On nous a trop volés…

Et on nous vole toujours. Le 22 décembre 1932, Félix Houphouët-Boigny écrivait sous un pseudonyme dans le journal « Le trait d’union », un article dont le titre était « on nous a trop volés », dans lequel il s’insurgeait contre les injustices faites aux planteurs de cacao. C’est à partir de là qu’Houphouët-Boigny commença son combat contre le colonialisme qui aboutit, d’abord à l’abolition du « travail forcé », puis, plus tard, à l’indépendance de notre pays.

Nous sommes aujourd’hui en 2022, nous sommes indépendants, et on continue néanmoins de nous voler sans vergogne, pendant que nous sommes là, en train de prier dans nos églises et temples, pour que Dieu vienne nous délivrer. Un de ces vols est celui opéré par une compagnie de téléphonie mobile qui vous abonne à des jeux et proverbes débiles, ainsi qu’à des devinettes, sans demander votre avis. Et elle vous facture chacun de ces jeux à 100 francs la semaine. 100 francs par semaine, c’est indolore pour beaucoup d’entre nous, mais multipliez cela par les milliers, voire millions d’abonnés que nous sommes et vous aurez une idée de l’ampleur du vol. Combien d’entre vous ont réellement souscrit à ces jeux, et combien d’entre vous s’y intéresse vraiment ?

A quoi servent nos associations de consommateurs ? Quand je me suis renseigné, l’on m’a expliqué que j’ai dû m’abonner sans le faire exprès. Et que je n’ai qu’à me désabonner. Je ne me suis jamais, même dans un état inconscient, abonné à ces jeux. Mais on doit payer quelque chose pour se désabonner. Je voudrais demander humblement à la compagnie qui m’a abonné sans mon accord, de me désabonner, car à aucun moment je ne me suis abonné à ces jeux et devinettes idiots. Qu’elle m’apporte la preuve que je l’ai fait. Si elle ne le fait pas, j’utiliserai tous les moyens dont je dispose pour me faire entendre. Comme cette société est infiniment plus puissante que moi, je sais qu’elle gagnera. Mais on aura quand même eu le temps de se faire entendre. Déjà, je demande à tous ceux que l’on a abonné sans demander leur avis d’élever de vives protestations. Si nous sommes nombreux à hurler que nous en avons assez, nous finirons par nous faire entendre. Parce que trop, c’est trop et on nous a trop volés. Nous entrons en 2023 et certaines choses doivent s’arrêter.

Dans la même veine, je vous demande de comparer les prix des billets d’avions pour aller d’Abidjan à Paris, à ceux pour aller de Paris à n’importe quelle partie du monde. Même pour aller de Paris à Honolulu ou à Pékin, à l’autre bout du monde, ça coûte moins cher que de faire Paris-Abidjan ou n’importe quelle ville africaine. Pourquoi ? Parce qu’en Afrique, on a des gogos que l’on peut plumer autant qu’on veut, sans qu’ils ne se plaignent. Et pour nous, en tout cas pour une certaine classe sociale, ne pas aller en France est la pire des punitions. Ne pas y aller au moins deux fois dans l’année, c’est ne pas tenir son rang social. C’est se déclasser. Alors on est prêt à payer n’importe quel prix pour y aller. Je répète encore une fois. Que font d’autre nos associations de consommateurs, à part se regarder le nombril ?

Nous avons aussi une compagnie de télévision qui nous vend un bouquet de chaînes par satellite. Un Ivoirien qui se respecte se doit d’y être abonné. Même dans les quartiers les plus précaires, on s’arrange comme on peut pour y avoir accès, y compris en faisant des abonnements pirates. Comparez les prix des abonnements dans notre pays à ceux qui sont pratiqués dans le pays d’origine de cette chaîne, et même dans d’autres pays africains, et vous verrez. Il n’y a pas photo. On nous vole. Et c’est cette compagnie qui fait la pluie et le beau temps dans le monde audiovisuel dans notre pays. Ses désirs sont des ordres. Pourquoi on nous fait ça ? Parce qu’on nous prend pour des imbéciles et visiblement, ils n’ont pas tort. Les Ivoiriens croient qu’ils ne peuvent pas regarder leurs chaînes nationales sans passer par ce bouquet. Ils ont tort. Il leur suffit simplement d’avoir le kit TNT pour avoir, gratuitement, sans aucun abonnement ni piratage, les sept chaînes ivoiriennes. Est-on obligé de regarder les autres chaînes que ce bouquet nous propose ?

Je crois qu’il est temps que nous nous réveillions un peu et que nous commencions à dire non à ces vols systématiques et éhontés dont nous sommes les victimes. Arrêtons de laisser les autres nous prendre pour des pigeons. Il ne s’agit pas d’aller en guerre contre qui que ce soit. Il s’agit de dire : « on nous a assez volés, et ça suffit. » Si vous avez lu l’histoire de Gandhi ou regardé le film qui porte son nom, vous verrez comment le leader indien a vaincu la toute puissante Grande Bretagne. En refusant simplement de consommer les produits anglais. Gandhi avait organisé une longue marche, suivi par tous ses partisans, pour aller jusqu’à la mer, afin de fabriquer lui-même son sel. Puis il a tissé lui-même son habit traditionnel. Et il a été imité par tous les Indiens, qui étaient déjà des centaines de millions à l’époque. Et l’économie britannique qui dépendait en grande partie de ce qu’elle tirait de ce pays s’en est ressenti, à tel point que les Anglais ont dû reculer. Et jusqu’à présent, les Indiens s’habillent toujours dans leurs tenues traditionnelles. Ce qui ne fait que du bien à leurs planteurs de coton. Tirons en les conclusions qui s’imposent. La première est que nous ne sommes pas obligés de subir le diktat de ces sociétés. La seconde est que nous devons leur faire savoir d’une façon ou d’une autre que nous ne sommes plus des pigeons. Si cela est vrai.

Venance Konan

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