Certaines personnes prennent l’insoumis pour un indiscipliné, un anarchiste, un rebelle, quelqu’un qui refuse de se soumettre. Telle est aussi la définition du dictionnaire « Larousse ».
La limite principale de cette définition, c’est qu’elle ne nous dit pas pourquoi et à qui ou à quoi X ou Y refuse de se soumettre. Pour moi, l’insoumis ne conteste pas pour contester, ne dit pas « non » pour le plaisir de dire « non », ne s’installe pas dans une contestation permanente et injustifiée.
L’insoumis freine des quatre fers face à des lois scélérates ; il se cabre lorsque sont prises des décisions injustes ; il s’insurge contre tout ce qui ne va pas dans le sens de l’intérêt général ; il s’oppose aux choix ou mots d’ordre qui ne sont pas en conformité avec les statuts et règlement intérieur qui régissent le groupe auquel il appartient : mouvement associatif, parti politique, communauté religieuse, syndicat, etc. Pour lui, vivre « sans être en mesure d’inquiéter qui que ce soit en quoi que ce soit” (P. Bourdieu) n’a aucun intérêt. L’insoumis se rebelle contre le faux, le mensonge, le conformisme, le culte de la personnalité et toute forme de dictature. Les paroles du genre « le chef a dit, le chef ne veut pas ceci ou cela » glissent sur lui comme l’eau glisse sur le dos d’un canard quand il s’aperçoit que les soi-disant envoyés du chef poursuivent leur propre agenda, travaillent non pour le chef mais pour eux-mêmes.
Bref, avant de s’engager, avant d’obéir, l’insoumis veut voir clair, comprendre, être convaincu. C’est pourquoi on peut affirmer que son obéissance n’est jamais aveugle, qu’il « refuse la force qui veut le soumettre » (Tzvetan Todorov dans « Libération » du 1er janvier 2016). La notion d’insoumis comporte ainsi une charge positive chez l’historien français d’origine bulgare. Il en va de même dans l’ouvrage « Le Journal » où, en 1946, André Gide écrivait ceci : « Le monde ne sera sauvé, s’il peut l’être, que par des insoumis. Sans eux, c’en serait fait de notre civilisation, de notre culture, de ce que nous aimions et qui donnait à notre présence sur terre une justification secrète. » C’est effectivement à eux, insoumis et insoumises, que nous le devons si notre monde a accouché de changements majeurs. Leur capacité de ramer à contre-courant a permis à l’humanité d’accomplir un saut qualificatif.
Dresser leur liste serait une véritable gageure. Ici, je voudrais ne citer que le Nazaréen Jésus guérissant des malades le jour du sabbat, l’Allemand Karl Marx dont l’ouvrage culte « Le Capital » reste à ce jour la meilleure critique du capitalisme, le Russe Alexandre Soljenitsyne qui en décrivant dans « L’archipel du goulag » le système carcéral communiste contribua à ébranler les fondements du régime soviétique, les Ivoiriennes Marie Koré et Anne-Marie Raggi prônant le boycott d’achat des produits français et marchant, les 22, 23 et 24 décembre 1949, sur la prison civile de Grand-Bassam afin d’obtenir la libération des dirigeants du RDA arbitrairement incarcérés. Je songe aussi à l’Argentin Ernesto Che Guevara, au Cubain Fidel Castro, au Français Émile Zola, auteur d’une lettre ouverte adressée au président de la République française d’alors et intitulée « J’accuse », pendant l’affaire Dreyfus, à l’écrivain camerounais Mongo Beti qui n’eut de cesse de pourfendre la mafia foccartiste en Afrique et l’emprise excessive de la France sur ses anciennes colonies.
Norbert Zongo et Martinez Zogo, sauvagement assassinés parce qu’ils enquêtaient sur des scandales, font partie des insoumis dont l’Afrique peut être fière.
Jean Claude DJEREKE
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