La guerre pensait Clémenceau, « est une chose trop grave pour la confier à des militaires ». Notre siècle l’a compris ! Enfin, pas tel qu’il l’aurait fallu, que nous le fissions, mais il l’a tout de même compris. Ses guerres, il les fait d’abord valider par le bon peuple, via les nouveaux fantassins circonstanciels que sont devenus les journalistes. Les férus de nuances et précisions préféreront que l’on dise, certains journalistes ou médias. Soit !
Pour certains spécialistes, Pierre Conesa notamment, le grand tournant fut la guerre du Vietnam (1955-1975), qui prit fin en partie grâce à la grande mobilisation des opinions publiques qui la rejetèrent. Depuis, ‘’justes’’ ou injustes fussent-elles, les guerres, devraient d’abord être acceptées par elles. Ces dernières devraient être travaillées et conditionnées, afin qu’elles les approuvent, en supportent les conséquences sans révoltes, et s’actionnent dans certains cas pour son déroulement ‘’paisible’’. Les journalistes, pièces-maitresses de ce changement d’attitude, sont de ce fait devenus de véritables coryphées d’Arès.
Ce travail d’adoubement de la guerre par les masses, est dévolu au tandem média-intellectuels. À ces derniers-les intellectuels – Pierre Conesa consacre son dernier ouvrage, vendre la guerre (Mai 2022). Leur activisme pervers et belliqueux, au bilan humain catastrophique, l’auteur le décrit sous l’appellatif de complexe militaro-intellectuel. C’est à lui qu’échoit la tâche de javelliser les guerres, afin de nous les vendre. Procéder à La fabrique de consentement(1988), pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Chomsky, dont nous nous inspirons pour nommer ce texte. Voici présentée, la tâche du complexe militaro-intellectuel.
Or, fabriquer le consentement des masses, se réalise parfois par des moyens pervers. Ces populations dont le consentement doit être acquis, sont alors manipulées, trompées par les médias. Elles sont tout simplement tour à tour, objet et sujet d’une véritable propagande de guerre. C’est selon la fameuse formule de Talleyrand : « agiter le peuple avant de s’en servir ». S’en servir pour justifier les guerres, démoniser un adversaire, minimiser les crimes dont on est soi-même responsable…
Dans les lignes qui suivront, il sera donc question pour nous, de lister à titre illustratifs, certains cas de manipulations médiatiques (médiamensonges), propagande, ayant servi à justifier des guerres, ou des postures bellicistes. Avant, évoquons brièvement les règles de la propagande de guerre.
À ce propos, nous nous contentons d’énumérer en les reformulant parfois, les dix règles de la propagande de guerre, telles que données par l’historienne Belge Anne Morelli dans son ouvrage Principes élémentaires de la propagande de guerre (2001). Il s’agit d’affirmer que nous ne nous adonnons à la guerre que par contrainte, nous ne la voulions pas (1), conséquemment l’adversaire est à lui seul responsable du conflit (2), il faut donc le diaboliser ou démoniser, son chef en l’occurrence (3), notre réaction-guerre- parce que menée contre le ‘’diable’’, ‘’l’axe du mal’’ est noble et non mue par des intérêts particuliers (4), si les atrocités de l’ennemi elles sont volontaires, les nôtres, du haut de notre noblesse, sont juste des bévues (5), certaines des armes que ‘’le démon’’ utilise sont d’ailleurs non autorisées (6) (chimiques par exemple), nonobstant cela, nos pertes sont moindres, comparées aux siennes (7), notre guerre est en outre soutenue par le monde médiatique et intellectuel (8), elle est d’ailleurs sacrée (9), dès lors ceux qui ne la soutiennent pas sont des traitres (10), des vendus, renégats à vouer aux gémonies.
En applucation de ces règles, voici dix cas de propagandes, mensonges, manipulations médiatiques… ayant eu lieu dans l’histoire récente. Puisque nous serons sommaires, le lecteur qui le souhaite, pourra par lui-même approfondir sa culture sur ces cas et tant d’autres du même genre.
1-L’incident du golf de Tonkin (2 au 4 Août 1964)
Inventé de toute pièce par l’administration Johnson (36ème président Américain) pour intensifier et justifier la guerre des États-Unis contre le Vietnam, l’attaque par les nord-vietnamiens de deux destroyers (Uss Maddox et Uss Turner) américains n’eut jamais lieu. C’était une fable.
2-Affaire des charniers de Timisoara (Décembre 1989)
Lors de la révolution en Roumanie ayant mis fin au régime communiste du dictateur Ceausescu, plusieurs dizaines de corps sont retirés des morgues de Timisoara, puis présentés par les médias, comme étant victimes des massacres commis par le régime du dictateur. C’était une manipulation.
3-Affaire des couveuses de Koweït (Octobre 1990).
Elle est intervenue lors de la première guerre du Golfe (1990-1991), déclenchée par l’invasion du Koweït par l’Irak. Montée par une firme de relation publique américaine (Hill and Knowlton), elle mit en scène la fille de l’ambassadeur de Koweït au Usa, qui témoigna devant le congrès américain, de la destruction/le vol par les soldats irakiens de couveuses, laissant ainsi mourir les bébés.
4- La fausse interview de Ppda à Castro (15/16 Décembre 1991)
Sensée avoir été réalisé le 15 décembre 1991 par les équipes de Tf1 et son présentateur vedette Patrick Poivre D’avor, l’interview passée au 20h du 16 décembre 1991, montre ce dernier posant des questions au leader Maximo Fidel Castro. Il ne s’agissait que d’une manipulation, Ppda ne fut jamais en tête à tête avec Castro, il s’était fait plutôt filmé seul par son équipe, puis avait manipulé et accolé les images, afin de laisser croire à une interview entre lui et le président cubain.
5- Les massacres de Raçak (15 janvier 1999)
Intervenus lors de la guerre du Kosovo (1998-1999), dans la localité kosovare de Raçak. Il s’agirait du massacre de 45 civils albanais par les Serbes pendant cette guerre. Plus tard dans ses mémoires, la légiste finlandaise Meri Helena Ranta qui dirigea à l’époque l’équipe d’enquête légiste, affirma qu’il n’eut pas de massacre et qu’elle subit des pressions afin de déclarer le contraire.
6- Le mensonge de Colin Powell à l’Onu (05 février 2003).
Sans doute le plus connu des récents mensonges de guerre, il précéda l’invasion américaine de l’Irak. Colin Powell présenta à l’Onu une fiole sensé démontrer l’existence d’armes de destruction massive dans l’Irak de Saddam Hussein. Ces fameuses armes ne furent jamais trouvées, elles n’ont tout simplement jamais existées.
7-Quand les médias déforment les dires d’Ahmadinejad (Octobre 2005)
Président de la république islamique d’Iran (2005-2013), le président Mahmoud Ahmadinejad est un considéré comme un extrémiste. Pas très conciliant à propos du nucléaire iranien, il est connu pour son adversité farouche à Israël. Lors d’une conférence organisé en 2005, il aurait promis « railler Israël de la carte ». Repris en boucle, cette phrase ne fut jamais prononcée par le leader iranien. Ce dernier aurait plutôt dit : « imam a dit que le régime occupant Jérusalem devrait disparaitre de la page du temps ». Cette phrase est peut-être tout aussi grave, mais elle est loin d’être celle reprise en boucle par les médias. L’explication qu’en donnèrent les iraniens, était d’ailleurs autre que celle qu’en donnaient les médias et commentateurs.
8- Quand l’Afp déforme Hugo Chavez (Janvier 2012)
Alors en visite au Venezuela du président Hugo Chavez (1999-2013), Ahmadinejad et lui s’entretiennent sur le perron du palais de Mirafloes à Caracas capitale du Venezuela. Chavez aurait alors dit : « Ahmadinejad et moi, depuis le perron du palais présidentiel viseront Washington avec des canons et des missiles, parce que nous allons attaquer Washington ». L’Afp avait juste coupé et transformé le discours du président Chavez, afin de nourrir la propagande de guerre contre lui. Prise la main dans le sac, elle retira la vidéo et prétendit timidement à une erreur. La vraie phrase de Chavez était plutôt celle-là : « Les porte-paroles de l’impérialisme, les médias de l’impérialisme, et leurs laquais dans ces pays le répètent comme des perroquets que l’Iran et le Venezuela, que Ahmadinejad est à Caracas, car en ce moment même à 2h30 de l’après-midi, nous allons Ahmadinejad et moi, pratiquement depuis le sous-sol, du palais présidentiel Mirafloes ajuster nos tirs en direction de Washington et que vont sortir de là, de grands canons et des missiles, car nous allons attaquer Washington. C’est pratiquement ce qu’ils disent. Ou que la colline où sont les journalistes juste là, va s’ouvrir comme ça et qu’une grande bombe atomique va sortir. C’est pratiquement ce qu’ils disent, et ça nous fait rire. Mais cela nous met en alerte également. »
9- L’affaire des viagras distribués par Kadhafi à ses soldats (Avril 2011)
Énième épisode des printemps arabes, la crise Libyenne de 2011 a fait tourner à plein, la machine de propagande de guerre. Une séquence de cette propagande a sans doute été, la supposée distribution de viagras par Kadhafi à ses soldats, afin que ces derniers violent des femmes, commettant ainsi des crimes de guerres. La guerre une fois terminée, le leader libyen assassiné, aucune enquête n’a pu démontrer l’existence d’une telle pratique. Pis, il s’est avéré qu’elle n’a été qu’une pure invention reprise en boucle par les médias, dans l’objectif de discréditer le guide la jamahira.
10- L’incroyable opération Northwoods contre Cuba (1962)
Précisons avant toute chose, que cette opération heureusement ne fut pas réalisée. Nous exemplifions notre texte d’elle néanmoins, afin de démontrer s’il le fallait, que pour atteindre leurs objectifs, les puissances, quelles qu’elles soient, ne reculent devant aucune inhumanité.
Concoctée sous l’administration Kennedy qui la refusa, il s’agissait dans l’unique objectif d’en finir avec le régime castriste, de commettre des actes répréhensibles, allant jusqu’au meurtre de civils et militaires américains, puis d’en accuser Cuba.
C’est sur ce dernier exemple parmi nombreux autres, que terminons notre halte au cœur des médiamensonges, des faits de propagande de guerre, fake news, manipulations médiatiques…
Devrons-nous à partir de précédents exemples, rejeter les médias, ou les journalistes ? Avoir le reflexe complotiste ? Loin s’en faut ! Les journalistes et les médias, nous en avons besoin. Certains sont même vitaux au maintien de la démocratie, la vraie. En effet, que serons-nous sans Julian Assange, Edward Snowden, Chelsea Manning, Glenn Greenwald, Walter Delgatti… ? Quelle démocratie fade serait la nôtre, si nous n’avions pas ces nombreux journalistes d’investigation, de terrain et de culture qui font un travail formidable.
La visée de notre propos est juste d’alerter les citoyens sur le fait que les temps de guerre-même froides, sont aussi des temps de manipulation de masses, pour faire accepter les conflits, qui parfois n’auraient jamais lieu si nous n’avions pas été précédemment convaincus et vaincus par la propagande savamment menée.
Ouvrons nos journaux, allumons nos télés, mais surtout nos cerveaux. Demeurons prudents, croisons les informations, re-vérifions-les, réinvestissons l’histoire, lisons les cartes, convoquons la géopolitique, refusons le prêt à penser médiatique, afin que nos consentements ne soient pas fabriqués selon la célèbre formule.
Ali Savané-Sy
Juriste écrivain
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