En 2022, les Banques centrales des pays africains ont suivi l’exemple des économies avancées en augmentant leurs taux directeurs avec peu ou pas d’effets visibles sur l’inflation. Pour la BAD, cet outil traditionnel seul ne saurait réguler une hausse des prix, essentiellement importée.
En Afrique, les mesures de politiques monétaires doivent être combinées à des mesures de politiques fiscales et structurelles pour faire efficacement face à l’inflation. C’est ce qui ressort d’un rapport publié par la Banque africaine de développement (BAD) jeudi 19 janvier.
Dans ses nouvelles « perspectives macroéconomiques de l’Afrique », l’institution indique qu’à elles seules les politiques monétaires des banques centrales ne réussiront pas à réguler les hausses des prix. Pour être efficaces, celles-ci doivent s’ajouter à des mesures de politiques audacieuses telles qu’une coordination efficace des actions budgétaires et monétaires afin d’optimiser les résultats d’une intervention politique ciblée, un renforcement de la résilience par la stimulation du commerce intra-africain, des réformes structurelles pour renforcer la gouvernance et stimuler les performances de l’administration fiscale.
A cela doit s’ajouter un soutien renforcé aux populations les plus vulnérables, une gestion des réserves de change pour réduire la volatilité des taux de change et renforcer la compétitivité des exportations, ainsi qu’un « resserrement opportun et agressif de la politique monétaire dans les pays où l’inflation est aiguë, et un resserrement prudent dans les pays où les pressions inflationnistes sont faibles ».
Ces recommandations font suite à un bilan dressé par l’institution panafricaine sur les causes de l’inflation dans les pays africains en 2022. Bien que les réalités restent différentes d’un pays à l’autre, les conclusions des experts de la Banque indiquent que l’inflation africaine est essentiellement importée.
« En Afrique, l’inflation moyenne des prix à la consommation aurait augmenté de 0,9 point de pourcentage pour atteindre 13,8 % en 2022, contre 12,9 % en 2021, son niveau le plus élevé depuis plus d’une décennie », précise la BAD. « L’inflation élevée et persistante en Afrique reflète des facteurs intérieurs tels que des dépenses expansionnistes d’investissement public et, plus important encore, l’effet direct de l’inflation importée, principalement alimentée par des facteurs extérieurs, tels que la hausse des prix du pétrole et des denrées alimentaires, et aggravée par les perturbations de la chaîne d’approvisionnement », ajoute-t-elle.
Hausse des taux directeurs : un remède trop classique à un mal complexe ?
Bien qu’elles reconnaissent l’impact de la guerre en Ukraine sur leurs niveaux d’inflations, les Banques centrales africaines ont suivi l’exemple des économies avancées et ont durci leur politique monétaire en augmentant les taux directeurs pour maîtriser les pressions inflationnistes croissantes. Au Nigeria et au Mozambique, elles ont ainsi relevé leurs taux directeurs de 400 points de base en 2022. Cet outil est traditionnellement utilisé par les Banques centrales pour réduire la masse monétaire et contrer l’inflation.
Pourtant selon plusieurs experts, les causes de l’inflation actuelle dans plusieurs pays africains montrent qu’une surliquidité au sein des économies n’est pas directement en cause. A titre d’exemple, au Ghana où la Banque centrale a augmenté ses taux de 750 points de base, l’inflation a continué à grimper pour atteindre un pic de 54% à la fin décembre.
Comme le souligne un rapport d’Ecofin Pro sur « les dynamiques de l’inflation dans la zone UEMOA », la hausse actuelle des prix dans les pays africains est essentiellement liée à la dépendance de leurs économies envers les pays étrangers pour l’approvisionnement en produits de base. Une dépendance qui fait répercuter les perturbations des chaînes d’approvisionnements habituels sur les prix au sein de ces économies.
Changer de paradigme pour mitiger les risques
Non seulement cette politique de hausse des taux peine à réguler l’inflation, mais elle expose également les économies africaines à de nouveaux risques. « Cette politique monétaire agressive et restrictive a déclenché une vague de resserrement des conditions financières mondiales, exposant les marchés en développement et émergents à des sorties de capitaux potentiellement perturbatrices, mais aussi à des dépréciations de devises, qui ont augmenté le coût national du service de la dette libellée en devises étrangères », nous apprend le rapport de la BAD.
Compte tenu de la baisse de liquidités des marchés financiers, si des politiques plus audacieuses et plus transformatrices ne sont pas mises en œuvre, l’orientation actuelle de ces politiques monétaires agressives et restrictives pourrait entraîner, selon l’institution, une nouvelle baisse brutale des rendements des actifs dans les marchés émergents, sapant ainsi les perspectives de croissance à court et moyen termes.
« L’incapacité des taux directeurs plus élevés à atténuer les pressions inflationnistes implique donc la recherche d’instruments plus innovants pour faire face aux chocs non liés à la demande qui alimentent la vague actuelle d’inflation d’origine structurelle. Les pays devraient donc redoubler d’efforts pour accroître les disponibilités des denrées alimentaires au niveau national afin d’atténuer la pression des prix élevés des aliments importés sur l’inflation », indique la BAD.
Pour les prochaines années, l’institution table néanmoins sur un recul de l’inflation, bien que les hostilités en Ukraine restent fortement soumises à des risques d’escalade. Celle-ci devrait passer d’une moyenne de 13,8% en 2022 à 13,5% en 2023. Il devrait ensuite tomber à 8,8% en 2024, soit un niveau en dessous des 9,1% enregistré avant l’épidémie du coronavirus en 2019, et de la moyenne de 9,6% enregistrée entre 2014 et 2018.
Moutiou Adjibi Nourou
Ecofin
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