La deuxième semaine d’audience au Tribunal criminel d’Abidjan a été consacrée à l’audition de deux des quatre accusés présents et aux premiers témoins.
Par Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
La deuxième semaine du procès de l’attentat terroriste qui a fait 19 morts et 33 blessés à Grand-Bassam le 13 mars 2016 s’est poursuivie en donnant la parole aux deux derniers accusés présents au Tribunal criminel d’Abidjan et à plusieurs témoins. Le 7 décembre, Hantao Ag Mohamed Cissé et Hassan Barry ont notamment été interrogés sur leur relation avec Abdallah Kounta, dit « Kounta Dallah », suspecté d’être l’un des cerveaux de l’affaire. La cour avait déjà entendu en première semaine les dépositions de Mohamed Cissé et de Sidi Mohamed Kounta, accusés d’être respectivement le chauffeur et l’hébergeur de Kounta Dallah.
Hantao Ag Mohamed Cissé est un boutiquier abidjanais originaire du Mali, voisin et ami de Sidi Mohamed Kounta. Son français est suffisamment hésitant pour que l’avocat de la défense, Eric Saki, demande le recours à un traducteur, demande rejetée par le juge : « il l’a dit lui-même, il se débrouille ». M. Cissé aurait effectué des repérages sur la plage de Grand-Bassam en amont de l’attentat, ce qu’il nie.
Oui, il s’est bien rendu à « Bassam » au début de l’année 2016, en compagnie de Sidi Kounta. Oui, ils étaient accompagnés de deux autres hommes, Kounta Dallah et Mohamed Ibrahim Ould. Non, il n’était pas au courant qu’il s’agissait de repérages : une simple excursion touristique, promet M. Cissé, pour une baignade entre amis.
« Je n’ai jamais tué quelqu’un de ma vie »
Après quoi, il jure n’avoir jamais revu les deux hommes : « Je n’ai jamais tué quelqu’un de ma vie. Je n’ai jamais fait de mal à personne. » Les 18 personnes inculpées dans ce procès doivent répondre des mêmes chefs d’accusation, sans échelonnement de gravité : « actes terroristes, assassinat, tentative d’assassinat, recel de malfaiteurs, détention illégale d’armes à feu et de munitions de guerre et complicité desdits faits ». Comme les cerveaux, les petites mains encourent la peine maximale, vingt ans de prison ferme.
C’est au tour de Hassan Barry de s’avancer à la barre. Il a 30 ans moins quelques jours, les épaules frêles dans une veste de costume trop grande pour lui, et est accusé d’avoir convoyé les armes utilisées pour l’attaque. La première question qui occupe les magistrats est celle de l’identité de l’accusé. S’agit-il de Hassan Barry, comme il l’a déclaré dans un second temps, ou du nom qu’il a donné lors de l’instruction préliminaire, Ange François Barri Battesti, dit « Sam » ? Ses explications sont laborieuses : le premier serait son nom de naissance, le second celui donné par ses parents pour lui confectionner des papiers pour l’Europe. Dès le début de sa déposition, le procureur l’interpelle : « Vous qui avez trompé les gens sur votre identité, vous pensez qu’on peut croire à votre parole ? »
Lui aussi nie tout. Il ne connaît pas Kounta Dallah, n’a jamais été à Grand-Bassam, répète-t-il. Il n’a côtoyé que Mohamed Ben Hamza et un certain Bakay, tantôt comme chauffeur, tantôt comme homme à tout faire ou comme ami, sa déposition n’est pas claire sur ce point. M. Barry connaît bien la Toyota Land Cruiser que conduisait Mohamed Hamza, et l’a lui-même conduite à plusieurs reprises, mais il dit n’avoir jamais vu d’armes. « Je ne pourrais jamais aider des gens à tuer des frères ivoiriens, c’est impossible ! Je n’ai jamais eu non plus d’accointances avec des jihadistes ! » Acerbe, le procureur lui rappelle que c’est M. Hamza qui a prêté main-forte à Kounta Dallah. « Ces personnes que vous avez fréquentées, côtoyées, ce sont ces personnes qui ont convoyé à Bassam ceux qui sont venus tuer “vos frères ivoiriens”, comme vous les appelez. » Il est 17 h 35, la parole est aux témoins.
16 civils tués par le commando d’Al-Qaida
Les deux premiers sont des fonctionnaires de l’Etat, affectés aux affaires nationales portuaires de Grand-Bassam. « On a d’abord cru à des braqueurs échappés sur la plage, puis à un militaire fou qui tirait sur la foule, rapporte le second, officier de permanence à Bassam le jour J. Et puis on a compris. » Il énumère les corps sans vie trouvés sur le sable. Les morts qu’il croise sont « surtout des Blancs », précise-t-il. Parmi les 16 civils tués ce jour-là par le petit commando d’Al-Qaida se trouvaient six Européens, un Libanais, un Nigérian et sept Ivoiriens.
Le dernier témoin, en treillis, a choisi de garder son cache-nez et l’anonymat. Il se présente sous les seules initiales « K. S. ». Il était en service dans les forces spéciales ivoiriennes le jour de l’attentat, et a été l’un des premiers dépêchés sur les lieux. C’est lui qui a mené la riposte qui a coûté la vie à deux assaillants. Son équipe d’intervention est arrivée sur place quarante-cinq minutes à une heure après le début des tirs, estime-t-il, et s’est dirigée vers l’Etoile du Sud, où une civile cachée lui avait indiqué la présence des terroristes.
« On avançait dans cette direction quand on a entendu des coups de feu vers [l’Hôtel] La Paillote, raconte-t-il. Une partie de l’équipe est entrée en contact avec l’un des attaquants côté plage, et on a réussi à l’abattre en quelques minutes. Mais le deuxième s’est replié sur le chemin vers l’hôtel, et c’est à ce moment-là que nous avons essuyé des pertes. » Deux des hommes de K. S. sont tués. Les autres mettront « vingt ou trente minutes » pour l’abattre. L’attaque a été menée à la kalachnikov, une première en Côte d’Ivoire. « Ils avaient des AK-47 et tiraient en rafales, détaille K. S. On voyait bien qu’ils étaient entraînés. »
Un avis que partage le propriétaire de La Paillote, Patrick Colin. « L’un des deux était très mauvais tireur, note ce témoin. Au début de l’assaut, il a voulu tirer sur une cinquantaine de clients qui tentaient de prendre la fuite sur le parking, mais il a visé trop haut et n’a touché personne. L’autre, en revanche, je l’ai vu monter à l’assaut des forces spéciales et lui était très, très entraîné. Je peux vous le dire avec certitude, j’ai moi-même été militaire. »
130 clients présents le jour de l’attaque
Selon ses calculs, 130 clients environ se trouvent ce jour-là à La Paillote, plus le personnel de l’hôtel. Il raconte avoir demandé immédiatement aux clients de partir, tandis qu’il faisait le tour des pièces pour les fermer une à une. L’un des assaillants ouvre alors le feu à l’intérieur et touche deux employées de l’ONU, une Macédonienne et une Ukrainienne, ainsi qu’une femme libanaise et ses deux enfants.
« Quand j’ai entendu les tirs s’éloigner vers la piscine, je suis ressorti pour les mettre à l’abri, raconte M. Colin, très droit dans sa chemise bleue. J’ai ramené la Libanaise à la cuisine avec ses enfants, et j’ai demandé à ceux qui se cachaient là de lui poser un garrot. Elle avait reçu plusieurs balles dans la jambe. Et puis j’ai ramené la dame ukrainienne de l’ONU, qui avait reçu une balle à la clavicule et avait la mâchoire arrachée. » Le propriétaire de l’hôtel retourne ensuite chercher la Macédonienne, Anita Andree Uska, qui décédera quelques minutes plus tard : « J’ai déposé un drap sur elle et je suis reparti. »
A l’arrivée des commandos, M. Colin voit le premier assaillant se faire abattre d’une balle dans la tête, puis le second tenir tête aux forces spéciales avant d’être tué à son tour. Il reconnaît au moins l’un des assaillants, dont les corps criblés de balles sont montrés à l’audience, mais aucun des accusés présents.
Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)
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