La France, et plus généralement l’Occident doivent prendre conscience que la situation en Afrique a changé, et que l’époque où leurs méthodes et leurs projets prévalaient est déjà révolue, expose le général de corps d’armée Bruno Clément-Bollée dans une tribune au « Monde ». Un changement d’approche est impératif.
Il y a quatre ans, j’expliquais dans les colonnes de ce journal qu’en Afrique, des signes montraient clairement que nous changions d’époque et qu’il serait de notre intérêt d’en tenir compte sous peine d’y rencontrer de sérieuses difficultés. Décalée, notre approche exaspérait nos partenaires africains, qui finiraient par recourir à d’autres solutions. Bref, nous n’étions pas incontournables ; or l’intérêt partagé nous commandait de rester présents. Je recommandais de revisiter notre regard, notre rapport à l’autre, nos modes d’action et l’image que nous projetions sur le continent. Depuis, sur le terrain, les événements se précipitent, et ne m’ont hélas pas donné tort.
« L’Afrique aux Africains », si je pressentais à l’époque l’importance du message, j’étais loin d’en mesurer alors toute sa profondeur. Elle est colossale !
Sur le plan historique, nous sommes tout simplement en train de changer d’époque, passant d’une Afrique dominée à une Afrique souveraine. Cela se déroule sous nos yeux, mais peu le comprennent : nous refermons en ce moment une très longue période, démarrée avec la colonisation, de domination marquée et ininterrompue du continent par des acteurs extérieurs.
L’histoire des autres
Trois phases ponctuent cette période de l’Afrique dominée. La colonisation d’abord, période relativement courte – à peine soixante années –, mais aux effets très lourds. L’histoire africaine est confisquée ; le continent n’est plus maître de son destin, sommé d’intégrer l’histoire des colonisateurs. L’Afrique des empires et des royaumes est effacée au profit d’une organisation méthodique et rationnelle imposée de l’extérieur et gérée par les nouveaux occupants. Premier traumatisme, majeur.
Lors des indépendances, l’Afrique doit intégrer deux notions fort éloignées des réalités prévalant avant la colonisation : une organisation sous forme d’Etat et la mise en place de frontières formelles. De plus, à la même époque, la planète fait l’expérience de la guerre froide, placée sous l’étrange et terrible équilibre de la terreur imposé par les deux grands. L’Afrique indépendante éprouve alors une sous-traitance de cette guerre où les grands s’affrontent par pays africains interposés. Une fois encore, l’Afrique vit l’histoire des autres sur son propre sol. Deuxième traumatisme, cuisant.
A la fin de la guerre froide, en 1990, l’Afrique récupère son destin, enfin. Mais dans un monde de plus en plus interdépendant, des conditions contraignantes lui sont d’emblée signifiées quant aux aides à son développement. A La Baule [lors du 16e sommet franco-africain], les pays apprennent qu’ils ne seront aidés qu’à l’aune du degré de démocratie qu’ils auront intégré dans leur système politique. A bon entendeur, salut ! Le monde et ses règles sont encore pensés et imposés par l’Occident. Troisième traumatisme, humiliant.
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