que, à la vérité si les prestations de soins étaient de si mauvaise qualité dans nos centres hospitaliers de type II et III, l’explication venait en grande partie des conséquences de la rébellion armée.

a) en zone CNO

Pendant la rébellion et la période post-rébellion immédiate, toutes les infrastructures administratives et sanitaires ont subi beaucoup de dégâts. La vérité est qu’elles ont été vandalisées, le matériel de construction abîmé, arraché ; les équipements volés. Les ressources humaines ont fui leurs postes pour préserver leurs vies et celles de leurs familles. Il n’y avait pratiquement plus de structures sanitaires en dehors des ONG.

b) en zone gouvernementale

On peut facilement comprendre que la réforme n’a pas eu les résultats escomptés en terme de service de qualité parce que le déplacement des populations des zones occupées par la rébellion vers les zones gouvernementales a bouleversé toutes les prévisions en termes de prise en charge des malades. La demande dans cette zone s’est trouvée plus grande que l’offre. Malgré cela, la réforme de 2001 a permis d’amortir le choc né du déséquilibre entre la demande et l’offre dans un contexte difficile. L’état de guerre a eu également pour conséquence de retarder le programme d’investissement qui devrait soutenir la réforme de 2001.

Plus de 12 ans après la prise du pouvoir, le RHDP n’a pas pu élaborer une politique pour juguler les conséquences de sa rébellion au niveau sanitaire. Nous en voulons pour preuves les différents chiffres donnés par le rapport annuel sur la situation sanitaire (RASS 2020, éd. 2021) :

Or :

– en 2019 seuls 45 % des districts sanitaires avaient un ratio au-dessus de la norme concernant les ESPC.
– 30% des populations sont à plus de 5 km des centres de santé
-647 décès/1000 accouchements, des mortalités infanto-juvéniles, et néonatales respectivement élevées à 79/1000 et 30/1000. L’un des taux les plus élevés d’Afrique.
-une espérance de vie autour de 54 ans :l’une des plus faibles d’Afrique
-en 2020 aucune région sanitaire n’avait atteint la norme exigée de 23 personnels de santé toute qualification confondue/10 000 hbts. La densité nationale reste très basse, autour de 9.

Si ces évènements cités précédemment n’avaient pas existé, il aurait été facile de juger objectivement la performance de la réforme 2001. Or, ces évènements ont été réels et ont impacté la performance de cette réforme.

Au total on peut retenir sur ces 2 questions, que la gouvernance n’était pas en cause et que la performance avait été impactée par des évènements imprévus. Donc nous nous posons la question de savoir pourquoi une réforme d’une telle envergure qui, d’un tenant touche à toutes les structures hospitalières qu’elles soient universitaires, régionales ou privées ?

Le PPA-CI se demande, comment un pays qui a, à la fois, un indice de développement aussi mauvais (classé 165e sur 169 pays) que ses indicateurs de santé (181e sur 195 pays classés), ne peut-il pas comprendre que la priorité pour ses populations c’est :

– l’accès facile aux soins de santé
– l’accès facile aux médicaments de 1ère nécessité
– un environnement et une hygiène de vie satisfaisants
– vivre avec une ration alimentataire suffisante et équilibrée quotidienne.

Le PPA-CI se demande si nos gouvernants vivent dans un autre monde. Ou si le bien-être du peuple n’est pas le premier de leur soucis. Le PPA-CI dénonce ce manque d’égard des gouvernants envers les populations. Sinon comment comprendre cette réforme hospitalière d’envergure, à la fois, sur le public et le privé au détriment de mesures simples, urgentes qui consistent à équiper progressivement et de manière planifiée les nombreuses structures sanitaires des districts en manque de personnel, de laboratoire de microbiologie, d’imagerie et même d’ambulances; avant de penser à une réforme hospitalière qui si elle était faite, devra être progressive .

Le RASS 2020 éd. 2021 est clair à ce sujet. On note

– 96 services d’imagerie (SI) sont répertoriés sur le territoire national pour les établissements publics soit un ratio de 1 SI/339 148 hts avec les pires ratios dans le Tonkpi, le Nawa et Abidjan.
– seuls 40 % des districts sanitaires ont atteint la norme d’1 médecin/ 10 000 hbts.
– 1 bloc opératoire fonctionnel pour 218 624 hbts
– 1 laboratoire de microbiologie/110 680 hbts.
– 1 ambulance pour environ 4 établissements sanitaires
– de nombreux districts sanitaires de taille n’ont ni bloc, ni service d’imagerie, ni laboratoire pour fonctionner de manière adéquate et continuent d’évacuer les malades qui auraient pu être traités sur place à condition que les parents en aient les moyens. Ce sont Korhogo 2, Botro, Transsua, Téhini, Doropo etc.

A l’analyse de ces renseignements donnés par les services du gouvernement lui même, point n’est besoin d’être un spécialiste de la planification pour situer les vraies priorités du système sanitaire Ivoirien. Ces priorités ne sont pas d’entreprendre maintenant, illico presto, une réforme sur les hôpitaux généraux et nationaux mais d’améliorer d’abord les piliers du système à savoir:

– la gouvernance
– les infrastructures et l’organisation des soins
– le stockage et le circuit des médicaments
– le système d’information médicale
– la recherche médicale.
– le système d’assurance et de sécurité sociale.

Ailleurs, concernant cette réforme le PPA-CI s’interroge sur certains articles, en particulier les n° 30, 31, de la section 10 et le 49 concernant la coopération inter-hospitalière.

Article n° 30: l’EPH conclue avec des EHP qui participent ou non au service public, des accords pour 1 ou plusieurs objectifs leur permettant d’améliorer la qualité de leur prestations.

Article n°31: dans le cadre des missions qui lui sont imparties, l’EPH peut participer à des actions de coopération inter-hospitalière nationale ou internationale avec les personnes morales de droit public ou privé.

Article n° 49: l’EHP peut être admis à assurer l’exécution du service public hospitalier par une convention de délégation. Les modalités d’exécution du service public hospitalier sont définies par décret.
De tout temps la coopération a existé dans notre pays et elle se faisait entre les ministères concernés des pays en particulier les ministères de la santé, de l’enseignement supérieur. C’est cette coopération entre états qui a fait ses preuves et qui à permis l’excellente formation de la plupart des cadres du pays.

Le PPA-CI s’interroge, puisque la coopération entre états a toujours bien fonctionné depuis les indépendances. À quoi obéit ce nouveau type de coopération avec des structures privées internationales?

Est-ce pour laisser la gestion des hôpitaux publics progressivement aux mains d’entités privées? Est-ce pour qu’à moyen, ou long terme, l’état se désengage de la gestion des hôpitaux publics? Ce qui ne rendrait plus le droit à la santé équitable pour tous, étant entendu qu’un privé n’a jamais été un mécène et que la recherche du bénéfice est son objectif principal.

Si c’était l’objectif inavoué de cette réforme, nous tenons à rappeler aux gouvernants actuels que la constitution de 2016 dispose en ses articles 9 « toute personne a droit à l’éducation, à la formation professionnelle. Toute personne a également droit à un accès aux services de santé » et 32 «l’état s’engage à garantir les besoins spécifiques des personnes vulnérables. Il prend des mesures nécessaires pour prévenir la vulnérabilité des enfants, des femmes, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Il s’engage pour ces personnes à garantir l’accès aux services de santé, l’éducation, à l’emploi à la culture ; au sport et aux loisirs ».

– En vertu des dispositions de la constitution, le PPA-CI ne saurait tolérer cette énième mesure de privatisation qui s’annonce à l’horizon, dans un secteur clé comme celui de la santé.
– Il dénonce la violation du droit à la santé que cette réforme dans ses articles n° 30, 31, et 49 peut entraîner à terme pour les Ivoiriens.
– Il reste solidaire des organisations de la santé qui à l’annonce de la réforme s’étaient posé la question de savoir s’il ne s’agissait pas d’une privatisation qui ne dit pas son nom.

Enfin le PPA-CI propose:

1) de redresser de manière prioritaire et urgente les piliers du système sanitaire que le RHDP a construit lamentablement depuis 21 ans, faisant avouer récemment à son 1er responsable de la santé que le système était à l’agonie. Ces piliers essentiels sont nous le répétons:

– la gouvernance
– les infrastructures et l’organisation des soins
– le stockage et le circuit des médicaments
– le système d’information médicale
– la recherche médicale.
– le système d’assurance et de sécurité sociale.

2) de retirer les articles 30, 31, 49 dans la réforme.

3) de n’effectuer aucune réforme des hôpitaux privilégiant l’apport de partenaires privés au détriment des prérogatives régaliennes de l’Etat.

Source : Service communication Ppa-Ci

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